La réponse est loin d’être évidente mais de nouvelles connaissances nous permettent aujourd’hui d’apporter quelques éléments.
Le département de l’Aude a été placé ce lundi 15 octobre 2018 en alerte rouge après de très violentes pluies qui ont causé, selon un bilan provisoire, 12 morts et plusieurs blessés. Cet été, ce sont les orages de mousson du mois d’août qui ont provoqué dans le sud-ouest de l’Inde la mort de plusieurs centaines de personnes et entraîné le déplacement de milliers d’autres en l’espace de quelques jours.
Sur le pourtour méditerranéen, les crues éclairs se produisent généralement en automne, lorsqu’un air chaud et humide en provenance de la Méditerranée rencontre un air plus froid sur le continent. Le 3 octobre 2015, 175 mm de pluie a été mesuré en deux heures (soit l’équivalent du cumul moyen observé entre septembre et octobre) sur certains secteurs de la Côte d’Azur, déclenchant une rapide montée des eaux qui a fait 20 victimes dans la région de Cannes.
Des pluies plus intenses avec le réchauffement climatique ?
D’après le théorème de Clausius-Clapeyron, établi dans la première moitié du XIXe siècle dans le domaine de la thermodynamique, la pression de vapeur saturante de l’air augmente d’environ 7 % par degré de réchauffement. Autrement dit, plus l’air est chaud, plus il peut contenir de vapeur d’eau.
Dans le contexte du réchauffement climatique, les scientifiques ont émis l’hypothèse que les épisodes de pluies extrêmes devraient s’intensifier en suivant la loi de Clausius-Clapeyron qui impose une contrainte directe sur la quantité d’eau disponible dans l’atmosphère. Cette hypothèse a depuis été confrontée à de nombreuses observations.
En 2013, une étude a montré que, globalement, les précipitations journalières extrêmes se sont intensifiées au cours du XXᵉ siècle, de 6 à 8 % par degré de réchauffement global. Mais d’autres travaux indiquent à présent que les pluies intenses de courte durée, à l’échelle d’une heure, se sont intensifiées plus rapidement que ce que prévoit la théorie, avec des changements de l’ordre de 14 % par degré de réchauffement, soit le double par rapport à la relation de Clausius-Clapeyron.
Cette vitesse d’intensification inattendue a également été détectée récemment à l’échelle du continent australien ainsi que sur le pourtour méditerranéen français, à partir de réseaux d’observations des pluies couvrant plus de cinq décennies.
L’origine de ce phénomène est encore très discutée dans la littérature scientifique mais la réponse se trouve très probablement dans la physique des nuages et dans le dégagement de chaleur latente au moment de la condensation qui « accélère » la convection (c’est-à-dire le mouvement ascendant dans l’atmosphère à l’origine de nombreux épisodes de pluies extrêmes) et amplifie l’intensité des pluies.
D’autres facteurs, tels que la circulation atmosphérique de large échelle ou la disponibilité en humidité, peuvent évidemment amplifier ou atténuer régionalement la réponse des pluies liée à la température, et expliquer les écarts entre l’observation et la théorie de Clausius-Clapeyron.
Pour simuler l’évolution future de ces pluies intenses, la communauté scientifique utilise des modèles climatiques basés sur les différents scénarios d’évolution du climat, des modèles capables de simuler la convection sur des mailles fines de l’ordre du kilomètre. Les résultats de ces projections indiquent une intensification des pluies extrêmes dans différentes régions du monde incluant l’Australie, les États-Unis, et le Royaume-Uni, avec toutefois des vitesses d’intensification variables en fonction des régions, des saisons, des modèles et des scénarios d’émissions de gaz à effet de serre.
La théorie, la modélisation climatique et les observations semblent donc converger vers la même conclusion : les pluies se sont intensifiées au cours des dernières décennies et continueront à s’intensifier dans le futur sous l’effet du réchauffement global.
Verra-t-on davantage d’inondations ?
Si l’intensité de la pluie est essentielle, les hydrologues ont montré que d’autres facteurs comme la fonte des neiges, le débit saisonnier moyen, les conditions antécédentes d’humidité dans les sols ou encore l’occupation des sols contribuent aussi à moduler la puissance des débits.
L’importance de chacun de ces facteurs peut varier en fonction de la saison, des régions et des bassins versants (c’est-à-dire la portion du territoire drainée par le cours d’eau et ses affluents).
Une étude récente parue dans la revue Science, à laquelle des chercheurs de l’Irstea ont contribué, indique que le réchauffement climatique a déjà induit des changements significatifs dans la saisonnalité des inondations à travers l’Europe.
Du point de vue de la fréquence, si certaines études suggèrent une augmentation des débits extrêmes, d’autres analyses montrent au contraire une diminution significative dans de nombreuses régions, et ce en dépit de l’intensification des pluies.
Des cumuls annuels de pluies plus faibles et un assèchement des sols en réponse à l’augmentation de l’évaporation dans ces régions ont sans doute permis de limiter la montée des eaux lors des épisodes de pluies intenses.
La taille des bassins versants, et donc leur temps de réponse, est aussi un élément crucial. Les petits bassins versants sont très sensibles aux pluies intenses car elles affectent la globalité de leur surface alors que les grands bassins sont généralement touchés de façon partielle et leur réponse est davantage liée à une lente accumulation des pluies sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines.
Redimensionner les infrastructures
Nous avons aujourd’hui de fortes certitudes sur l’intensification des pluies au cours des dernières décennies ainsi que sur leur intensification future. Cette tendance pourrait avoir un effet direct sur les crues éclairs dans les petits bassins versants. En revanche, les projections sont très variables dans l’espace et plus modérées pour les plus grands bassins, en raison des nombreux facteurs additionnels influençant la relation pluie-débit.
Nos infrastructures (barrages, ponts, etc.) ont été conçues et planifiées sur la base de périodes de retour de pluies et de crues extrêmes, en faisant l’hypothèse d’un climat stationnaire. Or cette hypothèse de stationnarité semble intenable dans le contexte actuel. À titre d’exemple, l’ouragan Harvey a provoqué des cumuls de pluies entre le 25 et 28 août 2017 dans la région de Houston, Texas, qui correspondent à des périodes de retour supérieures à 1000 ans dans le climat actuel.
Pour réduire notre vulnérabilité face à ces aléas, nous devons réviser progressivement le dimensionnement des ouvrages hydrauliques, des infrastructures de gestion des eaux et de défense contre les inondations ainsi que les plans d’aménagement du territoire.
Renaud Barbero, Chercheur en climatologie, Irstea ; Éric Martin, Directeur régional, changement climatique, Irstea ; Patrick Arnaud, Chercheur en hydrologie, Irstea et Pierre Javelle, Chercheur en hydrologie, Irstea
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation, partenaire éditorial de UP’ Magazine
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