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La révolte des orques

La révolte des orques

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Que se passe-t-il avec les orques ? Ces géants des mers, en général paisibles avec l’homme, se mettent depuis l’été dernier à attaquer des navires et plus particulièrement des voiliers naviguant dans les eaux ibériques, au large du Portugal et vers Gibraltar. Certains bateaux, gravement endommagés, ont même coulé. Comment expliquer ce phénomène répétitif, opéré en meute et capable de causer des dégâts considérables ? Les scientifiques spécialisés sont perplexes et partagés sur la réponse à cette question. Plusieurs hypothèses sont émises, certaines d’entre elles évoquant une forme de révolte des orques contre les agressions qu’elles subissent du fait des activités humaines dans l’océan.

L’ancien skipper du Vendée Globe, Sébastien Destremau, et son équipage du voilier Le Lancelot ont eu chaud ce lundi 22 mai. Leur bateau a été attaqué pendant près d’une heure par une meute d’orques au Sud de l’Espagne, à 25 km des côtes. « On a vu débarquer une vingtaine d’orques. Huit à dix d’entre elles ont commencé à s’attaquer systématiquement à notre gouvernail« , raconte Sébastien Destremau à France Bleu Breizh Izel. Les coups de boutoir des orques ont secoué le navire de quinze tonnes comme s’il était une coquille de noix. Au bout d’une heure d’attaques en règle, les orques sont parties laissant le bateau, gouvernail réduit en miettes, au milieu des flots.

« Une heure sous leurs coups de boutoir, c’était très impressionnant et on avait très peur » déclare le double participant au Vendée Globe, Sébastien Destremau. « On les a vues arriver d’assez loin et on a tout de suite compris que cette fois c’était pour nous. » Le Lancelot a finalement eu de la chance car d’autre voiliers victimes d’exactement la même mésaventure ont purement et simplement coulé. Pour résumer son aventure, le skipper confie : « Ça va paraître loufoque mais, quelque part, on a le sentiment qu’elles cherchaient à nous dire quelque chose ».

Des attaques en règle

Que voulaient-elles dire ? Que signifient ces attaques répétées d’un animal certes impressionnant avec ses presque dix mètres de longueur, l’un des plus grands prédateurs marins, mais qui n’a jamais attaqué l’homme dans la nature. Le phénomène est rare mais connu chez d’autres espèces, notamment le cachalot. Le fameux Moby Bick est une combinaison de récits concernant une baleine blanche au large des côtes sud-américaines, surnommée « Mocha Dick« , et le récit du baleinier Essex, coulé par un grand cachalot dans les eaux équatoriales. Les orques, également connues sous le nom d’épaulards, aiment s’approcher très près des navires mais les spécialistes de la question, comme le biologiste marin Luke Rendeli, affirment n’avoir « jamais entendu parler d’orques capables d’endommager un bateau de manière aussi déterminée ».

L’aventure de Sébastien Destremau n’est pas unique. Trois orques ont heurté un voilier dans la nuit du 4 mai dans le détroit de Gibraltar, au large de la côte espagnole, et ont dévoré à pleines dents le gouvernail. « Il y avait deux orques plus petites et une plus grande« , a déclaré le skipper Werner Schaufelberger à la publication allemande Yacht. « Les petits ont secoué le gouvernail à l’arrière, tandis que le grand a reculé à plusieurs reprises et a percuté le navire de plein fouet sur le côté« .

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Werner Schaufelberger a déclaré avoir vu les petites orques imiter la grande. « Les deux petites orques ont observé la technique de la plus grande et, avec un léger élan, elles ont elles aussi percuté le bateau. Les garde-côtes espagnols ont secouru l’équipage et remorqué le bateau jusqu’à Barbate, mais il a coulé à l’entrée du port. »

Deux jours plus tôt, un groupe de six orques avait attaqué un autre voilier naviguant dans le détroit. Greg Blackburn, qui se trouvait à bord a vu une mère orque enseigner à son petit comment foncer sur le gouvernail. « Il s’agissait bien d’une forme d’éducation et d’enseignement« , affirme Greg Blackburn à l’agence 9news.

Bateaux touchés / coulés

Les rapports de rencontres agressives avec des orques au large de la côte ibérique ont commencé en mai 2020 et sont de plus en plus fréquents. C’est ce que constate une étude publiée en juin 2022 dans la revue Marine Mammal Science. Les agressions semblent être principalement dirigées contre des voiliers et suivent un schéma clair : les orques s’approchent de la poupe pour frapper le gouvernail, puis se désintéressent une fois qu’elles ont réussi à arrêter le bateau.

