Le deuxième volet du sixième rapport du GIEC vient de sortir ce lundi 28 février : quelles sont les conséquences du réchauffement climatique sur les sociétés humaines et les écosystèmes et quels sont les moyens de s’y adapter ? Malgré un triste constat d’échecs, ce rapport renferme plusieurs nouveautés. Une section spéciale est consacrée aux impacts du changement climatique, aux risques et aux possibilités d’agir pour les villes et les établissements humains en bord de mer, les forêts tropicales, les montagnes, les zones critiques de biodiversité, les terres arides et les déserts, la Méditerranée et les régions polaires. Par ailleurs, un atlas présente les données et conclusions sur les impacts et les risques observés et prévus en rapport avec le changement climatique, de l’échelle mondiale à l’échelle régionale, afin d’offrir encore plus d’informations utiles aux décideurs. Une alarme sur l’irréversibilité des dégâts causés à notre planète et surtout un incroyable avertissement sur nos capacités à nous adapter.
La perte de biodiversité, la consommation globale non durable des ressources naturelles, les changements climatiques, la dégradation des terres et des écosystèmes, l’urbanisation croissante, les changements démographiques, les inégalités sociales et économiques, les pertes et les préjudices causés par les événements extrêmes et une pandémie : c’est le bilan des incidences et des risques liés au changement climatique s’inscrivant dans le cadre de tendances mondiales non climatiques qui se développent simultanément aujourd’hui et compromettent le développement futur.
Aussi, après le premier volet du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évoution du climat (Giec) publié en août 2021 qui s’intéressait à l’évolution du climat, cette deuxième partie, élaborée par 270 scientifiques de 67 pays, détaille les conséquences du réchauffement climatique sur les sociétés humaines et les écosystèmes. Elle passe également en revue les moyens de s’y adapter.
Le rapport du Groupe de travail II est le deuxième volet du sixième Rapport d’évaluation du GIEC, dont la publication s’achèvera cette année.
« Ce rapport reconnaît l’interdépendance du climat, de la biodiversité et des populations humaines et intègre davantage les sciences naturelles, sociales et économiques que les évaluations précédentes du GIEC », a fait valoir le président du GIEC, Hoesung Lee. « On y insiste sur l’urgence de prendre des mesures immédiates et plus ambitieuses pour faire face aux risques climatiques. Les demi-mesures ne sont plus possibles. »
« Ce rapport du GIEC est un atlas de la souffrance humaine et une accusation accablante de l’échec du leadership climatique, a réagi Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU. Les plus grands pollueurs du monde sont coupables de l’incendie criminel de notre seule maison. »
Le changement climatique dû aux activités humaines provoque des perturbations dangereuses et généralisées dans la nature et affecte la vie de milliards de personnes dans le monde, malgré les efforts déployés pour réduire les risques. Les populations et les écosystèmes les moins aptes à y faire face sont les plus durement touchés, affirment les scientifiques dans ce dernier rapport.
Hoesung Lee avertit dans un communiqué : « Ce rapport montre que le changement climatique fait peser une menace grave et grandissante sur notre bien-être et la santé de la planète. Les mesures prises aujourd’hui façonneront l’adaptation de l’humanité et la réponse de la nature aux risques climatiques croissants. »
Une situation qui s’aggrave
Alors que toutes les attentions sont accaparées par la guerre qui fait rage en Ukraine, ce rapport, réalisé à partir de l’analyse de 34 000 études, est bien plus alarmant que le précédent en 2014. Son diagnostic se durcit : le monde sera confronté à de multiples aléas climatiques inéluctables au cours des deux prochaines décennies avec un réchauffement planétaire de 1,5 °C. Le dépassement, même temporaire, d’un tel niveau de réchauffement entraînera des conséquences graves supplémentaires, dont certaines seront irréversibles. Les risques pour la société augmenteront, y compris pour l’infrastructure et les établissements humains sur les côtes de basse altitude.
