Il y a encore vingt ans personne n’aurait misé un copek sur la pérennité de la Camargue comme milieu naturel d’exception. Le fragile paradis camarguais connu dans le monde entier pour ses taureaux, ses manades de chevaux blancs, ses flamants roses, était voué à disparaître. Ce symbole d’une nature sauvage et authentique était menacé par l’activité des hommes et les appétits des constructeurs de nichoirs à touristes. Aujourd’hui, la Camargue renaît grâce à la mise en œuvre de programmes ambitieux de renaturation et de protection d’un écosystème des plus fragiles. C’est le cas notamment de travaux hydrauliques d’ampleur menés à l’initiative de WWF. Avec de la (bonne) volonté, l’effondrement de la biodiversité et de notre environnement naturel n’est pas une fatalité.
Façonnée au fil des siècles par la nature et les hommes, la Camargue a développé une forte identité culturelle et un patrimoine naturel unique. En se rapprochant de la mer, un grand fleuve comme le Rhône ralentit son débit et se divise en plusieurs bras entre lesquels étangs et marais se forment naturellement. Dès le XVIIe siècle, ces terres sont drainées pour permettre les activités agricoles et certains étangs transformés en marais salants. A partir de ce moment, la vie animale, la flore et le cours des eaux vont progressivement se modifier. Vers la fin des années 1960, la course à la productivité gagne l’activité des marais salants et des travaux importants d’aménagements sont entrepris : endiguements, ouvrages hydrauliques, électrification etc.). La production de sel augmente et trouve des débouchés dans toute l’industrie notamment chimique.
Prise de conscience
Une première prise de conscience de la mise en danger de ce patrimoine naturel émerge dans les années 1990. L’État, à travers le Conservatoire du littoral, met en œuvre une politique de protection du site des Étangs et Marais des Salins de Camargue, une zone humide d’une extraordinaire richesse. Plus de 11 000 couples de flamants roses (près d’un tiers des effectifs nicheurs européens) fréquentent le site. Les lagunes et les nombreux habitats naturels du site (cordons dunaires, marais vaseux, îlots sableux …) attirent aussi d’importantes colonies d’oiseaux. L’Avocette élégante, la Mouette mélanocéphale ou le Goéland railleur sont ainsi quelques-unes des 287 espèces d’oiseaux qui y ont été inventoriées (17 de ces espèces sont menacées en France ou à l’échelle mondiale). Mais le site est également remarquable pour la diversité de ses habitats naturels. Parmi eux, les sansouires méritent une attention particulière. Ces communautés végétales, dominées par les salicornes, sont typiques des marais littoraux à inondation temporaire. Sensibles aux modifications des conditions hydriques et aux aménagements côtiers, ces habitats naturels ont beaucoup décliné en France et en Europe au cours des dernières décennies.
Fragiles richesses
Ces richesses s’avèrent être extrêmement fragiles et de nombreuses menaces pèsent sur elles. Le réchauffement climatique n’est pas responsable de tous les maux. L’activité humaine est capable de faire des ravages. Quand des hordes de touristes débarquent sur les plages, empruntent les routes sinuant au travers des habitats dunaires, quand l’activité salicole pompe l’eau de mer par millions de tonnes pour alimenter des bassins toujours plus nombreux en troublant les nappes d’eau douce, les grands équilibres se rompent immanquablement. Il devenait urgent de rétablir un fonctionnement hydrologique moins artificiel et de mettre en œuvre une gestion adaptative à l’élévation du niveau de la mer. En même temps, il fallait s’efforcer de reconstituer les écosystèmes littoraux et améliorer autant que possible la capacité de ce paysage à accueillir des colonies diversifiées d’oiseaux d’eau.
Depuis 2014, le Conservatoire du littoral (1), le Parc naturel régional de Camargue (2), la Tour du Valat (3) et la Société nationale de protection de la nature (4), avec WWF France soutenu financièrement pour ce projet par la fondation Coca-Cola, œuvrent à la restauration de ce site de 6 500 hectares. Les travaux ont principalement consisté à raccorder une partie des anciens salins à un canal d’irrigation, afin de maintenir des niveaux d’eau favorables à la reproduction d’oiseaux coloniaux. Un pont a également été construit, « avec de grandes ouvertures pour favoriser le passage des civelles –des petites anguilles dont l’espèce est menacée– vers la mer, où elles se reproduisent », précise à l’AFP Pascal Grondin, chargé de projet au WWF.
