Les vagues de chaleur estivales de la Méditerranée s’intensifient, tout comme les incendies de forêt. Pour les experts, cependant, tout cela met en évidence une nouvelle réalité effrayante : les incendies de forêt deviennent trop violents, trop fréquents et persistants, et font rage sur des zones trop vastes pour être maîtrisés sans mesures de prévention rigoureuses. Et le risque s’étend.
Les feux ont tué 34 personnes en Algérie le mois dernier. En Grèce, 19 000 personnes ont dû être évacuées. La semaine dernière, les pompiers italiens ont combattu 1 400 incendies en l’espace de trois jours. En Tunisie, où les températures ont atteint 49°C, les familles sont désemparées après que des dizaines de maisons et de terres agricoles ont été englouties par les flammes. Les interventions diffèrent d’un pays à l’autre. Certains se sont appuyés sur leur flotte nationale d’avions de lutte contre les incendies, d’autres ont appelé à l’aide. Les pays les plus riches disposaient de plans d’évacuation et d’intervention plus élaborés que leurs homologues plus pauvres d’Afrique du Nord.
Un manque de ressources
Alors que les incendies de forêt s’intensifient, les pays à risque sont pris dans un jeu de rattrapage des ressources. Cependant, les experts s’accordent à dire que ces efforts sont limités ; aucun pays ne disposera de ressources suffisantes pour lutter seul contre les incendies.
Le climat méditerranéen rend les terres fertiles pour les incendies : les hivers humides permettent à la végétation de pousser, tandis que les étés chauds et secs les transforment en poudrières. Des séries d’incendies dévastateurs ont ainsi secoué l’Europe du Sud et le bassin méditerranéen. En 2017, ils ont tué 66 personnes au Portugal. En 2018, ils ont englouti la ville grecque de Mati, située en bord de mer, faisant plus de 100 morts. En 2021, les incendies du mois d’août en Algérie ont fait 90 morts, et des dizaines d’incendies d’été ont été recensés depuis.
Ces événements ont forcé une prise de conscience dans la région, mais les ressources restent très variables. L’Algérie a acquis son premier avion de lutte contre les incendies cette année. L’Italie dispose d’une flotte d’au moins 19 appareils, tandis que la France a porté la capacité de sa flotte aérienne en 2023 à 47 appareils (avions et hélicoptères).
Après les incendies meurtriers de 2021 en Algérie, les civils ont accusé le gouvernement d’être responsable du nombre élevé de morts. « Depuis hier, nous n’avons pas vu un seul policier ou gendarme ! » Fethi, un volontaire de la région de Tizi Ouzou, dans le nord de l’Algérie, a déclaré à Al Jazeera : « Personne n’est venu nous donner des instructions ou nous aider à évacuer ».
L’Algérie dit avoir renforcé ses capacités, mais doit encore faire des choix difficiles face à des incendies de grande ampleur. Le gouvernement algérien a annoncé le 30 avril dernier le lancement d’un appel d’offres pour l’acquisition immédiate de six avions bombardiers d’eau de taille moyenne pour lutter contre les feux de forêt. Cet ordre n’a été suivi d’aucun effet jusqu’à ce jour.
Selon Florent Mouillot, chercheur sur le changement climatique et les incendies à l’Institut français de recherche pour le développement, la Tunisie voisine s’est efforcée d’améliorer son plan d’intervention, notamment en collaborant avec des experts sur un nouveau système de surveillance de la sécheresse de la végétation et des tendances météorologiques, mais « tout cela a un coût de maintenance que l’économie actuelle pourrait difficilement supporter » déclare-t-il au Washington Post. Il en va de même pour l’Algérie, qui est beaucoup plus grande et bénéficie de moins de coopération internationale.
La Grèce est considérée comme un chef de file dans la région en matière de lutte contre les incendies de forêt. Mais là aussi, il y a des lacunes. La Grèce est très en retard en termes de technologies de lutte contre les incendies et d’utilisation de la météorologie et de la science des incendies. Ce n’est qu’après les incendies meurtriers de Mati que la Grèce a officialisé la collaboration entre ses services forestiers et ses services de lutte contre les incendies, en associant la prévention et la lutte contre les incendies. Et ce n’est que l’année dernière que le pays a engagé son premier groupe de météorologues spécialisés dans la lutte contre les incendies.
Se préparer aux « monstres
Theodore Giannaros, météorologue spécialiste des incendies et chercheur associé à l’Observatoire national d’Athènes, estime qu’il fallait changer « toute la façon » dont la région gère les incendies extrêmes. « Nous devons comprendre qu’il est souvent presque impossible d’arrêter ces monstres, même avec une capacité accrue », affirme-t-il. « Ce n’est pas seulement un problème de ressources, d’équipement et de personnels. En effet, lorsqu’il y a deux, trois ou quatre grands incendies de forêt, je ne suis pas sûr qu’un quelconque mécanisme de lutte contre les incendies dans le monde puisse y faire face ».
