Une planète en surchauffe est « encore plus effrayante qu’une guerre nucléaire », a déclaré dimanche le président américain Joe Biden dans une remarque qui a été moins médiatisée qu’elle ne le méritait. Répondant à une question de la correspondante de l’Agence France-Presse à la Maison Blanche, Aurelia End, à l’issue de sa visite au Viêt Nam, le président a ajouté que si les températures mondiales dépassaient de 1,5 degré Celsius les niveaux préindustriels au cours des 10 à 20 prochaines années, « il n’y aurait aucun moyen de revenir en arrière ».
Venant du dirigeant de la première superpuissance climatique et nucléaire du monde, il s’agit là d’une déclaration capitale qui mérite attention. D’autant qu’elle se situe à la veille de la réunion annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies, les 18 et 19 septembre, suivie du sommet de l’ONU sur l’ambition climatique, le 20 septembre.
« La seule menace existentielle à laquelle l’humanité est confrontée et qui est encore plus effrayante qu’une guerre nucléaire »Cette petite phrase lourde de sens a été prononcée lors d’un habituel point presse au retour du voyage du président américain au Viêt-Nam : « la seule menace existentielle à laquelle l’humanité est confrontée et qui est encore plus effrayante qu’une guerre nucléaire est un réchauffement planétaire de plus de 1,5 degré au cours des 10 à 20 prochaines années. Ce serait un vrai problème. Il n’y a pas moyen de revenir en arrière. »Le président Bident sait, comme tous les dirigeants de la planète que leurs politiques en matière de climat doivent impérativement être en phase avec un avenir à 1.5° Celsius. Pour cela, il faudrait réduire les émissions mondiales de moitié d’ici à 2030, soit dans sept ans à peine. La plupart des experts en climatologie disent que les États-Unis et la Chine, entre autres, ne sont pas sur la bonne voie pour cet avenir à 1,5 degré Celsius. Certains sont même très loin du compte.
Le courage de ne pas baisser les yeux
Après l’échec du G20 n’ayant pu aboutir à une réduction de l’utilisation des combustibles fossiles, le sommet Ambition pour le climat qui se tient à New-York ce 20 septembre est d’une importance capitale. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a déclaré que seules les nations proposant « des actions crédibles, sérieuses et nouvelles en matière de climat et des solutions fondées sur la nature qui feront avancer les choses et répondront à l’urgence de la crise climatique » seront autorisées à y participer.
Cette stipulation aurait incité le premier ministre britannique Rishi Sunak à prendre la décision très inhabituelle de n’assister à aucune des réunions de l’ONU. Le Guardian rapporte que M. Sunak a été averti en privé que le bilan climatique de la Grande-Bretagne, et notamment la décision prise cet été par le Premier ministre britannique de « maximiser » la production de pétrole et de gaz en mer du Nord, l’exclurait du sommet. Ainsi, plutôt que de risquer cet embarras, le vice-premier ministre de M. Sunak viendra à New York à sa place. Mais qu’en est-il des autres chefs d’Etat ? M. Biden, le président chinois Xi Jinping et les dirigeants d’autres grands pays pollueurs seront-ils autorisés à participer au sommet sur l’ambition climatique ? les États-Unis et la Chine ne sont pas sur la bonne voie pour un avenir à 1,5 degré Celsius. Pas plus que d’autres pays comme la France. Dans ce cas, le secrétaire général est-il vraiment prêt à exclure les pays les plus puissants de la planète de son sommet sur le climat ? Aura-t-il le courage de ne pas baisser les yeux ?
Pressions et résistances
Pendant ce temps, les voix de la société civile se font de plus en plus entendre. Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté ce dimanche dans les rues de New York, réclamant plus d’actions contre le changement climatique, à deux jours de l’ouverture officielle de l’Assemblée générale des Nations unies. 700 organisations et groupes d’activistes étaient à New York, brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait notamment lire « Biden, mets fin aux énergies fossiles », « Les énergies fossiles nous tuent » ou encore « Je n’ai pas voté pour les incendies et les inondations ».
