Une nouvelle étude confirme que le Gulf Stream est nettement en train de s’affaiblir, ce qui a de profondes répercussions sur l’un des plus grands systèmes météorologiques de notre planète. Lorsque le Gulf Stream change, le climat change aussi. C’est tous nos modes de vie en Europe et en Amérique du Nord qui risquent d’être encore plus gravement bouleversés par des événements climatiques extrêmes et une montée des eaux catastrophique.
Des chercheurs de la Woods Hole Oceanographic Institution et de l’université de Miami ont examiné quatre décennies de données provenant du détroit de Floride, y compris des mesures du volume d’eau de mer transporté dans la région au cours de cette période. Ils ont constaté que le transport par le Gulf Stream avait diminué d’environ 4 % au cours des 40 dernières années, ce qu’ils décrivent comme la première « preuve observationnelle concluante et sans ambiguïté » d’un ralentissement. Bien que les raisons sous-jacentes n’aient pas été évaluées dans le cadre de l’étude, il y a 99 % de chances que cet affaiblissement ne soit pas un événement aléatoire, affirment les chercheurs.
« Il s’agit de la preuve la plus solide et la plus définitive que nous ayons de l’affaiblissement de ce courant océanique important pour le climat », déclare l’océanographe Chris Piecuch, de la Woods Hole Oceanographic Institution. Le détroit de Floride est un bon exemple des effets du Gulf Stream, qui part du golfe du Mexique, contourne la Floride, remonte la côte est des États-Unis, puis traverse l’Atlantique. Le courant entraîne avec lui des eaux plus chaudes, ce qui influe sur les températures, les précipitations, le niveau de la mer, l’activité des ouragans, etc. Il transporte également des nutriments à travers l’océan, y compris du carbone.
Tapis roulant
Certaines des données utilisées ont été recueillies à partir d’enregistrements sur le terrain. Dans ce cas, un modèle bayésien complexe – qui calcule les probabilités et les incertitudes avec une grande précision – a été appliqué aux données recueillies à partir de relevés satellitaires, de câbles sous-marins et d’enregistrements sur le terrain.
Cette étude fait suite à une précédente publiée en août 2021 dans la revue Nature qui révélait « une perte presque totale de stabilité » du Gulf Stream. Cette recherche confirmait une tendance observée depuis quelques années : du fait du réchauffement climatique, la circulation océanique est profondément bouleversée. Le Gulf Stream, ce courant qui régule le climat sur la planète en général et sur l’hémisphère Nord en particulier, ralentit de façon très inquiétante, comme jamais depuis 1600 ans.
« Le Gulf Stream fonctionne comme un tapis roulant géant, transportant l’eau chaude de surface de l’équateur vers le nord et renvoyant des eaux froides et à faible salinité en profondeur vers le sud » expliquait Stefan Rahmstorf, coauteur de l’article de Nature. « Il déplace près de 20 millions de mètres cubes d’eau par seconde, soit près de 100 fois le débit du fleuve Amazone ». Les scientifiques désignent ce phénomène sous l’acronyme d’AMOC (circulation méridienne de retournement de l’Atlantique). Ce circuit traverse le monde et régule le climat. C’est ainsi que le Gulf Stream permet à l’Europe occidentale d’avoir un climat tempéré. Si, en approchant du Nord, l’eau de l’océan ne se refroidit pas assez, d’une part, et si d’autre part, le niveau de salinité de l’eau se réduit, le tapis roulant ne fonctionne plus correctement. L’eau n’est plus suffisamment dense et salée pour plonger et opérer son retour vers le sud. Toute altération de ce système de courants aura donc des répercussions notables sur les continents adjacents.
Outre le fait qu’elle constitue un rapport inquiétant sur l’évolution du climat de la Terre, l’étude publiée ce 1er octobre dans Geophysical Research Letters montre également à quel point les observations océaniques à long terme sont importantes pour identifier les tendances qui s’étendent sur plusieurs décennies, voire plus.
Il est désormais clair que le Gulf Stream s’affaiblit et que cet affaiblissement est causé par plusieurs facteurs liés au réchauffement climatique de la planète. Il est notamment le résultat de l’accroissement des précipitations, de la fonte de la banquise, des glaciers et des plateformes glaciaires, qui libèrent de l’eau douce, moins dense que l’eau salée, dans l’Atlantique Nord. « L’eau douce affaiblit l’AMOC car elle empêche les eaux de devenir assez denses pour couler », explique à l’AFP David Thornalley, de l’University College London. « Si le système continue de faiblir, cela pourrait perturber les conditions météorologiques depuis les États-Unis et l’Europe jusqu’au Sahel et provoquer une hausse plus rapide du niveau des mers sur la côte est des États-Unis », avertit la Woods Hole Oceanographic Institution.
Menaces sur l’Europe et l’Amérique du Nord
Plusieurs études ont déjà alerté sur le fait que le ralentissement du courant océanique exacerberait l’élévation du niveau de la mer sur la côte américaine, menaçant directement des villes comme New York et Boston. L’affaiblissement du Gulf Stream aurait des conséquences aussi sur l’Europe en affectant la trajectoire des tempêtes venant de l’Atlantique. Plus généralement, les conditions météorologiques européennes seraient bouleversées avec des vagues de chaleur ou de froid intense.
La météorologie n’est pas seule concernée par ce dérèglement important. En effet, selon le fond de recherche européen ATLAS, la pêche commerciale pourrait être affectée par des changements de la position et de la profondeur des courants océaniques et certaines régions manqueraient d’eaux riches en oxygène. « Un affaiblissement de l’AMOC peut aussi conduire à des hausses ou des baisses de températures de plusieurs degrés, affectant certaines espèces de poissons importantes (pour l’homme), ainsi que la quantité de plancton, de poissons, d’oiseaux et de baleines », estime-t-il dans un communiqué.
Pour couronner le tout, si les courants marins perdent encore en force, cela conduirait à « laisser plus de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, où il contribue au réchauffement climatique », ajoute David Thornalley. Un véritable cercle vicieux.
Que sera l’avenir ? Stefan Rahmstorf prévoit que la circulation ne fera que s’affaiblir davantage à mesure que le changement climatique progresse. Elle pourrait ne pas être lente et régulière : il y a une grande crainte qu’il y ait un « point de basculement » où la circulation s’arrête brusquement. Nous nous retrouverions alors dans l’hypothèse d’un point de rupture de tout système complexe. Un point non prédictible mais qui peut entraîner un effet de chaos.
Ce scénario cataclysmique correspondrait à un « changement climatique abrupt » comme l’appellent les scientifiques. Des études de l’histoire de la planète suggèrent qu’un changement aussi soudain dans l’Atlantique Nord s’est produit de nombreuses fois dans le passé de la Terre, la plus récente ayant eu lieu vraisemblablement il y a 13 000 ans. Mais nul ne sait quand ce point de basculement arrivera. « Je pense que le Groenland va fondre encore plus vite, alors je pense que la perspective pour ce système de circulation océanique est qu’il va s’affaiblir encore plus », prédit le professeur Rahmstorf. « Et je pense que cela va nous affecter tous, fondamentalement, d’une manière négative. »