« Les rapports d’interactions sont continus depuis 2020 dans les endroits où l’on trouve des orques, que ce soit en Galice ou dans le détroit« , a déclaré le coauteur Alfredo López Fernandez, biologiste à l’université d’Aveiro au Portugal et représentant du Grupo de Trabajo Orca Atlántica, ou groupe de travail sur les orques de l’Atlantique. « Sur plus de 500 événements d’interaction enregistrés depuis 2020, il y a trois navires coulés ». « Près de 20 % de ces attaques ont causé suffisamment de dégâts pour mettre les navires hors service », explique le chercheur López Fernandez à Live Science. « Il s’agit d’un comportement rare qui n’a été détecté que dans cette partie du monde ».

Les chercheurs ont constaté que les orques s’attaquaient de préférence au gouvernail des bateaux, grattant parfois la coque avec leurs dents. Ces attaques brisent souvent le gouvernail, ce qui empêche le bateau de naviguer. Dans trois cas, les animaux ont endommagé un bateau au point de le faire couler : En juillet 2022, ils ont coulé un voilier avec cinq personnes à bord. En novembre 2022, ils ont fait couler un voilier transportant quatre personnes. Enfin, lors de l’attaque de ce mois-ci, le voilier suisse Champagne a dû être abandonné et le bateau a coulé alors qu’il était remorqué jusqu’au rivage. Dans tous les cas, les personnes à bord ont été sauvées.

Un événement traumatisant dont les orques veulent se venger ?

Le pic d’agressivité envers les bateaux est un phénomène récent, remarque López Fernandez. Les chercheurs pensent qu’un événement traumatisant a pu déclencher un changement de comportement chez une orque, que le reste de la population a appris à imiter. « Les orques le font volontairement, bien sûr, nous ne connaissons pas l’origine ou la motivation, mais le comportement défensif basé sur un traumatisme, qui est à l’origine de tout cela, gagne chaque jour en force à nos yeux« , observe M. López Fernandez.

Les experts pensent qu’une orque femelle, appelée White Gladis, a subi un « moment critique d’agonie » – une collision avec un bateau ou un piège lors d’une pêche illégale – qui a déclenché un changement de comportement. « C‘est cette orque traumatisée qui a déclenché ce comportement de contact physique avec le bateau« , estime M. López Fernandez.

Les orques sont des créatures sociales qui peuvent facilement apprendre et reproduire les comportements de leurs congénères ; l’étude de 2022 l’a bien montré. Dans la majorité des cas signalés, les orques se sont dirigées vers le gouvernail d’un bateau et l’ont mordu, plié ou cassé. « Nous ne pensons pas que les orques enseignent aux jeunes, bien que le comportement se soit propagé aux jeunes verticalement, simplement par imitation, et plus tard horizontalement entre eux, parce qu’ils le considèrent comme quelque chose d’important dans leur vie », a déclaré M. López Fernandez.

« Les orques semblent percevoir ce comportement comme avantageux, malgré le risque qu’elles courent en heurtant les structures mobiles des bateaux« , ajoute M. López Fernandez. Depuis le début des interactions anormales en 2020, quatre orques appartenant à une sous-population vivant dans les eaux ibériques sont mortes, bien que leur décès ne puisse être directement lié aux rencontres avec les bateaux.

Une mode chez les orques ?

Ce comportement inhabituel pourrait également être un jeu ou ce que les chercheurs appellent une « mode », c’est-à-dire un comportement initié par un ou deux individus et repris temporairement par d’autres avant d’être abandonné. Tout comme chez les humains, les modes des orques sont souvent lancées par des jeunes, remarquent les spécialistes de ces animaux. « Ce sont des animaux incroyablement curieux et joueurs, et il pourrait donc s’agir davantage d’un comportement ludique que d’un comportement agressif« , avance à Live Science Deborah Giles, chercheuse sur les orques à l’université de Washington et au sein de l’organisation à but non lucratif Wild Orca.

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La chercheuse pense que ce comportement semble avoir été appris, mais il pourrait s’agir simplement d’une mode sans grande logique ni raison, en tout cas pour l’esprit humain. En 1987, certains membres du groupe d’orques résidentes du sud qui sillonnent le Puget Sound de Washington chaque été et chaque automne ont passé l’été à porter des saumons morts sur la tête. Il n’y avait aucune raison apparente pour que les chapeaux de saumon soient à la mode dans le milieu des orques, mais le comportement s’est répandu et a persisté pendant quelques mois avant de disparaître à nouveau. « Nous ne saurons jamais ce qui se passe avec cette population« , déclare Deborah Giles, en faisant référence aux orques ibériques.

Pourtant pas rancunières, jusqu’à présent

En 2020, les chercheurs ont observé neuf orques différentes attaquant des bateaux ; on ne sait pas si d’autres se sont jointes à elles depuis. Les attaques provenaient généralement de deux groupes distincts : un trio de jeunes parfois rejoints par un quatrième et un groupe d’âge mixte composé d’une femelle adulte nommée White Gladis, de deux de ses jeunes et de deux de ses sœurs. White Gladis étant la seule adulte impliquée dans les incidents initiaux, les chercheurs supposent qu’elle a pu s’emmêler dans un fil de pêche à un moment donné, ce qui lui a valu une mauvaise association avec les bateaux. D’autres orques adultes de la région présentent des blessures correspondant à des collisions avec des bateaux ou à des enchevêtrements dans des fils de pêche, explique López. « Tout cela doit nous faire réfléchir au fait que les activités humaines, même de manière indirecte, sont à l’origine de ce comportement« , ajoute-t-il.