Le passage vers la mer permet aussi la protection de sites de nidification, en créant des îlots où les œufs sont protégés des prédateurs terrestres, « donc très favorables à la reproduction ». Autre bénéfice des travaux : l’eau douce va faire revenir des sédiments, qui devraient conforter le site. « C’est tout un équilibre qui va se faire de nouveau et qui fera que le site sera moins fragile face aux conséquences du réchauffement climatique », explique M. Grondin.
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Des résultats concrets
Des nombreuses analyses hydrauliques et études environnementales sur les poissons, les oiseaux, la végétation ont permis de suivre les impacts des mesures prises. Les milliards de litres d’eau douce apportés ont permis d’abriter les colonies d’oiseaux des prédateurs terrestres et contribué à faire progressivement baisser le taux de salinité, entraînant une évolution globale de l’écosystème.
Il a aussi été constaté une recolonisation importante par la végétation constituant les paysages des sansouires. Les sols ont retrouvé des conditions favorables à la réinstallation des végétations à salicornes annuelles et pérennes, qui sont des habitats d’intérêt communautaire en Europe. La gestion actuelle du site offre donc une opportunité exceptionnelle de reconquête de ces habitats.
Les données recueillies dans ces études confirment l’importance fonctionnelle du site pour les espèces aquatiques. Le site offre un vaste territoire aux espèces typiquement lagunaires, qui réalisent l’ensemble de leur cycle de vie en milieu saumâtre, telles que les athérines, les gobies, ou les crevettes blanches. Pour certaines espèces qui se reproduisent en mer, comme la sole, le mulet porc ou la daurade royale, les lagunes offrent des habitats essentiels pour la croissance des alevins et jouent ainsi un rôle crucial pour le maintien des stocks halieutiques en mer.
Par ailleurs, de nombreuses espèces de poissons marins au stade adulte pénètrent de façon opportuniste dans les étangs les plus près de la mer pour s’y alimenter : loup, daurade, sole commune, barbue, gobie paganel ou blennie pilicorne. Enfin, le site offre une nouvelle voie de passage pour les grandes espèces migratrices telles que l’anguille, qu’il s’agisse de rejoindre des milieux plus doux à la montaison (stade civelle) ou la zone de reproduction en mer à la dévalaison (stade anguille argentée).
Enfin, les campagnes photographiques confirment l’évolution des paysages, constatée par les suivis environnementaux. Outre l’augmentation des surfaces en sansouires, ces campagnes montrent le développement de roselières favorisées par les apports d’eau douce et de cordons de tamaris sur différents secteurs.
Les efforts payent
Pour Isabelle Autissier, présidente de WWF, « les efforts payent » : « Depuis cinq ans en Camargue, nous travaillons main dans la main avec les partenaires sur le terrain pour protéger et restaurer ce site au patrimoine naturel unique. Aujourd’hui, les efforts payent : l’épanouissement des espèces de poissons, d’oiseaux et de végétaux ainsi que le retour de plusieurs milliards de litres d’eau douce démontrent que la nature reprend ses droits lorsqu’on lui en donne l’opportunité. »
En un temps troublé où les alertes des scientifiques se succèdent sur l’état de la planète, le projet de renaturation de la Camargue est un bon exemple à suivre pour enrayer le déclin de la biodiversité et participer aux efforts d’atténuation du dérèglement climatique.
(1) Le Conservatoire du littoral est un établissement public dont la mission est d’acquérir des parcelles du littoral menacées ou dégradées pour en faire des sites restaurés, aménagés, accueillants, dans le respect des équilibres naturels.. Il protège plus de 200 000 ha en France sur 750 sites, dont 26 000 ha en Camargue. www.conservatoire-du-littoral.fr
(2) Le Parc Naturel Régional de Camargue : Créé en 1970, le Parc naturel régional de Camargue est un organisme public qui a pour mission de mener un projet concerté de développement durable fondé sur la protection et la valorisation du patrimoine naturel, culturel et humain de son territoire. Il coordonne la gestion du site des étangs et marais salins de Camargue. www.parc-camargue.fr
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(3) La Tour du Valat : Créé en 1954, la Tour du Valat est un centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes, reconnue d’utilité publique. Son mode d’action diversifié est voué à générer la connaissance et la partager pour renforcer les capacités des usagers, gestionnaires ou scientifiques, nourrir une gestion effective de ces milieux, et alimenter les politiques publiques. www.tourduvalat.org
(4) La Société nationale de protection de la nature est une association scientifique qui se consacre à l’étude et à la protection de la nature, pour permettre aux écosystèmes et aux espèces d’exprimer le plus librement possible leurs potentialités. Elle s’intéresse aux écosystèmes, à leurs espèces et à la qualité de leurs interactions avec les êtres humains et leurs sociétés. Fondée en 1854, elle est reconnue d’utilité publique depuis 1855. www.snpn.com
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