L’étude récente publiée dans la revue « Science of the Total Environment » offre une perspective rassurante sur l’impact de l’agriculture biologique sur la réduction des pesticides dans le sang des rapaces sauvages, plus précisément des poussins de busard cendré dans la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre. Cette recherche souligne l’urgence et l’efficacité de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement pour protéger la faune contre l’accumulation de substances nocives. Ce constat met en lumière non seulement l’importance de la surveillance environnementale mais aussi le potentiel des pratiques biologiques comme stratégie de mitigation dans les zones agricoles. Alors que le monde lutte pour équilibrer les besoins de production alimentaire avec la préservation de la biodiversité, cette étude montre que l’adoption de l’agriculture biologique pourrait jouer un rôle crucial dans la protection des espèces sauvages et la promotion d’un écosystème plus sain.
La pollution anthropique associée à l’industrialisation, à l’urbanisation et à l’intensification de l’agriculture a conduit à la contamination de multiples compartiments environnementaux, notamment la faune, y compris les espèces d’oiseaux. Depuis des décennies, des études ont porté sur les facteurs influençant l’exposition des espèces d’oiseaux marins aux contaminants présents dans la nature, principalement les métaux lourds et les polluants organiques persistants (POP). Différentes voies de contamination pour ces polluants ont été identifiées ; la contamination peut se faire par contact direct avec des environnements contaminés, par ingestion et par transfert maternel, ce qui entraîne une forte variabilité inter-nichées des niveaux de contamination par les polluants, alors que la variabilité intra-nichée est généralement faible.
Les pesticides, soupçonnés d’être à l’origine de certaines maladies chez l’Homme et principaux responsables du déclin des espèces inféodées au milieu agricole, seraient moins nombreux dans le sang chez les poussins qui vivent dans des milieux où l’agriculture biologique est plus importante. C’est ce que révèle un article récemment paru dans la revue Science of the Total Environment, réalisé par des chercheuses et chercheurs travaillant dans trois laboratoires français : le Centre d’études biologiques de Chizé (CNRS/La Rochelle Université), Biogéosciences (CNRS/Université de Bourgogne) et l’Institut de chimie et procédés pour l’énergie, l’environnement et la santé (CNRS/Université de Strasbourg).
Réalisée dans la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre du CNRS, l’étude dévoile les effets de l’agriculture biologique environnant les poussins de busard cendré (Circus pygargus), un rapace qui installe son nid au sol des cultures de céréales. Les scientifiques ont en effet prélevé des échantillons de sang chez les poussins ayant grandi au cœur de ces cultures.
Au total, ce sont plus d’une centaine de composés (parmi lesquels des herbicides, fongicides, insecticides, synergiste et phytoprotecteur) qui ont été recherchés dans le sang des poussins de busard cendré. Et résultat : 28 de ces composés y ont été détectés, parfois à de fortes concentrations. Dix molécules retrouvées sont interdites en France au moment de l’échantillonnage.
L’un des faits surprenants de cette étude est la forte variabilité de la contamination aux pesticides retrouvée au sein des nids. Alors qu’à priori, les niveaux de contamination chez des poussins ayant grandi dans le même nid (et donc dans le même environnement) devraient être similaires, les auteurs décrivent une différence aussi importante entre les poussins d’un même nid qu’entre ceux de nids différents. Ni le sexe des poussins ni leur rang d’éclosion n’expliquent de tels résultats. Néanmoins, au-delà de cette énigme qui reste à explorer, il semblerait que l’agriculture biologique ait un rôle à jouer dans la réduction des niveaux de contamination de ces poussins.
En effet, le nombre de pesticides retrouvés dans le sang des poussins était significativement réduit lorsque le pourcentage d’agriculture biologique autour des nids était élevé (passant de 16 molécules à 4 au maximum quand le pourcentage de surface de terres consacrées à l’agriculture biologique augmente de 0 % à 19 % à 300 mètres autour du nid). Cela n’est pas sans conséquence puisqu’en réduisant le nombre de pesticides présents dans un organisme, le risque de toxicité lié à l’interaction entre molécules (effet cocktail) est également atténué. L’agriculture biologique apparait donc comme un levier potentiel de réduction du risque d’exposition à des composés multiples et aurait ainsi des effets positifs sur la santé des poussins de busard cendré.
Le busard cendré étant au sommet de la chaîne trophique et une espèce prédatrice spécialisée des terres agricoles, l’étude de sa contamination par les pesticides est particulièrement pertinente en tant qu’indicateur d’une contamination plus large de l’environnement. La présente étude révèle que l’agriculture biologique réduit le nombre de pesticides chez les poussins de busard cendré, ce qui pourrait avoir un effet bénéfique sur sa population, car il a été démontré que les intrants chimiques sont à l’origine du déclin des populations d’oiseaux des terres agricoles dans toute l’Europe (Rigal et al., 2023). Néanmoins, les travaux futurs devraient étudier comment les cocktails de pesticides sont liés aux traits d’histoire de vie des oiseaux et affectent la dynamique des populations. Le décryptage des effets des pesticides sur l’état de santé des oiseaux pourrait potentiellement clarifier les mécanismes sous-jacents reliant les apports de pesticides et le déclin des oiseaux des terres agricoles.
Dans le contexte d’une vision unique de la santé (un environnement durable, une faune et une flore diverses et une santé humaine préservée, réunis au sein de l’idée « One Health »), les poussins de busard cendré pourraient être des bio-sentinelles de l’agroécosystème local actuel dont fait partie l’Homme.
Bibliographie : Fuentes E., Moreau J., Millet M., Bretagnolle V., Monceau K., 2024. Organic farming reduces pesticide load in a bird of prey. Science of the Total Environment, 930, 172778.