Les États membres de l’ONU se sont enfin mis d’accord le 4 mars 2023 sur le premier traité international de protection de la haute mer, destiné à contrecarrer les menaces qui pèsent sur des écosystèmes vitaux pour l’humanité. La majeure partie de la zone océanique mondiale est considérée comme des eaux internationales. Ce vaste territoire marin, en grande partie non géré, devrait bénéficier de protections beaucoup plus fortes et étendues en vertu du nouvel accord dont l’élaboration a duré près de deux décennies. Son objectif principal : protéger 30 % des environnements marins de la planète d’ici à 2030.
Le changement climatique rend les océans moins hospitaliers pour de nombreuses espèces en augmentant les températures aquatiques et en rendant les mers plus acides. Le commerce mondial implique une augmentation du nombre de navires susceptibles de heurter des baleines et d’autres animaux près de la surface. Bien plus profondément sous l’eau, les besoins en minéraux qui alimentent le commerce international incitent les entreprises à se préparer à exploiter les fonds marins. Dans le même temps, la dégradation des écosystèmes des océans réduit leur capacité à absorber le carbone et à contribuer à maîtriser le changement climatique.
La Terre est une planète bleue, a-t-on parfois tendance à oublier, mais ce week-end a apporté de bonnes nouvelles pour les environnements marins abondants de notre monde. Les dirigeants de plus de 190 nations du monde entier se sont réunis ce samedi 4 mars au soir pour établir un accord mondial, attendu depuis longtemps, visant à protéger les océans de la planète. « Le navire a atteint le rivage », a annoncé la présidente de la conférence Rena Lee, au siège de l’ONU à New York samedi peu avant 2h30 GMT, sous les applaudissements nourris et prolongés des délégués. Après plus de quinze ans de discussions, dont quatre années de négociations formelles, la troisième « dernière » session à New York a finalement été la bonne, ou presque.
Le texte ne peut plus être modifié
Après deux semaines d’intenses discussions, dont une session-marathon dans la nuit de vendredi à samedi 4 mars, les délégués ont finalisé un texte qui ne peut désormais plus être modifié de manière significative. « Il n’y aura pas de réouverture ni de discussions de fond » sur ce dossier, a affirmé Mme Lee aux négociateurs. Le texte final est issu d’une réunion des délégués des Nations unies à la Conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine des zones situées au-delà de la juridiction nationale (BBNJ), après 38 heures de discussions au siège des Nations unies à New York.
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a félicité les délégués, saluant une « victoire pour le multilatéralisme et pour les efforts mondiaux visant à contrer les tendances destructrices qui menacent la santé des océans, aujourd’hui, et pour les générations à venir ».
L’Union européenne s’est également réjouie de cette « étape cruciale pour préserver la vie marine et la biodiversité qui sont essentielles pour nous et les générations à venir », par la voix du commissaire européen à l’Environnement, Virginijus Sinkevicius, qui s’est dit « très fier » de ce résultat. La France a de son côté salué un « accord historique », qui « ouvre la voie à des avancées essentielles et inédites », dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères.
Que recouvre l’Accord sur la Haute mer ?
La Haute mer commence où s’arrêtent les zones économiques exclusives des États (ZEE), à maximum 200 milles nautiques (370 km) des côtes et n’est donc sous la juridiction d’aucun Etat. Même si elle représente plus de 60% des océans et près de la moitié de la planète, elle a longtemps été ignorée dans le combat environnemental, au profit des zones côtières et de quelques espèces emblématiques.
Avec les progrès de la science, la preuve a été faite de l’importance de protéger tout entier ces océans foisonnant d’une biodiversité souvent microscopique, qui fournit aussi la moitié de l’oxygène que nous respirons et limite le réchauffement climatique en absorbant une partie importante du CO2 émis par les activités humaines. Mais les océans s’affaiblissent, victimes de ces émissions (réchauffement, acidification de l’eau…), des pollutions en tout genre et de la surpêche.
Le nouveau traité établit pour la première fois un mécanisme officiel permettant de créer davantage d’aires marines protégées dans les eaux internationales (ou « Haute mer »). Actuellement, seulement 1,2 % des Hautes mers de la planète sont protégées, selon l’ONG High Seas Alliance. « Les zones de haute mer protégées peuvent jouer un rôle essentiel pour renforcer la résilience face aux effets du changement climatique« , a déclaré Liz Karan, de l’ONG Pew Charitable Trusts qui a qualifié cet accord de « réalisation capitale ».
L’accord, qui doit encore être ratifié par les Nations unies pour entrer en vigueur, établit un cadre juridique permettant de porter ce pourcentage de protection à 30 % des écosystèmes marins de la planète. Ce seuil de 30 % avait été initialement défini dans un engagement distinct des Nations unies en faveur de la biodiversité en décembre 2022, mais cet accord rend cet objectif beaucoup plus plausible.
