Une équipe de recherche du CNRS vient de lancer une plateforme de crowdsourcing pour évaluer le poids des lobbies dans les décisions européennes sur le climat. Cette initiative s’inscrit dans la volonté de produire, grâce aux technologies de l’information, des outils qui aident les citoyens à se réapproprier le processus politique.
Pour le mathématicien Antoine Mandel, l’un des porteurs du projet, interrogé par le Journal du CNRS, cette plateforme est bien « un projet technologique, et non pas politique, mais son domaine d’application est la vie publique, les outils de fonctionnement d’une société démocratique. Je pense que les développements technologiques peuvent ouvrir un nouvel espace public de discussion et contribuer à une meilleure appréhension des enjeux politiques et sociaux ».
Il est vrai que la définition de la politique climatique de l’Europe fait l’objet de pressions massives de plusieurs centaines d’organisations, que ce soit des ONG ou de grandes firmes multinationales. Le lobbying intervient sous différentes formes pendant toute la durée du processus d’élaboration des lois. Et ils sont nombreux à vouloir faire entendre leurs voix pour peser sur le processus de décision et protéger leurs intérêts. La plupart du temps ces interventions et ces pressions sont discrètes voire opaques. D’autant plus en matière de politique climatique dans la perspective de la COP21 où les Etats et les organisations devront accepter de faire des efforts qui toucheront directement à leurs intérêts industriels et économiques.
Mettre la lumière sur des processus opaques
Pour mettre un peu plus en lumière ces mouvements souterrains qui impactent les choix politiques, l’équipe du CNRS a créé une plateforme faisant largement appel au crowdsourcing, c’est-à-dire à la mobilisation des citoyens pour participer au déchiffrage de millions de documents et mettre en évidence les collusions d’intérêts et les influences des uns et des autres.
La plateforme en ligne offre l’occasion à tous les participants de mener l’analyse de l’un des textes émanant de la consultation publique par la Commission européenne, lors de la préparation du programme-cadre 2030 pour le climat et l’énergie. En effet, lorsqu’elle prépare un texte législatif important, la Commission européenne propose aux parties prenantes de donner leurs opinions par écrit sur les propositions qu’elle formule dans un Livre vert. C’est cet ensemble de documents qui fait l’objet de cette étude participative. Antoine Mandel précise que « plus de 550 organisations, dont des ONG (WWF, Greenpeace…), des groupes industriels (BASF, ThyssenKrupp…), des compagnies d’électricité (comme EDF), des institutions (conseils locaux, parlements…), etc., ont donné leurs avis sur les mesures phares de la politique climatique européenne (objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, part d’énergie renouvelable, efficacité énergétique, etc.). Ces avis peuvent pousser la politique énergétique dans un sens ou dans l’autre ».
Le crowdsourcing comme facteur de démocratisation des décisions
Les participants à la plateforme pourront ainsi accéder à ces documents et les filtrer par l’intermédiaire d’un questionnaire mis au point par les chercheurs. Ce questionnaire est destiné à identifier, selon une méthodologie normalisée, les positions (en faveur/contre/sans opinion) des différents acteurs sur quinze mesures clés susceptibles d’être l’objet de débats ou de lutte d’influence. Afin de minimiser les erreurs d’interprétation possibles chaque texte est lu et filtré par par au moins dix personnes.
A l’arrivée, les équipes de chercheurs disposeront de trois éléments : les propositions initiales de la Commission, les opinions des acteurs et la décision du Conseil de l’Europe sur le sujet. Le traitement informatique de ces éléments fera apparaître un réseau de liens entre les acteurs et les décisions. On pourra ainsi comprendre quels avis ont été les plus écoutés et qui a donc eu le plus d’influence sur le déroulement du processus législatif.
L’idée de cette plateforme et du recours au crowdsourcing est venue par l’examen du processus d’influence pendant la discussion sur le projet de loi sur le traitement des données privées dans l’économie numérique au Parlement européen : comme l’a montré le site Lobbyplag, les amendements qui ont été déposés par les parlementaires sont une copie conforme des textes écrits par Google, Facebook ou Microsoft.
Avec ce projet, nul doute que de nouvelles formes d’engagement citoyen pourront s’exprimer et permettre aux citoyens de l’Union Européenne de porter leurs voix dans un système dont les institutions paraissent à la fois très éloignées et excessivement centralisées.Il s’agit toutefois encore d’une démarche embryonnaire, prometteuse certes, mais qui doit faire ses preuves. On attend aussi que cette plateforme puisse publier des conclusions et des alertes pendant le processus législatif et non après, une fois que le mal aura été fait.
L’équipe de recherche du projet : Unité CNRS/Univ. Paris-I Panthéon Sorbonne/ENS Cachan. L’équipe de recherche comprend également Tomas Balint, de l’université Paris-I Panthéon Sorbonne, Franziska Schütze, du Global Climate Forum, et Stefano Battiston, de l’université de Zurich.
Source : Journal du CNRS
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