Il s’agit d’une des propositions les plus emblématiques de la convention pour le climat : l’inscription de l’environnement dans l’article 1er de la Constitution. En expédiant le vote du projet de loi constitutionnelle, débattu en à peine une demi-journée lundi 10 mai, le Sénat enterre toute possibilité de réforme ambitieuse de la Constitution pour y intégrer la garantie de préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique.
A l’issue de leurs travaux, engagés dès le mois d’octobre 2019, les membres de la Convention citoyenne ont proposé de rehausser la place de l’environnement dans la Constitution, en inscrivant le principe de sa préservation à l’article 1er. Il fait de la protection de l’environnement une obligation constitutionnelle à la charge des pouvoirs publics. Il s’inscrit dans la continuité de la Charte de l’environnement de 2004 dont il deviendrait un des principes fondateurs de la République française.
Après le vote d’accord des députés de l’Assemblée nationale, le complément de l’article 1er a été rédigé selon ces termes : « Après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Elle garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. » »
Or, voté 212 voix pour et 124 contre, la majorité sénatoriale de droite et centriste s’oppose à la formulation actuelle, et a retenu, bien loin de la version proposée par la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) et adoptée par les députés, l’amendement proposé par la commission des lois, à savoir : « La République préserve [au lieu de “garantit”] l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit [au lieu de “lutte”] contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».
Le Sénat a donc ainsi rejeté la version proposée par le gouvernement.
Des arguments loin d’être à la hauteur du défi et des engagements climatiques de la France
S’opposant à toute responsabilité renforcée de l’Etat dans la lutte climatique, et soulignant le soi-disant danger de voir la préservation de l’environnement primer sur les libertés et droits fondamentaux, les sénateurs et sénatrices ont fait valoir des arguments contradictoires et souvent contredits par l’avis du Conseil d’Etat lui-même, pourtant cité à de nombreuses reprises comme étant à la base de leur rejet d’un projet de réforme constitutionnelle ambitieux.
En effet, concernant le maintien ou non du terme « garantit », qui était pourtant clé dans l’ambition de ce texte, les arguments des sénateurs de la majorité ne tiennent pas, selon le collectif Notre Constitution Ecologique. Explications.
Alors qu’à les entendre, ce terme n’aurait pas sa place dans la Constitution car en résulterait une obligation directe de résultats, la sénatrice Nicole Bonnefoy se permet de rectifier en ouverture des débats « le verbe garantir est déjà formulé dans la Constitution […] sans qu’on puisse y déceler une application directe ». En effet, on le trouve à plusieurs reprises dans la Constitution de 1958, notamment sur la garantie de l’égalité entre les sexes, l’expression pluraliste des opinions, l’égal accès à l’instruction, à la fonction publique, etc.
Selon le collectif Notre Constitution Écologique, on ne peut que dénoncer ce vote, pris en otage des intérêts économiques et financiers des grandes entreprises et des manœuvres politiciennes, qui aboutit à un texte qui, de l’aveu même de la commission des lois, ne serait que symbolique mais ne produira aucun effet juridique nouveau.
Les enjeux climatiques et environnementaux ne peuvent plus se satisfaire de mesures symboliques
S’il reste difficile de prédire l’avenir de la réforme constitutionnelle, lancée dès 2017 et reportée à de nombreuses reprises, l’apport de ce projet de loi constitutionnelle risque d’être plus que limité. Une réforme constitutionnelle uniquement symbolique serait un nouvel échec qui viendrait s’ajouter au triste bilan des parlementaires et de l’exécutif en matière de préservation de l’environnement. Le collectif pense notamment au projet de loi “Climat et résilience”, lui aussi vidé de ses ambitions une fois dans les mains des députés et qui poursuit son examen au Sénat, mais également aux nombreuses autres promesses irréalisables ou non tenues par l’exécutif.
Ce vote sénatorial rend très incertain le référendum sur l’environnement voulu par Emmanuel Macron et promis aux 150 membres de la convention citoyenne pour le climat, qui serait une première en matière d’écologie sous la Ve République. En effet, dans un entretien au JDD, faute d’un accord entre la majorité macroniste à l’Assemblée nationale et la droite au Sénat, la révision constitutionnelle promise par le chef de l’Etat n’aura pas lieu.
Si le référendum semble enterré, une autre option a été évoquée par le président de la République : réunir le Parlement en Congrès et faire adopter le texte par un vote aux trois cinquièmes. Néanmoins, cette option suppose également que le Sénat et l’Assemblée nationale s’accordent sur un texte identique, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas.
Pour aller plus loin :
- Article « Le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement » dans Actu-juridique.fr, avril 2021
« L’enfer est pavé de bonnes intentions ». Sans faire de sémantique, il est difficile de penser qu’un gouvernement français représentant 1% de la population mondiale puisse garantir « l’environnement et la diversité biologique contre le réchauffement climatique… » à moins de considérer que les frontières des états puissent être hermétiques au climat mondial, ou alors que le gouvernement français puisse garantir l’environnement et le biodiversité mondiale pour les autres états déficients. L’interventionnisme et le génie français s’arrêtent à la vraisemblance et le réalisme de ses intentions. Qu’il « préserve » et « agit » dans les limites de ses possibilités me semble déjà une grande avancée.