Le sauvetage de toutes les personnes impliquées suggère toutefois à Deborah Giles que ces orques n’ont pas de motivations malveillantes à l’égard des humains. Deborah Giles, directrice scientifique et de recherche de l’organisation de conservation à but non lucratif Wild Orca, basée dans l’État de Washington, souligne que les humains ont harcelé sans relâche les orques au large des côtes de l’État de Washington et de l’Oregon dans les années 1960 et 1970, capturant de jeunes orques et les emmenant pour les exhiber dans des parcs marins. « Ce sont des animaux qui ont tous été capturés à un moment ou à un autre – la plupart des orques plusieurs fois. Ce sont des baleines qui ont vu leurs bébés leur être enlevés et être embarqués dans des camions, pour ne plus jamais les revoir« , explique M. Giles. « Et pourtant, ces baleines n’ont jamais attaqué de bateaux, ni d’êtres humains. Jusqu’à présent. »

Un danger critique d’extinction

Pourtant, à mesure que le nombre d’incidents augmente, l’inquiétude grandit, tant pour les marins que pour la sous-population d’orques ibériques, qui est classée dans la liste rouge de l’UICN comme étant en danger critique d’extinction. Le dernier recensement, en 2011, n’a enregistré que 39 orques ibériques. « Si cette situation se poursuit ou s’intensifie, elle pourrait devenir une véritable préoccupation pour la sécurité des marins et un problème de conservation pour cette sous-population d’orques menacée d’extinction« , ont écrit les chercheurs.

Une étude réalisée en 2014 a en effet révélé que cette sous-population suit la migration de sa principale proie, le thon rouge de l’Atlantique, ce qui la met en contact étroit avec la pêche humaine, les activités militaires et la navigation de plaisance. Les autorités maritimes recommandent aux plaisanciers de la région de ralentir et d’essayer de rester à l’écart des orques, explique M. López, mais il n’y a pas de moyen garanti d’éviter les animaux. Lui et ses collègues craignent que les attaques de bateaux ne se retournent contre les orques, soit parce que les plaisanciers s’en prendront à elles, soit parce que les attaques sont dangereuses pour les animaux eux-mêmes. « Ils courent un grand risque d’être blessés« , explique M. López.

Les orques nous posent question

Si ces orques continuent d’attaquer les bateaux, il sera plus difficile de les protéger estime, lui aussi, le biologiste Luke Rendell dans un article à The Conversation. Non seulement l’interaction avec les hélices tournantes augmente le risque de blessure pour ces animaux, mais elle menace également les personnes – des blessures aux équipages jusqu’au naufrage des navires – ce qui créera une pression politique pour que quelque chose soit fait.

Bien entendu, les opérateurs de petits navires n’ont pas besoin de naviguer dans les zones situées le long des côtes atlantiques de l’Espagne et du Portugal où ces interactions avec les orques se sont produites, estime le chercheur. Les empêcher de le faire résoudrait le problème, mais pour de nombreux opérateurs et propriétaires de bateaux, il s’agit de la route la plus courte, alors que se diriger vers le large rend les passages plus risqués. La perte de revenus touristiques liée à l’arrêt de ces navires renforcera la pression en faveur d’une solution permanente.

« Il est possible que certains demandent que ces orques soient contrôlées, voire tuées si elles continuent à menacer la vie et les moyens de subsistance de l’homme. Cela pose d’importantes questions éthiques sur notre relation avec ces animaux » craint Luke Rendell.

« Devrions-nous, en tant qu’espèce détenant en fin de compte le plus grand pouvoir, éloigner les petits navires vulnérables de l’habitat des orques dans le cadre d’une relation changeante avec la mer, dont nous savons qu’elle se détériore en raison de nos actions ? Ou devrions-nous nous octroyer le droit de naviguer à notre guise et de contrôler tous les animaux non humains qui nous en empêchent, jusqu’à les abattre ? »

C’est à nous, à la société, de répondre à ces questions. Ce sont les orques, à travers ces comportements étranges, qui nous les posent.

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patricia.fetnan@gmail.com
1 année

Quand va-t-on consentir à «  Etre-au Monde » ? À écouter et surtout à entendre tous les cris qui nous arrivent du « Chaos » que nous avons fabriqué ?? Pour se donner des chances de rebâtir un «  Cosmos » ??? «  Où atterrir », B. Latour. Devenir des « êtres-monde »… « Résonner », H. Rosa, Humains et non- humains pour « Faire-Monde », P. Descola et devenir Humanité «  à- venir » … Depuis ecoleducerisier.wordpress.com et école du cerisier, youtube

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