Un tiers du Pakistan est sous l’eau, touchant ainsi environ 33 millions de personnes. Près de 1.700 personnes ont déjà trouvé la mort depuis juin dans les inondations et crues. Un chiffre qui n’inclut pas les victimes de maladies pour lesquelles l’ONU a mis en garde contre une « seconde vague » de décès que pourraient causer les maladies transmises par l’eau et la malnutrition. L’eau stagnante se transforme petit à petit en un cloaque pestilentiel où prolifèrent paludisme, choléra ou dengue. Ce pays est le reflet de ce que la montée des eaux va engendrer comme drames sur toute la planète dans les années à venir. Etat des lieux.
La montée des eaux devrait impacter plus de d’1 milliard de personnes au XXIe siècle avec un réchauffement de 2°C. Le chercheur en climatologie Benjamin Brown et son équipe estimaient déjà, en octobre 2021, que « si l’humanité parvient à limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels, le niveau des mers augmentera et submergera les villes où vivent actuellement un demi-milliard de personnes. ». « Dans un monde qui se réchaufferait d’un demi-degré de plus que ce seuil, 200 millions de citadins supplémentaires se retrouveraient régulièrement dans l’eau de mer jusqu’aux genoux et seraient plus vulnérables aux ondes de tempête dévastatrices (…) ».
Quel que soit le scénario, c’est l’Asie qui sera la plus touchée, avec neuf des dix mégapoles les plus menacées. Les terres où vivent plus de la moitié des populations du Bangladesh et du Viêt Nam tomberaient sous la ligne de marée haute à long terme, même dans un monde à 2 °C. Les zones bâties de Chine, d’Inde et d’Indonésie seraient également dévastées.
Il est donc déjà trop tard pour espérer n’observer aucune montée des eaux. La France ne serait pas le pays le plus durement touché. Mais la montée des eaux aura tout de même de lourdes conséquences dans plusieurs villes de l’Hexagone, telles Bordeaux, Anglet ou Nice. Si les émissions de gaz à effet de serre provoquent une augmentation de 3°C de la température de la planète, Bordeaux pourrait bien se retrouver sous l’eau. La ville de Nice n’échapperait pas non plus à la montée du niveau de la mer Méditerranée. La fameuse Promenade des Anglais, tout comme le vieux Nice et son célèbre Cours Saleya seraient immergés.
D’autres zones côtières françaises doivent également s’attendre à subir les conséquences de la montée des eaux, comme la Vendée ou la Charente-Maritime : l’île de Ré, l’île d’Oléron, la Rochelle et surtout le marais Poitevin seront ainsi exposés à la submersion marine si le niveau des eaux augmente d’un mètre (un scénario possible à l’horizon 2100 selon le dernier rapport du GIEC). Sur le littoral du Nord et du Pas-de-Calais, l’élévation du niveau de la mer d’un mètre inonderait même l’intérieur des terres dans une zone allant de Calais à Dunkerque. » (1)
Un risque croissant d’enfoncement des sols des métropoles
« Il ne faut pas imaginer que la montée de la mer affectera uniquement le littoral » explique Stéphane Costa, chercheur au CNRS. « Cela va également concerner l’intérieur des terres avec des remontées de nappes phréatiques, des zones humides seront inondées et des zones qui n’étaient pas humides vont le devenir. De plus, l’eau va pénétrer par les fleuves et les rivières et bloquer les écoulements, avec des répercussions sur plusieurs dizaines de kilomètres à l’intérieur des terres. » (2) Autre exemple, New York, qui est menacée de submersion, en particulier l’île de Manhattan (3), encadrée par l’océan Atlantique, l’East River et l’Hudson River. Les autorités ont donc opté pour la création d’un gigantesque mur anti-inondations. Il faut dire que des experts redoutent une montée des eaux de 20 à 75 cm à l’horizon 2050 qui menacerait New York de submersion, en particulier l’île de Manhattan. » « Avec un poids de 1 600 milliards de kilos, San Francisco pèse sur la coque extérieure de la Terre, qui commence à s’affaisser ! (…) »
On le voit bien, que d’ici 20 ans, 19 % de la population mondiale sera concernée par l’affaissement des sols, soit 635 millions de personnes, selon une étude publiée en janvier 2021 dans la revue Science. Les chercheurs de l’Institut géologique et minier d’Espagne expliquent : « Au cours des prochaines décennies, la population mondiale et la croissance économique continueront d’augmenter, ainsi que la demande d’eau souterraine et logiquement son épuisement, exacerbé par les sécheresses. Cela augmentera probablement la fréquence d’affaissement des terres ».