Cet élan de masse fait pression pour que les gouvernements du monde entier prennent le changement climatique plus au sérieux, pour hausser le niveau de leurs actions à la hauteur de l’urgence de la crise. Dans un rapport de l’ONU sur le climat publié ce mois-ci, des experts internationaux ont indiqué que les émissions de gaz à effet de serre devraient atteindre leur point culminant en 2025 – suivi d’une forte baisse par la suite – non pas par pénurie de pétrole mais par baisse de la demande. Sans doute sera-t-il trop tard.
« L’histoire se souviendra de leur action ou de leur inaction »Aussi, tout est bon pour faire fléchir les dirigeants politiques et les convaincre d’agir vite. Analilia Mejia, directrice du groupe d’activistes Center for Popular Democracy (Centre pour la démocratie populaire) résume la situation sous forme de menace à peine voilée : « L’histoire se souviendra de leur action ou de leur inaction », déclare-telle. « Et si nous avons de la chance, les êtres humains seront là pour se souvenir de ce que (les dirigeants mondiaux) ont fait lors de ce sommet »D’autres choisissent la voie de la justice pour attaquer au portefeuille et faire plier : la Californie a ainsi lancé vendredi dernier une action en justice contre cinq géants du pétrole pour leur rôle dans le réchauffement climatique, les accusant d’avoir causé des milliards de dollars de dégâts et d’avoir trompé le public sur les risques liés aux énergies fossiles.
En France, plusieurs éminents scientifiques de l’environnement ont publié une tribune dans laquelle ils s’insurgent contre » la contradiction manifeste entre les engagements climatiques affichés par les majors fossiles telles que TotalEnergies et leurs actes. La plupart de ces entreprises se sont engagées à atteindre zéro émission nette d’ici à 2050. Or, rappellent les signataires, en mai 2022, ont été identifiés 425 grands projets d’extraction fossile dans le monde, appelés « bombes carbone », dont les émissions potentielles combinées représenteraient deux fois le budget carbone à ne pas dépasser pour maintenir 1,5 °C de réchauffement au niveau mondial.
Les auteurs de cette tribune appellent à la création et l’adoption d’un traité de non-prolifération des énergies fossiles, porté depuis 2015 par un groupe d’États du Pacifique et déjà soutenu par des milliers d’autres acteurs, dont l’Organisation mondiale de la santé et le Parlement européen. L’adoption d’un tel traité serait un signal fort aux industries et aux investisseurs pour les inciter à abandonner une fois pour toutes les énergies fossiles.
Même pas peur
Coups d’épée dans l’eau ? Prêches dans le désert ? L’urgence climatique appelle à la mobilisation de toutes les initiatives. Les prises de consciences semblent acquises si l’on en croit la petite phrase de Joe Biden. Alors pourquoi l’action tarde-t-elle tant ? Est-ce du cynisme ou de la lâcheté ? Les pressions pour retarder le plus possible la décarbonation de l’économie se font de plus en plus fortes. La décision du gouvernement français d’autoriser la vente à perte des carburants est un mauvais signal même s’il répond à des réalités très concrètes liées au pouvoir d’achat et à l’impossibilité pour certaines catégories de la population de changer de modèle énergétique sans aides beaucoup plus fortes de l’Etat. De fait, le monde consomme toujours plus de pétrole et la demande semble ne pas vouloir fléchir.
Principe de réalité arguent ceux, de plus en plus nombreux, qui participent du déni climatique. « La vie réelle » comme le déclare Patrick Pouyanné, le patron de TotalEnergies face au célèbre climatologue Jean Jouzel, pour réfuter tout argument scientifique, et justifier l’inaction. La crise climatique pire que la guerre nucléaire ? Même pas peur.