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Climat : les citoyens entrent en rébellion

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Dans la crise climatique, il est un phénomène étrange : la pusillanimité, si ce n’est la défection des États. Alors que tous les voyants de la planète sont au rouge vif et que les opinions publiques du monde entier se rendent compte de la gravité de la situation, alors qu’au niveau individuel, nombreux sont ceux qui ont décidé de changer de comportements, les gouvernements, à peu près partout sur le globe, temporisent, contournent, chipotent, papotent, hésitent, mais ne prennent aucune mesure à la hauteur de la situation. Les citoyens le voient et s’inquiètent. Ils n’en sont pas à prendre les armes mais beaucoup ont entrepris de secouer les États, de les traîner devant des juges, voire d’entrer en rébellion. À tel point qu’on nous annonce, dans plusieurs pays, le prochain « printemps climatique ».
 
Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni ce vendredi 25 janvier avec, à son ordre du jour, un sujet brûlant, celui des enjeux sécuritaires du changement climatique. Un enjeu de taille puisque, selon l’Organisation elle-même, les catastrophes liées aux dérèglements climatiques ont provoqué, pour la seule année 2018, plus de dix mille morts et affecté plus de 65 millions de personnes.  Le Conseil de sécurité a été réuni dans le cadre d’un grand débat organisé par la présidence dominicaine du Conseil pendant tout le mois de janvier sur l’« impact des catastrophes climatiques sur la paix ». Un débat qui a suscité une grande affluence, avec 80 intervenants de haut niveau venus du monde entier. Une très large majorité de participants ont détaillé les conséquences négatives du réchauffement de la Terre sur la paix mondiale (inondations, sécheresse, incendies, migrations…), beaucoup ont appelé dans le même temps à une action plus tranchante.
 

Circulez, il n’y a rien à voir

Face à ce consensus et à l’importance de l’enjeu, qu’a décidé le Conseil de sécurité ? Rien. Ses deux principaux membres, les Russes et les Américains, faisant preuve d’une sourde oreille têtue.
« Nous estimons superflu et même contreproductif d’examiner la problématique du climat au Conseil de sécurité de l’ONU dont la principale tâche est de réagir rapidement aux menaces à la paix et à la sécurité internationales », a asséné l’ambassadeur russe Vassily Nebenzia. Circulez, il n’y a rien à voir.
Les Américains ont, quant à eux, réalisé la prouesse de ne jamais évoquer le changement climatique. Les Etats-Unis du climato-sceptique assumé Donald Trump se sont bornés à souligner l’importance de mieux gérer les catastrophes naturelles et ont appelé les agences de l’ONU à mieux partager leurs informations.
 
En matière de climat, on a beau jeu, nous, Européens, de critiquer les Américains ou les Russes. Nous sommes peut-être ouvertement moins cyniques, mais faisons assaut d’hésitations, de faux semblants et de frilosité mortifère. A l’issue de la consternante dernière COP 24, les européens ont montré le triste spectacle de la désunion. Alors que le GIEC tirait la sonnette d’alarme pour une énième fois, l’Union européenne s’avérait dans l’incapacité à réviser à la hausse ses engagements climatiques actuels, pourtant rendus caduques par les dernières conclusions de la communauté scientifique. Le couple franco-allemand, qu’on espérait exemplaire en matière de climat, bat de l’aile. La chancelière Angela Merkel rechigne en traînant des pieds à réviser ses ambitions climatiques tandis que le fringant président français multiplie les déclarations fracassantes sur la scène diplomatique mais laisse dans son pays filer les émissions de gaz à effet de serre qui repartent à la hausse depuis deux ans.
 