Sans surprise, Venise est particulièrement touchée avec un enfoncement de 0,8 à 10 mm par an. À Téhéran, en Iran, c’est pire. La ville s’enfonce de cinq centimètres avec des zones dont le niveau baisserait même de 25 centimètres annuellement !
Au Nigeria, Lagos, capitale économique du pays pourrait étre complètement submergée d’ici 2050 : « Lagos s’enfonce déjà progressivement avec la montée des eaux (…) Un phénomène aggravé par les tonnes de sables draguées au fond de la mer pour construire les bâtiments (…). De même, en Indonésie, le Président a décidé de déplacer la capitale, Jakarta. Certains quartiers de la capitale en sursis se sont déjà enfoncés de 2,5 mètres par an. Les experts estiment que d’ici 30 ans, 95 % du nord de Jarkarta seront submergés. La surpopulation, les embouteillages monstres, les risques sismiques, mais surtout les tsunamis et les inondations qui se multiplient à cause du réchauffement climatique… sont autant de facteurs explicatifs. Si le président Joko Widodo a choisi de déplacer la capitale de l’île de Java à l’île Bornéo, les chercheurs appellent à ne pas baisser les bras car des leviers existent. Tokyo ou Shanghai ont par exemple pris des mesures pour limiter le pompage des eaux souterraines et ont ainsi considérablement atténué l’affaissement des terres. » (4)
La montée du niveau des mers dépend du niveau de réchauffement climatique
Or, selon le rapport des experts climat de l’ONU (GIEC) sur les océans, publié en septembre 2021, le niveau des mers devrait augmenter de 43 centimètres environ d’ici 2100 dans un monde à +2 °C, mais de 84 cm dans un monde à +3 °C ou + 4 °C, réchauffement vers lequel nous conduisent les tendances actuelles.
Cependant, Alexander Nauels de l’institut Climate Analytics a publié une étude encore plus pessimiste. Il évalue qu’au « total, la montée des eaux atteindrait au moins un mètre d’ici 2030, dans le scénario très improbable où les émissions tomberaient à zéro en 2030. »
En tout état de cause, la hausse a de grandes chances de dépasser le mètre. Les scientifiques mandatés par l’ONU ont déjà prédit 26 à 77 cm d’ici la fin de notre siècle. Mais le quart de cette élévation d’un mètre sera dû aux seules émissions de la Chine, des États-Unis, de l’Union européenne, de l’Inde et de la Russie pendant 40 ans, pour la seule période 1991-2030, calculent les chercheurs dans la nouvelle étude.
Par comparaison, les océans ont monté de l’ordre de 20 cm au cours du XXe siècle. Cependant, le chercheur en climatologie Benjamin Brown et son équipe, estiment que les prévisions du GIEC se révèlent très fortement sous estimées. Ils esquissent plusieurs scénarios de montée des eaux en fonction de la gravité du réchauffement climatique : Dans l’hypothèse où la planète ne se réchaufferait plus, si toutes les émissions de gaz à effet de serre étaient brutalement stoppées dès maintenant, le réchauffement climatique déjà engagé contribuerait à une montée des eaux moyenne de 1,9 mètre.
En cas de réchauffement limité à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle – un seuil qui sera atteint en 2030 d’après le GIEC -, l’eau monterait de 2,9 mètres. Dans l’hypothèse d’un réchauffement à 2°C, le niveau des mers grimperait de 4,7 mètres. Si la planète se réchauffe de 3°C – scénario le plus probable d’ici 2100 selon le GIEC si l’on continue à émettre des gaz à effets de serre au rythme actuel -, le niveau de l’eau monterait de 6,4 mètres.