Le traité sur « la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale » introduit également l’obligation de réaliser des études d’impact sur l’environnement des activités envisagées en Haute mer. Mais le chapitre hautement sensible qui a cristallisé les tensions jusqu’à la dernière minute concerne le principe du partage des bénéfices des ressources marines génétiques collectées en Haute mer. Les pays en développement qui n’ont pas les moyens de financer de très coûteuses expéditions et recherches se sont battus pour ne pas être exclus de l’accès aux ressources marines génétiques et du partage des bénéfices anticipés de la commercialisation de ces ressources – qui n’appartiennent à personne – dont entreprises pharmaceutiques ou cosmétiques espèrent tirer des molécules miracles.
Comme dans d’autres forums internationaux, notamment les négociations climat, le débat a fini par se résumer à une question d’équité Nord-Sud, ont commenté des observateurs. Avec une annonce vue comme un geste pour renforcer la confiance Nord-Sud, l’Union européenne a promis, à New York, 40 millions d’euros pour faciliter la ratification du traité et sa mise en œuvre initiale. Au-delà, elle s’est engagée à consacrer plus de 800 millions d’euros à la protection des océans en général pour 2023 lors de la conférence « Notre Océan » qui s’est achevée vendredi à Panama. Au total, la ministre panaméenne des Affaires étrangères Janaina Tewaney, a annoncé que « 341 nouveaux engagements », d’un montant de près de 20 milliards de dollars – dont près de 6 milliards des Etats-Unis -, avaient été pris lors de cette conférence pour protéger les mers.
Comment l’Accord sera-t-il appliqué concrètement ?
La future Conférence des parties (COP, organe de décision qui rassemblera les États signataires) devra composer, pour faire appliquer ses décisions, avec d’autres organisations mondiales et régionales qui ont autorité aujourd’hui sur des morceaux de l’océan. En particulier les organisations régionales de pêche et l’Autorité internationale des fonds marins qui délivre pour l’instant des contrats d’exploration minière dans certaines zones précises et pourrait prochainement passer au stade de l’exploitation, craignent les ONG. Les activités militaires sont, quant à elles, exclues du champ du traité.
Aires marines protégées
Outil emblématique du futur traité : les aires marines protégées, qui aujourd’hui existent principalement dans les eaux territoriales. La COP, sur proposition d’un ou plusieurs États, pourra créer ces sanctuaires dans des zones à caractère unique, particulièrement fragiles ou importantes pour des espèces en danger.
La question cruciale du processus de décision a été un des points chauds des négociations. Finalement, comme dans d’autres COP, notamment celles sur le climat, les décisions seront en général prises par consensus. Si celui-ci ne peut être atteint, le projet de texte introduit la possibilité de prendre une décision à la majorité des 3/4 pour contourner le blocage d’un pays ou d’un petit groupe.
Cette décision serait ensuite soumise à un vote de la COP, cette fois à la majorité des 2/3, attestant que « tous les efforts pour parvenir à un accord par consensus ont été épuisés ».
Le traité ne détaille pas comment assurer concrètement la mise en œuvre de mesures de protection dans ces vastes étendues éloignées des terres. Certains experts comptent sur les satellites pour surveiller et identifier les infractions. Chaque Etat est responsable des activités sur lesquelles il a de toute façon juridiction même en Haute mer, par exemple sur un navire battant pavillon de son pays.
Ressources génétiques marines
Chaque Etat, maritime ou non, et toute entité sous sa juridiction, pourra organiser en haute mer des collectes de végétaux, animaux ou microbes, dont le matériel génétique pourra ensuite être utilisé, y compris commercialement, par exemple par des entreprises pharmaceutiques qui espèrent découvrir des molécules miraculeuses.
Pour que les pays en développement, qui n’ont pas les moyens de financer ces coûteuses recherches, ne soient pas privés de leur part d’un gâteau qui n’appartient à personne, le traité pose le principe d’un partage « juste et équitable » des bénéfices. La répartition de ces futurs profits a cristallisé les tensions. Au bout du compte, le texte prévoit un partage des ressources scientifiques (échantillons, données génétiques sur une « plateforme en libre accès », transferts de technologies aux pays en développement, etc.) et des bénéfices financiers.
Les modalités du mécanisme financier, qui pourra inclure contribution des États et redevances commerciales, restent à établir à la première COP. Celle-ci pourra déroger à la règle du consensus sur ce sujet en adoptant des décisions à la majorité des 3/4.
Études d’impact
Avant d’autoriser une activité en Haute mer menée sous leur juridiction ou leur contrôle, les pays devront préalablement étudier ses impacts potentiels sur le milieu marin, selon le traité. Le texte prévoit aussi de telles études d’impact pour les activités ayant lieu dans les eaux nationales, si celles-ci sont susceptibles d’affecter de manière substantielle la Haute mer, à l’initiative des États.