Désarmement et désertion

Car, malheureusement pour les gouvernants, au-delà des postures, il y a ce qu’ils font et ne font pas. Leur inaction ou leurs hésitations sont vues de tous.  L’opacité politique est de plus en plus battue en brèche par l’hypervisibilité des nouveaux moyens d’information. Les citoyens voient tout et savent tout. Ou presque. Impossible de cacher, pour le gouvernement français par exemple, qu’il est singulièrement gêné sur la question du nucléaire. Difficile d’expliquer à l’opinion publique les pressions infernales des industriels de l’énergie, ou de justifier le sacrifice des énergies renouvelables pour quelques centrales de plus. Le choix acté dans la programmation pluriannuelle de l’énergie de retarder d’au moins dix ans la réduction de la part d’énergie nucléaire à 50 % du mix français, faisant le choix du même coup de freiner le déploiement des énergies renouvelables, est perçu par nombre de citoyens comme une reculade, un entêtement coupable quand ce n’est une absence de volonté politique affirmée face aux lobbies.

LIRE DANS UP’ : L’éolien français est bloqué. Une stratégie délibérée pour favoriser le nucléaire ?

La France est loin d’être le seul État dans le monde à donner l’impression de désarmer ou de déserter face à la guerre climatique. Cette situation est le détonateur d’une vague de fond qui est en train de toucher plusieurs régions du monde, en Europe comme aux Etats-Unis. La vague du réveil citoyen, une force collective protéiforme qui n’a qu’un seul objectif : peser sur les États pour les contraindre à agir.  
 

L’heure du réveil citoyen

Les marches pour le climat se multiplient, les collectifs fleurissent partout, les initiatives les plus hétéroclites sont annoncées. Quand, en France, la pétition « L’affaire du siècle » est lancée pour poursuivre l’État pour inaction climatique, les compteurs s’affolent. Plus de deux millions de signatures en quelques jours ; un record digne du Guinness.
Il faut dire que, face aux dérèglements climatiques, les recours en justice se multiplient dans le monde, contre des mesures insuffisantes pour garder le réchauffement sous contrôle.
Aux Pays-Bas, en 2015, un tribunal a ordonné à l’État de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le pays de 25% d’ici à 2020. Le jugement a été confirmé en appel en octobre dernier.
Aux États-Unis en 2015, une vingtaine d’enfants et adolescents ont déposé avec l’association Our Children’s Trust un recours devant un tribunal de l’Oregon, réclamant au gouvernement de baisser les émissions de CO2. En Colombie, 25 jeunes ont fait reconnaître par la Cour suprême la nécessité d’agir contre la déforestation et pour la protection du climat. Au Pakistan, un fils d’agriculteurs a fait reconnaître le droit à la vie et à l’accès à l’alimentation face aux changements climatiques.
 
Toutes ces actions ressemblent à des combats de David contre Goliath. Pourtant, selon le site Reporterre, si les décisions judiciaires vont bien dans le sens des plaignants, on verrait alors se former une jurisprudence utile « notamment pour la contestation devant les tribunaux administratifs des projets d’autoroute, d’aéroports ou autres, ayant des conséquences sur le climat. »
Jusqu’à présent, la jurisprudence est vide de décision constatant la mise en responsabilité pour carence d’une organisation en matière climatique. Greenpeace fait remarquer que désormais « la responsabilité d’une administration pourra être engagée sur le seul fondement du préjudice écologique, cela obligera à le prendre en compte de manière préventive. Et puis, une fois que l’on a une décision de justice, elle s’inscrit dans le temps même si on change de gouvernement. »

LIRE DANS UP : Face à l’inertie climatique les citoyens attaquent les États

Les collectifs citoyens pour le climat se créent dans des centaines de villes en Europe, attirant non seulement des militants chevronnés mais aussi et surtout des familles, des jeunes, des vieux, tous unis pour la cause.
Les ONG, les associations environnementales, des personnalités venues du monde des sciences comme de celui des Arts lancent des appels à la mobilisation. C’est le cas de l’Appel pour une Constitution Écologique qui demande un nouveau contrat social avec la réécriture de l’article 1 de la constitution de 1958. « À travers notre proposition de Constitution Écologique, nous donnons à chaque acteur de la société sa part de responsabilité, de droits et de devoirs : l’État, la finance, les entreprises et les citoyens doivent s’aligner sur l’urgence climatique qui menace la survie de l’humanité. Le temps est venu de nous relier par un nouveau contrat social. » explique dans un communiqué Anne-Sophie Lahaye, jeune porte-parole de Notre Constitution Écologique.
 