Les impacts sont de plus en plus graves, interconnectés et souvent irréversibles sur les écosystèmes, la biodiversité et les systèmes humains. Il faut s’attendre à des vagues de chaleur et des sécheresses plus intenses et plus fréquentes, une augmentation des feux de forêt et des précipitations, une élévation du niveau de la mer, l’acidification des océans, … Les experts scientifiques le confirment : « L’augmentation des extrêmes météorologiques et climatiques a eu des impacts irréversibles, poussant les systèmes humains et naturels au-delà de leur limite d’adaptation ». Les concepts d’adaptation, vulnérabilité, exposition, résilience, équité et justice, diffèrent grandement selon les régions et les pays et évoluent également dans le temps, exacerbés par d’autres facteurs, tels que les inégalités de développement, la pauvreté ou l’accès limité aux services.
L’adaptation est souvent organisée autour de la résilience en tant que capacité à rebondir et revenir à un état antérieur après une perturbation. Plus largement, le terme décrit non seulement la capacité de maintenir une fonction, une identité et une structure essentielles, mais aussi la capacité de transformation.
Près de 3,6 milliards d’humains vivent dans des « contextes qui sont hautement vulnérables au changement climatique ». Cette vulnérabilité va s’accroître encore à l’avenir, en raison de la destruction accélérée, sous l’effet des activités humaines, des écosystèmes qui protègent les sociétés – coraux, zones humides, forêts, etc.
Le pire est à venir
Le réchauffement climatique est une réalité aujourd’hui. Il impacte notre santé, nos sociétés, nos écosystèmes, la vie et les moyens de subsistance des gens, de même que les biens matériels et les infrastructures cruciales comme les systèmes d’énergie et de transport, de plus en plus touchés par les aléas dus aux vagues de chaleur, tempêtes, sécheresses et inondations, ainsi que par les phénomènes à évolution lente telle l’élévation du niveau de la mer.
Les scientifiques parlent d’une « hausse inévitable de multiples dangers ». « Nous n’en sommes qu’au début », avertit Gonéri Le Cozannet, chercheur au Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) et l’un des auteurs du texte. Dans les prochaines années, ces effets, vont s’aggraver et s’intensifier avec chaque dixième de degré supplémentaire. Les risques peuvent se combiner entre eux – une sécheresse et une vague de chaleur – pour créer des conséquences en cascade – un feu de forêt –, auxquelles il sera plus compliqué de faire face.
Sur le plan sanitaire, le réchauffement climatique est déjà un problème : « Dans toutes les régions, les événements de chaleur extrême ont provoqué des morts », lit-on dans le rapport qui souligne l’augmentation des maladies respiratoires à cause des feux de forêt, ou des pathologies liées à la nourriture, à l’eau et aux animaux. Le rapport met le doigt, notamment, sur une progression du choléra provoquée par l’augmentation des pluies et des inondations. Dans certaines régions, l’augmentation des températures et des événements extrêmes a également des conséquences sur la santé mentale.
Ce rapport renferme aussi une évaluation détaillée des impacts du changement climatique, des risques et de l’adaptation dans les villes qui concentrent plus de la moitié de la population mondiale. La pollution de l’air s’y est aggravée et le fonctionnement d’infrastructures clés, comme les transports, l’énergie ou la distribution d’eau se voient limités. Ce sont des zones sensibles aux impacts et aux risques, mais indispensables à la solution.
