Les raisins de cuve représentent l’une des cultures horticoles les plus précieuses au monde ; la viticulture est un secteur économique qui compte et l’on dénombre des vignes sur les six continents. Comme pour beaucoup d’autres cultures, ces vignes et leurs raisins sont très sensibles aux conditions météorologiques ainsi qu’aux précipitations durant la saison de croissance. Quels sont les effets du réchauffement climatique sur la vinification et l’industrie du vin ? Le vin sera-t-il de meilleure qualité ? Des universitaires (américains) ont analysé quatre siècles de vendanges françaises et de grands crus pour apporter une réponse.
Le climat et la météo peuvent ainsi affecter le moment des récoltes, la quantité de raisin récoltée, de même que la qualité finale du vin. À mesure que le réchauffement d’origine anthropique auquel nous assistons – dû principalement à la hausse des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère – s’accentue dans de multiples régions du globe, on s’inquiète des effets d’un tel phénomène sur la vinification et l’industrie du vin pour les prochaines décennies.
Ma collègue Elizabeth Wolkovich, de l’université de Harvard, et moi-même avons étudié près de 400 ans de données provenant de France et de Suisse afin de montrer comment le changement climatique affecte les vendanges. Ces informations proviennent de différentes sources historiques et nous ont offert une opportunité unique d’examiner les changements qui ont eu lieu des siècles passés à aujourd’hui.
Nos travaux indiquent que les vendanges se produisent de plus en plus tôt ; si cette précocité a traditionnellement coïncidé avec des vins de grande qualité, nous avons cependant noté que les récents changements climatiques rendaient moins évident ce rapport de cause à effet ; il deviendrait en effet moins aisé de « prédire » les bons crus ; et les températures à la hausse pourraient bien contraindre les viticulteurs à se tourner vers de nouvelles variétés de raisin.
Des siècles de vendanges
Pour notre étude, nous avons examiné les registres historiques où étaient consignées les dates de vendanges de nombreuses régions célèbres pour la qualité de leurs vignobles, comme la Gironde, la Bourgogne ou la Vallée de la Loire. Puis nous avons élaboré des reconstitutions du climat – températures, précipitations, humidité du sol – en nous appuyant sur d’autres données, comme par exemple les cycles de croissance observables dans les anneaux des arbres des régions concernées.
Nous avons ainsi noté un changement remarquable ces dernières décennies : depuis 1981, les vendanges surviennent en moyenne 10 jours plus tôt. À deux occasions seulement, on aura noté après 1981 des vendanges plus tardives.
Cette tendance est attribuable aux changements climatiques, avec des étés plus chauds. Les raisins mûrissent plus rapidement et nécessitent d’être récoltés en avance. Autre phénomène important révélé par notre étude : les modifications dans la façon dont le climat affecte les vendanges.
La température de la saison de croissance est le facteur clé de la maturation des fruits, déterminant donc le moment où s’effectuera la récolte. Avant 1981, il fallait un épisode de sécheresse (de faibles précipitations et une faible humidité des sols) pour provoquer des vendanges précoces.
Si l’été est pluvieux et que les sols sont humides, le processus d’évaporation absorbe la chaleur en surface, maintenant la température des sols et de l’air relativement froide à ce niveau. À l’opposé, lors d’une sécheresse, les sols sont secs et la chaleur de l’atmosphère fait baisser l’humidité en surface. Très peu d’évaporation peut se produire, l’excès de chaleur contribuant au réchauffement des sols et de l’air. Les étés secs riment avec des étés chauds, et il sera beaucoup plus fréquent d’obtenir une maturation précoce des grappes et donc une récolte anticipée. Ce sont de telles conditions qui ont traditionnellement conduit à des vins de qualité supérieure.
Or, depuis les années 1980, les changements climatiques ont rendu possibles plusieurs décennies bien plus chaudes que par le passé. Cette météo peut causer des vendanges précoces même sans épisode de sécheresse. Un tel changement peut avoir de lourdes conséquences sur la viticulture et la qualité du vin, car les récoltes précoces de ces dernières décennies ne sont plus seulement placées sous le signe du chaud et du sec ; elles peuvent aussi survenir en cas d’étés chauds et humides.
Seuil de chaleur
Que cela signifie-t-il pour la viticulture ?
Traditionnellement, dans des régions comme la France, les récoltes précoces ont donné de meilleurs vins (nous avons utilisé pour arriver à cette conclusion des classements établis dans un registre où apparaissaient des notes attribuées aux vins dans le but de contrôler des facteurs tels que l’âge depuis la mise en bouteille). Mais en raison du lien étroit entre la sécheresse et les récoltes précoces, cela signifie que les vins de qualité supérieure ont également été associés avec des étés chauds et secs. Maintenant que les récoltes précoces peuvent être liées à une météo sèche ou humide, la sécheresse n’est plus un bon indicateur de la qualité du vin.
On note cependant, avec ces nouvelles tendances induites par le réchauffement, une tendance générale vers une plus grande qualité du vin et ce, malgré les changements au niveau des épisodes de sécheresse. Il faut s’attendre, avec la poursuite de la hausse des températures, à ce que les dates de vendanges continuent d’avancer.
Il existe cependant une limite à cette précocité synonyme de bons crus. Les vendanges de 2003 en fournissent un exemple frappant : une vague de chaleur historique provoqua cette année-là des vendanges en avance d’un mois, un record absolu sur les 400 dernières années. Mais si cette précocité avait un caractère exceptionnel, aucun vin de cette année ne se distingua particulièrement. De tels événements risquent de devenir fréquents dans les années qui viennent.
Alors que les températures sont à la hausse, on voit qu’il existe certainement un seuil au-delà duquel la précocité continue des dates de vendanges ne donnera pas lieu à des millésimes. Certes, la science de la viticulture et de la vinification implique beaucoup plus que la météo et le climat, et nos résultats ne prévoient en rien que nous serons condamnés à boire des vins de qualité inférieure.
La production et la qualité du vin dépendent de nombreux facteurs, humains et naturels, qui concernent les sols, la topographie, le climat et l’habileté des vignerons et autres maîtres de chai. Nos résultats montrent cependant que le changement climatique affecte aujourd’hui les récoltes, et que les modèles d’antan – avec des sécheresses provoquant des vendanges précoces et des vins de haute qualité – ont déjà évolué.
Que peut faire la viticulture face à cette situation ? Les viticulteurs devront sans doute envisager de changer leurs pratiques pour s’adapter à un monde régi par de nouvelles lois climatiques.
Benjamin I. Cook, Climate Scientist, Columbia University
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.