Les forêts boréales – qui constituent le plus grand biome terrestre de la planète – représentent environ 23 % de la superficie forestière de notre planète et subissent généralement moins de pression de la part des activités humaines que les autres régions. Une analyse récente d’images satellites a toutefois montré que le changement climatique anthropique a atteint le biome – et c’est une scène digne de Tolkien : toute la forêt boréale est en mouvement.
Logan Berner, écologiste spécialiste du changement global, et Scott Goetz, expert en télédétection, tous deux de la Northern Arizona University, ont utilisé des images satellite Landsat de 1985 à 2019 pour examiner les changements de la couverture terrestre. Le long de la lisière sud des forêts boréales, l’équipe a observé une augmentation du brunissement, indiquant que les arbres mouraient. Le verdissement le long de la lisière nord, en revanche, a progressé au fil des décennies.
« Cela montre clairement que l’un des plus grands biomes du monde est au milieu d’une transition massive », affirme Terry Chapin, un écologiste de l’Université d’Alaska Fairbanks qui n’a pas participé à l’étude. « Cela met un autre clou dans le cercueil en termes de démonstration de ce que le changement climatique fait à notre planète ».
Quelle est la cause de ce changement ?
Le biome de la forêt boréale s’étend sur plus de 15 millions de kilomètres carrés et comprend des arbres à feuilles caduques et des conifères qui peuvent survivre à des températures froides toute l’année. Avant les travaux de Berner et Goetz, on prévoyait que ces forêts se déplaceraient vers le nord en raison du changement climatique, mais on ne savait pas encore si le biome était déjà en train de se déplacer. Le biome est cette unité écologique faisant référence à une vaste zone géographique qui partage un climat, une faune et une flore similaires : un ensemble d’écosystèmes aux conditions écologiques identiques.
Des études antérieures ont examiné le déplacement dans des zones localisées à l’aide de données satellitaires à résolution grossière, mais l’étude de Berner et Goetz est la première à révéler une image globale à l’aide des images à haute résolution de Landsat. Pour isoler les effets du changement climatique, les chercheurs ont exclu les zones forestières qui verdissaient parce qu’elles se remettaient de perturbations telles que les incendies de forêt et l’exploitation forestière. Par rapport aux travaux précédents, a déclaré Mme Chapin, « il s’agit d’une étude beaucoup plus propre en termes de capacité à tirer des conclusions sur les effets du climat. »
Les chercheurs ont suggéré que ce changement est dû à des facteurs directs et indirects. Dans les latitudes septentrionales, les températures plus élevées entraînent des saisons de croissance plus longues, ce qui accélère le développement des forêts. Dans le même temps, les températures à la lisière sud deviennent trop chaudes pour soutenir la croissance des forêts, ce qui entraîne le brunissement.
En outre, la comparaison des taux de verdissement et de brunissement avec une base de données sur les niveaux d’azote dans le sol a permis de découvrir un effet indirect jusqu’alors négligé : les zones qui connaissent un verdissement ont tendance à avoir des niveaux élevés d’azote dans le sol. Selon M. Berner, le réchauffement des latitudes septentrionales incite probablement les microbes à décomposer la matière organique et à libérer de l’azote, ce qui favorise ensuite la croissance des arbres.
Des effets d’une portée considérable
La comparaison du taux de verdissement sur l’ensemble de la période d’étude (1985-2019) avec le taux de verdissement au cours des deux dernières décennies a révélé que le changement ralentit – une tendance qui, selon Berner, va se poursuivre. « Si le changement climatique se poursuit, il est probable que nous assisterons à une contraction de la forêt boréale dans son ensemble, car la vitesse à laquelle les arbres meurent est beaucoup plus rapide que la vitesse à laquelle ils peuvent s’étendre », a-t-il observé. Selon M. Goetz, l’inclusion de données sur le déplacement de la forêt dans les modèles « sera notre meilleur moyen de prévoir ce qui risque de se produire au cours des deux ou trois prochaines décennies ».
Selon les auteurs, ce changement aura des conséquences considérables, dont certaines pourraient encore aggraver le changement climatique. La mortalité des arbres le long de la frontière sud augmentera le dioxyde de carbone dans l’atmosphère si les forêts ne sont pas remplacées par des plantes tout aussi efficaces pour fixer le carbone. L’augmentation de la couverture arborée dans le nord fera que cette région absorbera plus de lumière solaire, ce qui la réchauffera davantage. La végétation piège également la neige qui isole le pergélisol, ce qui pourrait provoquer sa fonte et entraîner la libération de méthane et de dioxyde de carbone.
Les effets du changement de forêt se répercuteront également sur les populations d’animaux sauvages. Par exemple, l’augmentation du verdissement aux latitudes nord peut amener les arbustes à supplanter les lichens dont dépendent les caribous pendant les hivers. Les lichens sont une source de nourriture déjà menacée par les feux de forêt. Les caribous sont connus pour façonner les forêts en piétinant la végétation et en redistribuant les nutriments lors de leurs migrations. Si le nombre de caribous diminue, leur capacité à façonner les forêts diminuera également. Les populations de castors, en revanche, ont augmenté ces dernières années. L’augmentation des plantes ligneuses le long de la marge septentrionale de la forêt boréale encouragera les castors à se déplacer vers le nord, endiguant et remodelant les rivières sur leur passage.
Cependant, Berner et Goetz ont averti que les données de télédétection ne donnent pas une image complète de tous les changements de l’écosystème. Une compréhension plus approfondie nécessitera une surveillance sur le terrain, des modèles avancés et davantage de télédétection. La surveillance écologique sera particulièrement importante, selon les auteurs, car les prévisions montrent que les événements extrêmes, notamment les vagues de chaleur, les sécheresses et les incendies de forêt, vont probablement augmenter en fréquence. Ces événements dévastateurs pourraient avoir un impact monumental sur le biome de la forêt boréale au cours des prochaines décennies.
Source : Sidik, Saima. (2022), Satellites reveal slow shift of the entire boreal biome, Eos, 103, https://doi.org/10.1029/2022EO220179.