« Le scénario le plus catastrophique, en cas de réchauffement de 4°C, serait que les océans s’élèvent de 8,9 mètres. » (5). « Si la croissance atteint 2°C cela touche environ 1 milliard de personnes selon le GIEC. Alors, à près de 9 mètres, ce sont plusieurs milliards d’habitants qui devront abandonner leurs habitations, voire leur pays ! (…) Le panel d’experts du GIEC estime que plus d’un milliard de personnes vivraient d’ici le milieu du siècle dans des zones côtières particulièrement vulnérables et que le rythme d’élévation du niveau des mers pourrait être 100 fois plus rapide au XXIIe siècle, pouvant passer à plusieurs centimètres par an, pour ensuite atteindre jusqu’à plusieurs mètres au total d’ici 2300 si les émissions ne sont pas réduites. Dans un rapport publié en 2020, les experts du GIEC ont écrit que réduire de 10 cm la montée des eaux permettrait d’épargner directement 10 millions de personnes. » (6)
Par conséquent, tous les efforts s’avèrent utiles pour limiter la casse… Pourtant, il y a encore pire que la montée des eaux,… le climat.
L’agriculture gravement impactée par le réchauffement climatique
2020 est en passe de devenir l’une des trois années les plus chaudes jamais enregistrées. Le changement climatique a continué sa progression inexorable pendant l’année 2020, qui est en passe de devenir l’une des trois années les plus chaudes jamais constatées. La décennie 2011-2020 sera la plus chaude jamais observée et les six années écoulées depuis 2015 sont les plus chaudes qui ont été enregistrées, d’après l’Organisation météorologique mondiale (OMM).
Selon le rapport provisoire de l’OMM sur l’état du climat mondial en 2020, le réchauffement océanique bat des records et plus de 80 % des océans ont subi une vague de chaleur en 2020. Cette situation a de graves répercussions sur les écosystèmes marins, qui souffrent déjà de l’acidification des eaux due à l’absorption du dioxyde de carbone (CO2).
« La température moyenne mondiale en 2020 devrait être supérieure d’environ 1,2 °C à sa valeur préindustrielle (période 1850-1900). Il y a au moins une chance sur cinq qu’elle dépasse temporairement 1,5 °C d’ici 2024 », a déclaré le Secrétaire général de l’OMM, M. Petteri Taalas.
En moyenne, depuis le début de l’année 1993, le rythme moyen mondial d’élévation du niveau de la mer déduit de données altimétriques s’élève à 3,3 ± 0,3 mm/an. Ce rythme s’est aussi accéléré depuis cette année-là.
Par ailleurs, aux États-Unis, les plus grands incendies jamais enregistrés se sont produits à la fin de l’été et en automne. Une sécheresse généralisée et une chaleur extrême ont contribué à leur déclenchement, et la période de juillet à septembre a été la plus chaude et la plus sèche jamais enregistrée dans le sud-ouest du pays. Le 16 août, on a enregistré dans la vallée de la Mort, en Californie, la température mondiale la plus élevée depuis au moins 80 ans : 54,4 °C. En 2020, le nombre de cyclones tropicaux dans le monde a été supérieur à la moyenne : au 17 novembre, 96 cyclones ont été enregistrés pour la saison 2020 de l’hémisphère Nord et la saison 2019/20 de l’hémisphère Sud » (7). Des phénomènes en cascade qui vont provoquer des famines partout dans le monde.
Thierry Brugvin, Docteur en sociologie, Essayiste – Chroniqueur invité UP’ Magazine
(1) Strauss Benjamin H., KULP Scott A, RASMUSSEN D J., LEVERMANN Anders, unprecedented threats to cities from multi-century sea level rise, IOP Publishing Ltd, Environmental Research Letters, Volume 16, Number 11, 22 October 2021, in UP’ Magazine, Montée des eaux : on ne peut plus dire « si » mais « quand » , 13 October 2021
(2) Leussier Héloïse, « Montée des eaux en France : les prévisions alarmantes des scientifiques », Reporterre, 9 juin 2021
(3) AFP, UP Magazine, « New-York construit un mur contre la montée des eaux », 14 décembre 2021.
(4) Novethic, “San Francisco, Téhéran, Lagos… Ces métropoles qui s’enfoncent dangereusement », 2 avril 2021
(5) Strauss 2021
(6) AFP, Relaxnews, Futura, Réchauffement climatique : la montée des eaux sera bien plus élevée et rapide que prévu », 13/12/2021.
(7) Press Release Number, « Les phénomènes météorologiques extrêmes aggravent l’impact de la COVID-19 », 2 décembre 2020.
Photo d’en-tête : Pakistan, 2022 – ©AFP