Jakarta, capitale de l’Indonésie. Une mégapole grouillante de dix millions d’habitants. La ville pourrait partiellement disparaître, noyée sous la montée des eaux. Aujourd’hui déjà, elle s’enfonce de 25 cm par an et la moitié Nord de la ville se trouve désormais au niveau de la mer ou juste en dessous. Que faire ? Construire des digues pharaoniques, des infrastructures de survie ? La Banque mondiale n’est pas de cet avis. Il vaut mieux éloigner la population des côtes susceptibles d’être submergées et construire ailleurs, plus loin, plus haut. Le sort de Jakarta n’est pas unique ; 570 villes importantes dans le monde sont concernées. Un milliard de personnes pourraient être amenées à quitter leur habitat côtier dans les trente prochaines années.
Les océans, sources de vie sur Terre, pourraient devenir nos pires ennemis à l’échelle mondiale. C’est ce que dit le prochain rapport exceptionnel du Giec qui sortira en septembre et que l’AFP vient d’obtenir en exclusivité. Ce document riche de 900 pages est le quatrième rapport spécial de l’ONU publié en moins d’un an. Les précédents, tout aussi alarmants, portaient sur l’objectif de limitation à 1,5 °C du réchauffement climatique, sur la biodiversité et sur la gestion des terres et du système alimentaire mondial. Selon ce quatrième opus, qui compile les données scientifiques existantes et est vu comme une référence, la hausse du niveau des océans pourrait à terme déplacer 280 millions de personnes dans le monde. Et ce dans l’hypothèse optimiste où le réchauffement climatique serait limité à 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle. Avec l’augmentation prévisible de la fréquence des cyclones, de nombreuses mégapoles proches des côtes mais aussi de petites nations insulaires seraient frappées d’inondation chaque année à partir de 2050, même dans les scénarios optimistes.
Déjà au printemps dernier un rapport de la Banque mondiale s’inquiétait de la montée des eaux des océans partout dans le monde. L’organisme international chiffrait à l’époque à 170 millions le nombre de personnes qui seraient obligées de quitter leur foyer et de migrer, le plus souvent à l’intérieur de leur propre pays. Pour le Giec, la montée des eaux serait plus rapide que prévue et toucherait un nombre beaucoup plus important de personnes : certains spécialistes évoquent même le chiffre d’un milliard d’habitants des régions côtières appelées à déménager. La question n’est plus aujourd’hui de se demander si certaines communautés humaines pourraient être amenées à se déplacer. La question est quand et surtout où et comment.
Chronique d’une catastrophe annoncée
L’élévation du niveau des mers ressemble à la chronique d’une catastrophe annoncée. Le phénomène apparaît comme inéluctable mais les mesures tardent à se mettre en place pour éviter le chaos. C’est le sens du rapport de la Banque mondiale qui appelle à prendre des mesures de retrait le plus tôt possible. Pour la Banque, inutile de construire des digues et de se lancer dans des projets démesurés de constructions destinées à nous protéger de la mer. C’est peine –et surtout argent – perdue. Pour la Banque « la protection du littoral contre les tempêtes et l’élévation du niveau de la mer n’aurait de sens sur le plan économique que pour environ 22 à 32 % des zones côtières de la planète au XXIe siècle ». Le reste est de l’argent jeté à la mer. L’institution internationale, comme la plupart des scientifiques, recommande de mettre en place des mesures de repli progressif. Plutôt que d’investir dans de coûteux chantiers de digues de protection, il est plus intelligent de lancer des programmes de constructions abordables à l’intérieur des terres. Car ce sont des millions de personnes déplacées qu’il faudra loger ailleurs.
La capitale de l’Indonésie, Jakarta, est une des villes du monde les plus concernées par la montée des eaux. Elle s’enfonce de 25 centimètres par an et tous ses quartiers nord, densément peuplés, se trouvent au ras des flots, immédiatement menacés par la submersion. A tel point que le président indonésien Joko Wikodo a déclaré vouloir que son pays change de capitale. « Je voudrais demander (…) votre permission et votre soutien pour déplacer notre capitale sur l’île de Bornéo », a-t-il déclaré. Une stratégie de repli clairement affirmée mais qui ne l’empêche pas de lancer en même temps un vaste programme de construction de digues.
Nul n’est épargné
Le cas de Jakarta n’est pas unique. Bangkok et ses dix millions d’habitants a été construite sur des terres marécageuses à 1.5 mètre au-dessus du niveau de la mer. Celle-ci monte de 2.5 centimètres pas an et le phénomène ne cesse de s’amplifier. Phénomène aggravant, ses immenses gratte-ciels sont construits sur un sol qui ressemble à une éponge et qui s’affaisse de plus en plus. Un scénario catastrophe pris très au sérieux par la Banque mondiale qui estime que 40 % de la ville pourraient être inondés d’ici 2030.