« Ensemble, l’urbanisation croissante et le changement climatique créent des risques complexes, en particulier dans les villes qui souffrent déjà d’une croissance mal planifiée, de niveaux élevés de pauvreté et de chômage et d’un manque de services de base », a déclaré Debra Roberts, coprésidente du Groupe de travail II du GIEC. « Mais les villes offrent aussi des possibilités d’agir pour le climat – des bâtiments écologiques, un approvisionnement fiable en eau propre et énergie renouvelable, des modes de transport durables reliant les zones urbaines et rurales peuvent tous créer une société plus inclusive et équitable. »
Sur le plan économique, « des dégâts ont été détectés dans les secteurs sensibles au climat, avec des effets régionaux sur l’agriculture, la forêt, la pêche, l’énergie, le tourisme et la productivité du travail en extérieur ». Des « dégâts substantiels et des pertes de plus en plus irréversibles pour les écosystèmes terrestres, d’eau douce, côtiers et marins » impactent nos écosystèmes. Les auteurs du rapport expliquent que « L’étendue et la magnitude des impacts du changement climatique sont plus importantes qu’estimées dans les précédents rapports » puisque la moitié des espèces suivies se déplacent vers les pôles ou grimpent en altitude pour échapper à l’augmentation de la température, entraînant un risque d’extinction des espèces uniques et menacées au moins dix fois plus élevé dans un monde à + 3 °C, par rapport à 1,5 °C.
Les vagues de chaleur provoquent de fortes mortalités et des changements irréversibles se dessinent avec le retrait des glaciers, la fonte du permafrost dans les régions arctiques ou l’acidification des océans. En effet, les températures ont déjà grimpé de 1,2 °C par rapport à l’ère préindustrielle et les engagements de court terme des Etats mènent la planète vers un réchauffement de 2,7 °C à la fin du siècle, voire davantage.
Le rapport distingue deux périodes, le court terme (2021-2040) et le moyen-long terme (2040-2100). Pour la première, les jeux sont en partie déjà faits puisque nous avons déjà émis trop de gaz à effet de serre. « Le réchauffement climatique, en atteignant 1,5°C, causera une augmentation inévitable de risques climatiques multiples », affirme le rapport.
Pour la seconde, cela dépendra du niveau de réchauffement. Si l’on prend l’exemple des inondations, les dégâts seront, par rapport à un réchauffement de 1,5°C, jusqu’à 2 fois supérieurs pour 2°C, et jusqu’à 4 fois supérieurs pour un réchauffement de 4°C. « Environ un milliard de personnes pourraient être menacées par des aléas climatiques côtiers, à moyen terme et dans tous les scénarios » d’émissions de gaz à effet de serre, note le Giec. A l’heure actuelle, les promesses des Etats (non encore tenues) nous conduisent vers un réchauffement de 2,7°C.
De moins en moins de temps pour agir
Le changement climatique est un défi mondial qui exige des solutions locales, raison pour laquelle la contribution du Groupe de travail II au sixième Rapport d’évaluation du GIEC renferme énormément d’informations régionales utiles pour un développement résilient.
Le rapport indique clairement qu’un développement résilient face au changement climatique est déjà un défi au niveau actuel de réchauffement. Il sera plus limité si le réchauffement planétaire excède 1,5 °C. Dans certaines régions, il sera impossible si le réchauffement planétaire dépasse 2 °C. Ce constat crucial souligne l’urgence d’agir en faveur du climat, en s’attachant à l’équité et à la justice. Le terme de justice climatique, bien qu’il soit utilisé de différentes manières dans des différents contextes par différentes communautés, comprend généralement trois principes : la justice distributive, qui fait référence à la répartition des charges et des avantages entre les individus, les nations et les générations ; la justice procédurale qui se réfère à qui décide et participe à la prise de décision ; et la reconnaissance, qui implique un respect de base, un engagement solide et une considération équitable de tous les individus, ainsi qu’un engagement fort et une prise en compte équitable des diverses cultures et perspectives.
Il faut aussi un financement adéquat, le transfert de technologies, la volonté politique et la concertation pour rendre plus efficaces l’adaptation au changement climatique et la réduction des émissions.
« Les éléments scientifiques sont sans équivoque : le changement climatique est une menace pour le bien-être de l’humanité et la santé de la planète. » dénonce Hans-Otto Pörtner, coprésident du Groupe de travail II du GIEC.
