Il y a deux ans, un groupe d’adolescents et de préadolescents a déposé une pétition auprès des Nations unies, affirmant que cinq grands émetteurs de gaz à effet de serre violaient leurs droits. Lundi, le comité des Nations unies chargé d’examiner leur plainte leur a remis un trophée de participation, puis a rendu un jugement largement favorable aux pays pollueurs. Les enfants sont ainsi priés d’aller se faire voir ailleurs. Ils sont pourtant non seulement concernés mais mobilisés. L’une de leur figure de proue, Greta Thunberg, s’est confiée à nous lors d’un entretien avec le consortium de médias Covering Climate Now dont UP’ Magazine est partenaire.
La plainte a été déposée contre l’Argentine, le Brésil, la France, l’Allemagne et la Turquie, cinq pays du G20 qui ont signé la Convention relative aux droits de l’enfant. Dans leur plainte, Greta Thunberg et 15 codemandeurs ont affirmé que ces pays violaient leurs droits en utilisant l’atmosphère comme une décharge de dioxyde de carbone, en dépit de leur connaissance des risques liés au changement climatique. Ces pays ont répondu qu’ils avaient des plans climatiques et qu’ils faisaient de leur mieux, et que si les enfants voulaient vraiment une solution, ils devaient déposer des plaintes dans chaque pays pour que les tribunaux puissent s’en occuper.
Après deux ans d’audiences, les enfants n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient. Le Comité onusien des droits de l’enfant a décidé que oui, le changement climatique est un problème énorme et que oui, les pays sont responsables de la réduction des émissions en raison des dommages qu’elles causent aux enfants du monde entier. Mais elle a jugé que les enfants n’avaient pas épuisé les voies légales dans les cinq pays cités dans la plainte, et que le Comité ne demanderait pas de comptes à ces pays tant que cela ne serait pas fait.
« Je n’ai aucun doute que ce jugement hantera le Comité à l’avenir », a déclaré une des pétitionnaires, Alexandria Villasenor, dans un communiqué. « Lorsque les catastrophes climatiques seront encore plus graves qu’aujourd’hui, le Comité regrettera sévèrement de ne pas avoir fait ce qu’il fallait quand il en avait l’occasion. Les enfants sont de plus en plus en première ligne de la crise climatique, puisqu’ils représentent plus de 80 % des décès liés au climat. Une fois de plus, les adultes n’ont pas réussi à nous protéger ».
« Ce qui est surprenant, c’est la manière dont le Comité a essentiellement reconnu que les droits de ces enfants ont été violés, qu’il y a un lien de causalité entre ces émissions et les dommages subis par les enfants, et que ces États ont l’obligation de réduire ces émissions pour éviter que les enfants ne subissent des dommages en dehors de leurs frontières », a commenté Scott Gilmore, un des avocats qui a contribué à la plainte, avant de noter que l’idée de déposer un tas d’affaires au niveau national ne tient pas debout. « Ce processus en lui-même prendrait des années. Et comme nous le savons tous, il ne reste plus d’années pour atténuer les émissions. Il faut le faire immédiatement. »
En effet, l’affaire climatique la plus marquante devant les tribunaux américains est peut-être celle de Juliana contre les États-Unis, une affaire déposée par des enfants et de jeunes adultes en 2015, qui continue de se frayer un chemin dans le système judiciaire. Au cours de cette période, les émissions ont augmenté de manière incontrôlée, à l’exception de l’année 2020, qui correspond à la pandémie. La science du climat, quant à elle, montre que la pollution par le carbone doit commencer à diminuer maintenant à un taux d’environ 8 % par an, chaque année de cette décennie, afin d’avoir une chance de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius, un objectif défini dans l’accord de Paris. Ce niveau « sûr » de réchauffement de la planète se traduirait néanmoins par un monde très différent du nôtre, qui s’est réchauffé d’environ 1 degré Celsius depuis l’ère préindustrielle.