Du lobbying citoyen à la rébellion insurrectionnelle

Face à l’urgence climatique, le « lobbying citoyen » se met en ordre de bataille. Des plateformes numériques dédiées sont créés, des kits de mobilisation mis à disposition, des événements, rencontres, points de rendez-vous sont organisés avec comme but unique, celui de « fédérer un maximum d’acteurs (associations/ONG, citoyens, artistes, entreprises, médias, représentants politiques) et de réfléchir ensemble à la manière de transformer notre société et de mener cette transition écologique ».
 
Quand Greta Thunberg, une écolière suédoise, est invitée à prendre la parole au Forum de Davos, elle déchaîne les foules. Sa harangue contre l’inaction et l’irresponsabilité des États touche. Son appel à la grève des écoliers pour le climat trouve des centaines de milliers d’oreilles. Rendez-vous pris partout dans le monde, à Paris, à Bruxelles, en Australie : le 15 mars prochain sera une journée sans école, pour le climat.
 
En Grande-Bretagne, une tout autre approche monte depuis six mois et semble faire tache d’huile : le mouvement « Extinction rebellion« , qui prône la désobéissance civile non-violente.  Son mot d’ordre : « Se rebeller pour la vie » ; son argument : « Nous faisons face à une urgence mondiale sans précédent. Les gouvernements ont échoué à nous protéger malgré les solutions connues et préconisées. Il est donc de notre devoir d’agir au plus vite. » Dès lors, des ponts se sont trouvés bloqués en octobre à Londres, où des activistes se sont collés à des grilles d’administrations. Plusieurs ont été interpellés : cela fait partie de la stratégie de « XR », portée notamment par des universitaires prenant pour modèle la lutte pour les droits civiques américains.
 
Quand « l’espoir meurt, l’action commence » clament-ils. « Nous ne sommes pas alarmistes, nous sommes réalistes », soutient à l’AFP Liam Geary Baulch, un des militants du mouvement. « Nous nous organisons pour créer des perturbations répétées, et visons le gouvernement, qui doit créer le changement systémique nécessaire pour affronter cette crise », explique cet artiste de 25 ans.
Mi-avril est prévue une « semaine internationale de la rébellion ». Objectif du mouvement, qui se dit présent dans 119 pays dont la France : entrer en résistance et essaimer. Le mouvement est soutenu par plusieurs centaines d’universitaires et d’intellectuels dont l’Américain Noam Chomsky ou la Canadienne Naomi Klein.
 
La rébellion est annoncée en France pour le 24 mars. Selon le journal Le Monde, elle sera officialisée par une « déclaration de rébellion », en présence d’activistes et de personnalités écologistes. Les Français demandent aux gouvernants de reconnaître la gravité des crises actuelles, de réduire immédiatement les émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2025 et de créer une assemblée citoyenne chargée de décider des mesures à mettre en place pour atteindre ces objectifs. S’y ajoute une quatrième revendication propre à l’Hexagone : l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques, terrestres et aériens.
 
« Les actions débuteront de une à deux semaines après cette déclaration pour ne plus s’arrêter, dans une logique d’escalade de la rébellion », explique au Monde Damien, 25 ans, un autre membre d’« XR » France. Ces « rebelles » envisagent de bloquer et occuper l’espace public, détourner des publicités ou immobiliser des voitures.
Prenant exemple sur le mouvement des Gilets jaunes, Extinction Rebellion veut multiplier les actions locales et spontanées ; une organisation horizontale, sans porte-parole ou chef de file, accessible à tous. Déjà de nombreux militants s’affairent à préparer la Semaine internationale de la rébellion qui sera organisée mi-avril prochain. Ils annoncent un printemps insurrectionnel.
 
 
Sources : AFP, Euractiv
 

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