Parfois, on a l’impression de marcher sur la tête. Les effets du dérèglement climatique se font sentir par chacun d’entre nous et hormis quelques climatosceptiques invétérés, tout le monde — et notamment la communauté scientifique — s’accorde sur le fait d’attribuer le réchauffement aux activités humaines émettrices de gaz à effet de serre. Parmi celles-ci, l’une des plus polluantes est l’avion. Alors que seulement 1% de la population humaine utilise ce mode de transport, il est responsable de plus de la moitié des émissions de CO2 dans l’atmosphère dues aux déplacements. Or l’aviation connaît la croissance la plus rapide en Europe. Le trafic aérien est en train de revenir aux niveaux d’avant la pandémie, de les dépasser même.
L’industrie aéronautique est l’une des industries les plus dommageables pour le climat et les plus injustes de la planète. Au cours des dernières décennies, l’aviation a été la source d’émissions de gaz à effet de serre qui a connu la croissance la plus rapide en Europe (+29 % entre 2009 et 2019). Et plus encore, l’industrie aéronautique prévoit de doubler le trafic aérien mondial d’ici 2037. Si les tendances actuelles se poursuivent, l’industrie de l’aviation sera l’un des principaux responsables de l’effondrement du climat.
Les vols court-courriers (moins de 1500 km), pour lesquels le train est une alternative facilement disponible et respectueuse du climat, représentent un quart des émissions polluantes de l’aviation européenne. Outre l’impact sur le CO2, l’impact non CO2 du transport aérien (par exemple les oxydes d’azote, les particules de suie, etc.) est deux fois grave que ses émissions de CO2, comme l’ont démontré des scientifiques indépendants et confirmé par une étude publiée par la Commission européenne. Par rapport au train, l’impact climatique des vols court-courriers est totalement disproportionné. En effet, le train émet, en moyenne, 14 fois moins de CO2 par passager et par kilomètre que l’avion. Quant aux trains les plus modernes, ils fonctionnent de plus en plus à l’énergie renouvelable, réduisant d’autant leur empreinte carbone.
La raison d’une absurdité
Connaissant le niveau de pollution du transport aérien, pourquoi les voyageurs ne le délaissent-ils pas au profit du train, incomparablement plus vertueux en matière d’environnement ? La raison à cette absurdité tient en un mot : le prix. Un voyage en avion peut coûter jusqu’à 30 fois moins cher qu’un voyage en train pour la même destination. Pourquoi prendre le train de Londres à Barcelone et payer jusqu’à 384 euros alors que les billets d’avion sont disponibles au prix ridiculement bas de 12,99 euros ?
La France est l’un des pays d’Europe où le transport en avion est majoritairement moins cher que le train. En moyenne, un billet de train, toutes liaisons confondues, coûte 2,6 fois plus cher qu’un billet d’avion acheté en France. Pour certaines destinations comme le Paris-Valence en Espagne, l’avion est 12 fois moins cher que le train.
Le vol Paris-Toulouse est l’une des destinations les plus fréquentées en Europe. Remplacer ce vol en avion par un trajet en train économiserait 244 000 tonnes de gaz à effet de serre. C’est l’équivalent de ce que dégagent 163 000 voitures à moteur thermique en une année, c’est-à-dire l’équivalent de toute la flotte de véhicules d’une ville comme Nantes.
Ces chiffres sont le résultat d’une étude méticuleuse menée par Greenpeace. Son rapport détaille les prix de plusieurs destinations dans chacun des pays européens. Sur 121 itinéraires étudiés, 79 sont moins chers en avion. Dans l’ensemble, l’étude est « bien faite » et tient compte des complexités du système, telles que l’heure de la réservation, a déclaré au Guardian Stefan Gössling, professeur à l’université Linnaeus en Suède, qui a étudié les émissions des vols. « Cela dit, les résultats ne sont pas surprenants, car le transport aérien est fortement subventionné ».
Si vous prenez l’avion, vous êtes subventionné ; si vous prenez le train, vous êtes pénalisé
Comment cela est-il possible ? Tout simplement parce que l’on marche sur la tête. En pleine urgence climatique, les institutions de l’Union européenne et les gouvernements nationaux subventionnent et font des cadeaux fiscaux aux compagnies aériennes et aux aéroports, et en même temps, ferment des gares et des lignes ferroviaires. Résultat ? L’avion s’envole et les trains rament, battus à plate couture sur le terrain des prix.
Le train est trop cher, mais l’avion est — d’un point de vue environnemental — scandaleusement bon marché. L’une des explications réside dans les systèmes de tarification inéquitables qui favorisent le transport aérien par rapport au transport ferroviaire : alors que les compagnies aériennes ne paient ni taxe sur le kérosène ni TVA sur les vols internationaux et bénéficient de subventions payées avec l’argent des contribuables, les chemins de fer doivent s’acquitter de taxes sur l’énergie, de la TVA et de péages ferroviaires élevés dans la plupart des pays européens.
Une étude publiée au début du mois par Transport and Environment, un groupe de travail écologiste, a révélé que les gouvernements européens ont perdu 34,2 milliards d’euros en raison d’une mauvaise taxation de l’aviation en 2022. Le « déficit fiscal » devrait atteindre 47,1 milliards d’euros en 2025, selon le rapport.
« En résumé, si vous prenez l’avion, vous êtes subventionné ; si vous prenez le train, vous êtes pénalisé par des prix plus élevés – et par le fait que le voyage est souvent plus long », résume M. Gössling. Cette réglementation inéquitable des conditions de voyage mine les chemins de fer européens et pollue la planète, tout cela au profit des compagnies aériennes : il est temps d’inverser la tendance. Les citoyens méritent d’avoir accès à un système de transport propre, efficace et durable qui ne nuise pas au climat, aux personnes et à notre planète.
L’Agence internationale de l’énergie, une organisation basée à Paris et dirigée par les ministres de l’énergie de la plupart des pays riches, appelle les décideurs politiques à « taxer l’aviation en fonction de son impact, en reconnaissant que seule une minorité de personnes dans le monde prend l’avion ». Elle leur a également recommandé de développer les carburants durables pour l’aviation.
Greenpeace, en conclusion de son rapport, demande aux gouvernements d’introduire des « billets climatiques nationaux, simples et abordables ». En 2021, l’Autriche a commencé à vendre un tel billet qui couvre tous les transports publics du pays pour le prix de 3 euros par jour. En 2020, le Luxembourg est devenu le premier pays d’Europe à offrir des transports publics gratuits. L’ONG appelle à la suppression progressive des subventions accordées aux compagnies aériennes. « Les avions polluent bien plus que les trains, alors pourquoi les gens sont-ils encouragés à prendre l’avion ?