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Barro Colorado

Une île mystérieuse est devenue l’observatoire de la biodiversité

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Quand, à la fin du XIXe siècle, Ferdinand de Lesseps eut l’idée de construire le canal de Panama pour relier l’océan Pacifique à l’Atlantique, il ne se doutait pas qu’il allait non seulement créer un formidable trait d’union entre deux mondes, mais qu’il allait aussi faire naître un Paradis.

 Une île mystérieuse, émergée d’un lac artificiel créé au milieu du canal, Barro Colorado. Cette île minuscule, d’une superficie de 15 kilomètres carrés, est devenue la Mecque de la biologie tropicale. La communauté scientifique internationale voit dans ce petit paradis un laboratoire à ciel ouvert pour analyser les effets du changement climatique.
 
Ce petit territoire est géré depuis 1946 par l’Institut Smithsonian pour la recherche tropicale (STRI), une institution qui gère 19 musées et 6 centres de recherche aux États-Unis. Des milliers de scientifiques se sont succédé à Barro Colorado (littéralement « boue colorée ») pour étudier sous toutes ses coutures cette colline couverte de forêt vierge. Il s’agit d’une des principales réserves de forêts humides tropicales au monde et quelque 350 projets scientifiques y sont actuellement conduits.
« Barro Colorado est probablement la forêt tropicale la plus étudiée au monde et cela nous a beaucoup aidés pour comprendre le fonctionnement des autres forêts à travers la planète », déclare à l’AFP William Laurance, chercheuse associée du STRI et professeur de l’université australienne James Cook.
Plus de 2 500 articles savants ont été publiés sur l’écologie de Barro Colorado, ce qui en fait le bout de forêt tropicale le plus étudié de la planète.
 
 
Sur cette île ultra-protégée ­(la Smithsonian Institution n’admet que vingt visiteurs par jour à Barro Colorado, qu’elle amène par son propre bateau de ravitaillement) on compte 465 espèces de vertébrés, dont 72 de chauves-souris, 500 espèces de papillons, 400 de fourmis, 384 d’oiseaux et cinq types de singes : l’araignée, le capucin, le titi, le hurleur et le douroucouli.
On y trouve aussi des agoutis (rongeurs), des tapirs, des nasuas (petit mammifère), des tortues, des crocodiles, des pécaris (sorte de sangliers), des salamandres et des serpents. Certains scientifiques assurent même y avoir aperçu des cerfs, des pumas et des jaguars.
 
 
C’est ici, en bonne partie, que l’on a découvert le rôle de poumon de la terre que jouent les forêts tropicales et l’incroyable biodiversité qui s’y cache. En avançant sur les sentiers de Barro Colorado, le visiteur pénètre dans une forêt dense riche de plus de 1 200 espèces de plantes et arbres, dont certains plusieurs fois centenaires.
Cette forêt est le terrain de prédilection des chercheurs. Ils y relèvent différentes mesures des arbres, comme leur taux d’humidité, leur taille, leur circonférence et les échanges gazeux. Ils cherchent ainsi à mesurer la croissance des arbres et la quantité de dioxyde de carbone libérée dans l’atmosphère par cet écosystème.
« Face au changement climatique, nous sommes en train d’essayer de comprendre comment réagit la forêt aux variations de températures et comment le taux de carbone évolue en fonction de la température et l’humidité du sol », explique la biologiste et ingénieur environnementale Vanesa Rubio.
D’après les scientifiques, la pollution environnementale et la déforestation font que les forêts libèrent une plus grande quantité de dioxyde de carbone, un gaz à l’origine du réchauffement climatique – car le gaz stocké dans les écorces est libéré lorsque les arbres sont abattus.
 
 
Les deux cent mille arbres qui vivent dans cette île sont dédiés à l’étude de l’évolution de la forêt ; ils sont méticuleusement marqués et recensés tous les cinq ans.
« A cause du changement climatique, la sécheresse est plus forte et la température a augmenté. Il semble que les arbres ne le supportent pas », estime Rolando Perez, un botaniste panaméen qui identifie les arbres sur Barro Colorado depuis un quart de siècle.
Il explique que si le nombre d’arbres n’a pas « énormément » diminué, il y a eu des changements dans la « composition des arbres ou des espèces sensibles » causés par le changement climatique.
 
Les forêts tropicales représentent près des deux tiers de la biodiversité terrestre et stockent plus de la moitié du carbone de la biosphère. Des études récentes prédisent que dans un environnement enrichi en dioxyde de carbone, des modifications physiologiques s’opéreraient chez les plantes tropicales. Leur fonctionnement serait modifié, leur biomasse augmenterait et elles séquestreraient plus de carbone. Dans ces conditions, les espèces d’arbres à croissance rapide seraient favorisées par rapport aux espèces à croissance lente. Globalement, les puits de carbone constitués par les forêts tropicales contribueraient à limiter les émissions atmosphériques de carbone fossile.
 
 
Un groupe de recherche international dirigé par le Smithsonian Tropical Research Institute et coordonné par Jérôme Chave, chercheur au CNRS, a testé pour la première fois ces hypothèses en utilisant des inventaires forestiers mis en place depuis le début des années 1980.
Les chercheurs ont mis au point des méthodes statistiques nouvelles permettant, pour une espèce donnée, d’estimer la biomasse des arbres en fonction de la densité du bois et du diamètre du tronc. Ils ont aussi pu définir deux groupes d’espèces : celles à croissance rapide et celles à croissance lente. Dans chaque parcelle étudiée, ils ont réalisé des bilans de carbone à l’échelle de l’écosystème et pour chacun de ces groupes d’espèces.
Jérôme Chave et ses collaborateurs ont confirmé que la capacité de stockage en carbone avait augmenté significativement au cours des deux dernières décennies. Les forêts tropicales anciennes sont donc bien des puits importants de carbone. Mais les chercheurs avertissent que les forêts tropicales ne pourront pas limiter l’augmentation rapide du dioxyde de carbone atmosphérique pendant encore très longtemps.
Il est donc primordial de bien comprendre comment fonctionne le système de séquestration carbone des forêts et que l’on reconnaisse l’apport de ces écosystèmes afin qu’une coopération mondiale soit mise en place pour les protéger.
 
La dernière COP21 a réservé une part significative de ses travaux aux forêts. Un consensus est apparu pour admettre que ces écosystèmes fragiles jouent un rôle crucial dans la réalisation d’un avenir durable. Le secrétariat de la Commission des Nations unies pour le changement climatique (CNUCC) affirme ainsi dans le communiqué de lancement d’une plateforme internationale d’information sur les forêts : « Les stratégies d’utilisation des terres qui protègent les ressources forestières sont souvent une excellente option offrant un potentiel significatif pour l’atteinte d’objectifs, tels qu’accroître l’action climatique avant 2020, pour faire descendre la courbe des émissions lors de la décennie en cours, et mettre l’économie mondiale sur la voie de la neutralité carbone dans la deuxième moitié du siècle ».
 
 
Source : AFP, CNRS
 
Photo : AFP – Un singe hurleur roux, sur l’île de Barro Colorado, installée sur le canal de Panama, et devenue un véritable laboratoire de biologie tropicale
 
 

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