« Les tendances actuelles et passées (les émissions, le développement et le changement climatique) n’ont pas permis de progresser vers un développement global résilient au changement climatique », écrivent les auteurs du rapport. Tout retard dans la mise en œuvre d’une action concertée, globale et anticipée en faveur de l’adaptation et l’atténuation nous fera rater la courte fenêtre d’opportunité, qui se referme rapidement, pour garantir un avenir vivable et durable pour tous. »
La multiplication des vagues de chaleur, des sécheresses et des inondations excède déjà les seuils de tolérance des végétaux et des animaux, provoquant la mortalité massive d’arbres, de coraux et d’autres espèces. Du fait qu’ils surviennent simultanément, ces extrêmes météorologiques ont des répercussions en cascade de plus en plus difficiles à gérer. Ils exposent des millions de personnes à une insécurité alimentaire et hydrique aiguë.
La chercheuse à l’université de Humboldt (Berlin) et autrice du rapport, Delphine Deryng, explique que « Les aléas climatiques réduisent la production agricole, et le CO2 stimule la photosynthèse mais réduit la qualité nutritive des cultures ».
Si l’on veut éviter de perdre toujours plus de vies humaines, de biodiversité et d’infrastructures, la prise accélérée de mesures ambitieuses est requise pour s’adapter au changement climatique, tout en réduisant rapidement et fortement les émissions de gaz à effet de serre. À ce jour, les progrès en matière d’adaptation sont inégaux et les écarts se creusent entre l’action engagée et ce qui est nécessaire pour faire face aux risques croissants, selon le nouveau rapport. Ces écarts sont particulièrement prononcés au sein des populations à faible revenu.
Un avenir viable n’est possible qu’en préservant et consolidant la nature
L’humanité peut-elle encore s’adapter ? Wolfgang Cramer, directeur de recherches du CNRS à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE) et l’un des auteurs du rapport, pense que « Si nous nous engageons beaucoup plus fortement qu’actuellement, nous pouvons arriver à éviter beaucoup des graves conséquences. » Mais la plupart des mesures sont « fragmentées, à petite échelle, progressives, spécifiques à un secteur, pensées pour répondre aux conséquences actuelles ou aux risques à court terme, et concentrées sur la planification plutôt que sur la mise en œuvre ». L’adaptation au changement climatique doit apporter des solutions « intégrées, multisectorielles, qui traitent aussi les inégalités sociales« . Elle peut prendre diverses formes. Et le rapport jette un éclairage nouveau sur le potentiel qu’a la nature de diminuer les risques climatiques, mais aussi d’améliorer la vie des gens. Il faut protéger la nature, menacée par les activités humaines : « Sauvegarder la biodiversité et les écosystèmes est fondamental pour un développement résilient au changement climatique« , écrivent les scientifiques du rapport.
« Les écosystèmes en bonne santé sont plus résilients au changement climatique et procurent des services vitaux comme la nourriture et l’eau potable », a indiqué Hans-Otto Pörtner. « En restaurant les écosystèmes dégradés et en préservant efficacement et équitablement 30 à 50 % des habitats terrestres, océaniques et d’eau douce, la société profitera de la capacité qu’a la nature d’absorber et de stocker le carbone et nous accéderons plus vite à un développement durable, mais la volonté politique et un financement adéquat sont essentiels. »
« Notre évaluation montre clairement que, pour relever ces différents défis, tout le monde – gouvernements, secteur privé, société civile – doit œuvrer de concert et en priorité à la réduction des risques, de même qu’à l’équité et à la justice, dans le processus décisionnel et l’investissement », a affirmé Debra Roberts.
« Cela permettra de concilier des intérêts, des valeurs et des visions du monde qui divergent. Les solutions seront plus efficaces si elles allient les connaissances scientifiques, les compétences technologiques et les savoirs autochtones et locaux. Faute d’un développement durable et résilient face au changement climatique, l’avenir de l’humanité et de la nature sera sous-optimal. »