Sébastien Lahaye, ancien pompier et coordinateur de projets européens autour de la gestion des feux, interrogé sur franceinfo abonde, faisant observer que compte tenu des sécheresses généralisées, il existe « un effet de seuil à partir duquel on n’a plus assez d’avions disponibles pour faire face aux 10, voire 50 feux qui démarrent simultanément ».
M. Giannaros pense que l’accent devrait plutôt être mis sur les mesures d’atténuation préventives, notamment les systèmes d’alerte précoce qui permettent d’intervenir « avant qu’ils ne deviennent des monstres ». Mais le financement de ces initiatives reste à la traîne : « Selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques pour l’année 2023, les dépenses consacrées à la lutte contre les incendies de forêt dans de nombreux pays exposés aux incendies de forêt sont encore six fois plus élevées que les dépenses consacrées à la prévention des risques.
Par ailleurs, la proposition de législation visant à développer un cadre d’observation des forêts à l’échelle de l’Union européenne a été retardée, certains gouvernements estimant que la gestion des forêts est une question nationale.
Le Portugal se distingue en Europe par son approche avant-gardiste. Avant les incendies meurtriers de 2017, seuls 20 % de son budget de lutte contre les incendies étaient consacrés à la prévention ; aujourd’hui, les dépenses de prévention et de lutte contre les incendies sont presque à parité. Le pays collabore étroitement avec les chercheurs, qui recueillent des données en direct et évaluent la meilleure façon de contenir les incendies pendant la haute saison. Ils procèdent également à des brûlages dirigés – de petits feux contrôlés gérés par des experts – qui sont peu courants et limités dans d’autres régions d’Europe.
Les limites de l’action collective
La fréquence et l’intensité des incendies augmentant, les systèmes d’aide régionaux évoluent. Grâce au mécanisme de protection civile de l’Union européenne, les pays en difficulté peuvent demander à l’Union de solliciter l’aide de ses États membres. L’Union européenne dispose de sa propre flotte d’avions qui peut être utilisée pour soutenir les efforts de lutte contre les incendies, dans le cadre du programme rescEU. Mais sur les 24 avions (10 Canadairs et 14 avions amphibie) et les quatre hélicoptères stationnés sur le continent, seuls deux sont des appareils haut de gamme. Des achats sont en cours pour porter le nombre d’hélicoptères à 12 d’ici à 2030.
« Cette nouvelle flotte rescEU constituera alors le cœur des capacités propres de l’UE pour les saisons d’incendies de forêt, en complément des capacités de réponse nationales et de la solidarité ad hoc exprimée par les pays qui envoient des avions via le mécanisme de protection civile de l’UE », observe Balazs Ujvari, porte-parole de la Commission européenne. En outre, plus de 400 pompiers sont actuellement positionnés préventivement en Grèce, en France et au Portugal.
En 2021, le mécanisme de protection civile de l’UE a été activé sept fois pour aider à lutter contre les incendies de forêt. En 2022, ce nombre est passé à 12. Cette année, l’Union a déjà été appelée à soutenir des équipes de protection civile au Canada, en Grèce, en Italie, en Tunisie et même en France, alors que la majeure partie du mois d’août – traditionnellement le pire mois pour les incendies de forêt – n’est pas encore terminée.
« Nous avons été en mesure de mobiliser de l’aide en réponse à l’écrasante majorité des demandes », argue M. Ujvari. Mais les fonctionnaires européens reconnaissent que les pompiers sur le terrain et les avions dans les airs ne peuvent pas tout faire. « Chaque année, il est plus difficile de s’attaquer à ces incendies, car ils sont si puissants, si forts », fait observer le capitaine Laurent Alfonso, officier supérieur chargé des incendies à l’Union pour la Méditerranée. « Nous ne gagnerons pas le combat en nous contentant d’augmenter les capacités d’intervention. Le défi consiste désormais à se concentrer sur la prévention ».
Selon M. Gonçalves dans son entretien au Post, les décideurs politiques de la région doivent renforcer la coopération, le partage des connaissances et l’entraide. D »autant qu’avec le réchauffement climatique, les feux ne concernent pas que les pays du Sud. « Aucun pays n’est en mesure de disposer de toutes les ressources nécessaires », prévient-il. « Le feu ne connaît pas de frontières.
On connaît les raisons de ces incendies dévastateurs qui s’amplifient chaque année en Europe et sur d’autres continents : ce sont les dérèglements climatiques qui en sont la cause. Evacuer les touristes qui arrivent sur les îles grecques en avion, moyen de transport on ne peut plus hérésiarque aujourd’hui, s’équiper pour affronter ces mégafeux est une bonne chose, etc… mais ce ne sont que des solutions de court terme. Et elles le demeureront tant que les dirigeants de la planète ne remettront pas en question le seul problème qui nous concerne : sortir de ce système extractiviste, productiviste et consumériste.… Lire la suite »