Si l’affaire n’a pas eu l’issue que les enfants espéraient, cela ne fera qu’accroître la pression sur les dirigeants mondiaux qui se réuniront le mois prochain à Glasgow pour des négociations cruciales sur le climat. Ce ne devrait pas être aux enfants, bien sûr, de rappeler aux dirigeants les enjeux, étant donné les alarmes hurlantes des scientifiques et d’autres observateurs de la société civile depuis des années. Mais il semble que tout le monde soit sur le pont. « Cette décision souligne vraiment la nécessité de l’activisme climatique que les enfants ont déjà adopté dans le monde entier », juge Scott Gilmore. « C’est une nouvelle illustration que, très franchement, le système des droits de l’homme mis en place par les adultes laisse tomber la jeunesse du monde. »
Comme un disque rayé
Face à ce revers, les jeunes activistes ne désarment pas et répètent inlassablement leurs injonctions aux dirigeants d’agir, vite. Greta Thunberg, une adolescente de 16 ans aujourd’hui, est devenue en seulement trois ans, depuis qu’elle a commencé à sécher les cours le vendredi pour protester seule devant le parlement suédois, une figure mondiale, donnant une voix à la fureur de sa génération face à l’incapacité du monde à s’attaquer à un problème connu depuis des décennies.
Lors d’un entretien avec le consortium de médias Covering Climate Now dont UP’ Magazine est partenaire, la jeune militante du climat a répété ses doutes sur les sommets internationaux qui se succèdent. Elle craint ainsi que la prochaine COP26 de Glasgow n’aboutisse sur rien de concret. « Je m’attends à ce que nous entendions beaucoup, beaucoup de beaux discours, beaucoup d’engagements qui, si l’on se penche vraiment sur les détails, sont plus ou moins dénués de sens, mais ils les disent simplement pour avoir quelque chose à dire, pour que les médias aient quelque chose à raconter », répète-t-elle.
« Et puis je m’attends à ce que les choses continuent à rester les mêmes. Les COP telles qu’elles sont actuellement ne mèneront à rien, à moins qu’il n’y ait une pression importante, massive, de l’extérieur. » « Dans une urgence telle que celle dans laquelle nous nous trouvons actuellement, chacun doit prendre sa responsabilité morale, du moins je le pense, et utiliser tout pouvoir qu’il a, toute plateforme qu’il a, pour essayer d’influencer et de pousser dans la bonne direction, pour apporter un changement », a-t-elle appelé. « Je pense que c’est notre devoir en tant qu’êtres humains ».
Pour que la COP26 soit un succès, Greta Thunberg a suggéré qu’il fallait faire preuve d’une honnêteté sans faille quant au « fossé entre ce que nous disons et ce que nous faisons réellement… » Ce n’est pas ce que nous faisons actuellement. Nous essayons de trouver des petites solutions concrètes et symboliques pour donner l’impression que nous faisons quelque chose, sans vraiment nous attaquer au problème. Nous ne comptons toujours pas toutes les émissions lorsque nous annonçons des objectifs. Nous utilisons toujours une comptabilité créative lorsqu’il s’agit de réduire les émissions, et ainsi de suite. Tant que ce sera le cas, « nous n’irons pas très loin. »
Le message central de la jeune militante suédoise a été cohérent depuis qu’elle a émergé pour la première fois sur la scène mondiale avec une dénonciation enflammée des élites mondiales au Forum économique mondial de Davos en janvier 2019 : écoutez la science et faites ce qu’elle exige ; la science dit que notre maison planétaire est littéralement en feu, et les dirigeants mondiaux et tout le monde devraient agir comme tel.
Le fait que les dirigeants mondiaux, de son propre aveu, ne font pas ce qu’elle et des millions de militants exigent ne l’a pas amenée, elle et d’autres leaders du mouvement, à envisager de nouvelles stratégies et tactiques, du moins pas encore. « Pour l’instant, nous ne faisons que répéter le même message, comme un disque rayé », fait-elle observer. « Et nous descendons dans la rue parce qu’il faut répéter le même message… jusqu’à ce que les gens le comprennent. Je suppose que c’est la seule option que nous ayons. Si nous trouvons d’autres façons de faire à l’avenir qui fonctionnent mieux, alors peut-être que nous changerons. »
Greta Thunberg souligne néanmoins qu’elle voit « beaucoup, beaucoup de points positifs », faisant référence aux millions de personnes dans le monde qui agissent. « Quand j’agis, je ne me sens pas impuissante et que les choses sont sans espoir, car alors j’ai l’impression de faire tout ce que je peux », affirme-t-elle. « Et cela me donne beaucoup d’espoir, surtout de voir toutes les autres personnes dans le monde entier, les militants, qui agissent et qui se battent pour leur présent et leur avenir. »
Avec Earther, Covering Climate Now
Image d’en-tête : UNICEF/UN0372811/Ocon/AFP-Service
Cet article est publié dans le cadre de Covering Climate Now, une collaboration journalistique mondiale visant à renforcer la couverture de la crise climatique, dont UP’ Magazine est membre.