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L’Asie est aux premières lignes de la montée des eaux. Elle abrite treize des vingt villes qui seront les plus touchées par ce phénomène causé principalement par les dérèglements climatiques. Au Japon, Osaka, la deuxième plus grande ville de l’archipel, devrait perdre tous ses quartiers d’affaires. Le Bangladesh est pris en étau entre les eaux venues de la fonte des glaces de l’Himalaya et l’océan Indien. Situé sur le delta de tous les risques, le pays et ses millions d’habitants subira de plein fouet les effets du changement climatique. À Hô Chi Minh-Ville, au Viêtnam, un tiers de la ville est déjà confronté à la montée des eaux avec des inondations à répétition.
L’Amérique, même si son président clame que le réchauffement climatique n’est qu’une affabulation, est directement concernée par la montée des eaux. New York, Miami et des dizaines d’autres villes côtières vont se retrouver les pieds, voire plus, dans l’eau. En Floride, l’emblème du génie technologique américain, Cap Canaveral, va plier bagage, repoussé par les vagues de l’océan. A l’Ouest, Los Angeles comme San Francisco sont menacées.
En Afrique de nombreuses villes s’apprêtent au pire. En Égypte une augmentation de seulement cinquante centimètres va inonder toute la région d’Alexandrie et ses huit millions d’habitants. Sur la côte Atlantique, Abidjan, son port comme son aéroport sont situés à à peine un mètre au-dessus du niveau de la mer. Selon un rapport de l’ONU, c’est 562 km2 de côtes qui pourraient se retrouver noyées dans un proche avenir. A Lagos, au Nigéria, ville la plus densément peuplée d’Afrique avec quinze millions d’habitants, la mer inonde déjà tous les bas quartiers.
L’Europe n’est pas épargnée. Au Royaume-Uni, de vastes étendues de terres agricoles vont disparaitre sous la mer. Les Pays-Bas, comme leur nom l’indique sont les plus menacés. Avec un scénario d’élévation des températures mondiales compris entre 2 et 4 degrés, c’est la moitié du pays et de ses habitants qui sera submergé. En France aussi, des villes comme Bordeaux, Calais, Dunkerque mais aussi Saint-Malo ou Rouen prévoient qu’une grande partie de leurs zones urbaines sera située sous les eaux d’ici la fin du siècle.
Le siècle des grandes migrations
Ce sombre tableau risque de devenir une de nos réalités quotidiennes. Face à ces phénomènes extrêmes, le monde connaitra une amplification des déplacements de personnes. Des vagues de migrations internes ne manqueront pas de se former, ce qui devrait alerter les autorités dès à présent. Nous étions jusqu’à maintenant confrontés à des migrations internes causées par des impératifs économiques : les déplacements de population des campagnes vers les villes n’ont cessé de s’amplifier ces dernières années. Or aujourd’hui, ces migrations s’avèrent être un piège mortel. L’un des auteurs du rapport de la Banque mondiale affirme ainsi que « Sans une planification et un soutien appropriés, les personnes qui migrent des zones rurales vers les villes pourraient être confrontées à des risques nouveaux et encore plus dangereux ». Face à ces enjeux, les plans d’urbanisme et d’aménagement de la plupart des États du monde devront être complètement revus. Ils devront prendre en compte les dérèglements climatiques en général et la montée des eaux en particulier et intégrer dans leurs stratégies les dynamiques et trajectoires des futures grandes migrations climatiques.
Selon le dernier rapport du GIEC, les hausses des niveaux de la mer au XXIIe siècle « pourraient dépasser plusieurs centimètres par an », soit environ cent fois plus qu’aujourd’hui. Si l’augmentation des températures est de 2°C en 2100, ce sera le début d’une « course en avant » dans la montée des mers, avertit Ben Strauss, président-directeur de Climate Central, un institut de recherches basé aux Etats-Unis .
La publication de ce rapport arrivera pour la tenue à New York le 23 septembre d’un sommet mondial pour le climat convoqué par le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Celui-ci veut obtenir des engagements plus forts des pays pour réduire leurs émissions de CO2 alors qu’au rythme actuel, elles conduiraient à un réchauffement climatique de 2 à 3°C d’ici la fin du siècle.
Les experts craignent que la Chine, les États-Unis, l’Union européenne et l’Inde – les quatre principaux émetteurs de gaz à effet de serre-, arrivent avec des promesses qui ne soient pas à la hauteur des enjeux. Ainsi, outre Atlantique, fait observer Michael Mann, directeur du Earth System Science Center à l’Université de Pennsylvanie, « les techno-optimistes pensent toujours qu’on peut trouver des moyens de résoudre ce problème« , alors même que « les Etats-Unis ne sont pas prêts à affronter une augmentation d’un mètre du niveau de la mer d’ici 2100 » pour certaines de leurs villes comme New York et Miami.
A un niveau plus individuel, chacun d’entre nous doit dorénavant être amené à intégrer ces risques dans ses plans personnels de vie. Le rêve de la petite maison les pieds dans l’eau semble tellement être d’un autre siècle…
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