Ceux-ci devront ensuite publier ces études et un Conseil consultatif scientifique et technique, composé d’experts choisis par les États, pourra faire des observations. Mais finalement, ce n’est pas la COP, mais l’Etat ayant autorité sur l’entité voulant mener cette activité qui donnera son feu vert.
Le traité prévoit toutefois un mécanisme de transparence sur ces études d’impact et exige que l’Etat concerné s’assure d’avoir fait « tous les efforts raisonnables » pour prévenir les atteintes au milieu marin.
Comment réagissent les scientifiques et les défenseurs de l’environnement ?
La grande majorité des chercheurs et des experts en conservation des océans ont exprimé leur enthousiasme à l’idée de voir l’accord sur la Haute mer se concrétiser. « Ce nouveau traité est une étape décisive dans la protection de la vie marine et de la biodiversité dans les eaux internationales couvrant plus de la moitié de la surface de la Terre« , a déclaré Rick Murray, directeur adjoint de la Woods Hole Oceanographic Institution. Les eaux couvertes par l’accord « fournissent des habitats à d’innombrables espèces et soutiennent la vie et les moyens de subsistance de milliards de personnes dans le monde. Le traité offre l’espoir que des protections réelles et durables contre le changement climatique et l’activité humaine sont à portée de main pour l’océan« , a ajouté M. Murray, spécialiste des sciences marines et environnementales.
Greenpeace se réjouit qu’une étape déterminante ait été franchie avec l’adoption de ce traité « historique » : « Ce traité est une victoire pour les océans et pour les millions de personnes qui se sont mobilisées partout dans le monde ! » déclare l’ONG mais précise aussitôt que « La lutte pour les océans n’est pas gagnée pour autant. Nous restons mobilisé·es pour veiller à ce que ce traité soit bel et bien mis en œuvre, et parce qu’un autre danger guette : l’exploitation minière des fonds marins, qui pourrait débuter dès l’été 2023. » Greenpeace fait référence à l’envoi d’énormes machines de chantier au fond de l’océan pour récolter des minerais. Cette industrie serait un désastre pour la biodiversité, y compris baleines et dauphins, et pour le climat.
Christopher Reddy, scientifique marin de Woods Hole, estime que l’objectif de protection de 30 % peut sembler énorme, mais qu’il « n’est pas une charge excessive. » Il ne sera pas facile d’atteindre ce niveau de protection marine dans le monde entier et « les défis à relever sont importants », a noté le chimiste marin. « Il y a beaucoup de travail à faire« . Toutefois, M. Reddy a salué le protocole de sélection des nouvelles zones à protéger, fondé sur la recherche, et s’est montré globalement optimiste quant au travail d’équipe multinational. « Il ne s’agit pas de quelqu’un qui s’assoit avec une carte et se contente d’encercler les zones à protéger. [Avec cet accord], nous choisissons les zones qui doivent être protégées de l’activité humaine en nous appuyant sur la science. » En mettant les zones les plus vulnérables à l’abri de phénomènes tels que la pollution marine et les marées noires, les écosystèmes marins sensibles auront davantage de chances de survivre et de prospérer.
Bien que l’objectif principal du traité soit de préserver la vie dans les mers de la planète, il contribuera également aux efforts de lutte contre le changement climatique. Selon une étude publiée dans la revue Nature en 2021, les efforts visant à protéger une plus grande partie des eaux de la planète permettraient non seulement de soutenir la diversité marine, mais aussi d’augmenter la quantité de carbone absorbée par l’océan. « L’océan est aussi – physiquement – notre plus grand allié dans la lutte contre le changement climatique« , a déclaré un responsable de la High Seas Alliance. « Sans un océan plein de vie marine, il ne peut pas continuer à séquestrer et à stocker le carbone. Nous avons un océan dégradé sur les bras, mais l’océan a une capacité phénoménale à se restaurer. »
Quelles sont les prochaines étapes des efforts des Nations unies en matière de protection des océans ?
Ce n’est pas parce que les pays ont pu décider d’un texte qu’il peut aussitôt être mis en œuvre. Un long chemin de politique et de bureaucratie internationale nous attend maintenant. La version finale de l’accord sur la Haute mer doit encore être ratifiée par les États membres de l’ONU pour entrer officiellement en vigueur. Si l’on se fie aux précédents traités de l’ONU, cela pourrait prendre des années. Il pourra toutefois entrer en vigueur 120 jours après la 60e adhésion ou ratification du traité par des États.
À partir de là, les nations participantes pourront commencer à proposer de nouvelles zones marines protégées, qui devront être approuvées individuellement. Les défenseurs des océans soulignent que pour être efficace, le traité doit être « universel » en recueillant l’adhésion du plus grand nombre de pays.
Un long chemin en perspective qui peut se transformer en course poursuite infernale contre l’emballement climatique.
Avec agences