Le monde doit agir maintenant pour « sauver l’humanité » des catastrophiques impacts du réchauffement, a exhorté le secrétaire général de l’ONU devant les dirigeants du monde entier réunis à Glasgow pour la très attendue COP26 sur le climat. « L’humanité a longtemps joué la montre sur le climat. Il est minuit moins une sur l’horloge de l’apocalypse. Nous devons agir maintenant », a renchéri le Premier ministre britannique Boris Johnson, hôte du sommet, mettant en garde contre la colère « incontrôlable » que provoquerait un échec de cette COP26 six ans après l’Accord de Paris.
« Il est temps de dire Assez ! », a lancé Antonio Guterres devant plus d’une centaine de dirigeants de tous les continents, dont l’Américain Joe Biden, l’Indien Narendra Modi ou le Français Emmanuel Macron. « Assez de brutaliser la biodiversité. Assez de nous tuer nous-mêmes avec le carbone. Assez de traiter la nature comme des toilettes. Assez de brûler et forer et extraire toujours plus profond. Nous creusons nos propres tombes », a-t-il martelé, dénonçant notre « addiction aux énergies fossiles ».
« Nos enfants, les enfants pas encore nés et leurs enfants (…), si nous échouons, ils ne nous le pardonneront pas », a insisté le Premier ministre britannique, reprenant les accusations de « bla bla » adressés par la jeune égérie suédoise Greta Thunberg aux dirigeants du monde.
Un G20 décevant
Les observateurs espéraient que la réunion au cours du week-end des leaders du G20, qui représente près de 80% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, donnerait un fort élan à cette COP écossaise repoussée d’un an en raison du Covid-19. Le G20 a bien réaffirmé à l’unisson l’objectif de limiter le réchauffement à +1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle, ajoutant une ambition de neutralité carbone autour du milieu du siècle et la fin des subventions aux centrales à charbon à l’étranger. Mais cela n’a convaincu ni les ONG ni Antonio Guterres qui a fait part de ses « espoirs déçus ».
« La menace du climat demande des actions mondiales plus ambitieuses », a écrit la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) Kristalina Georgieva dans un blog. Elle a appelé « les économies avancées à réduire plus rapidement leurs émissions pour des raisons d’équité et de responsabilité historique ».
« Je salue l’engagement renouvelé du G20 en faveur de solutions au niveau mondial, mais je quitte Rome avec des espoirs déçus – même s’ils ne sont pas enterrés », a déclaré sur Twitter le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.
« Si le G20 était une répétition générale pour la COP26, alors les leaders mondiaux ont raté leur réplique », a regretté Jennifer Morgan, directrice exécutive de Greenpeace International. Et de promettre qu’à Glasgow, où de nombreux militants s’apprêtent à manifester, « nous exigerons les actions manquantes pour protéger de la crise climatique comme du Covid-19 ».
« Tout ce que nous avons vu (au G20), c’était des demi-mesures plus que des actions concrètes », a renchéri Friederike Röder, vice-présidente de Global Citizen.
Demi-mesures
Le communiqué final du G20 a bien réaffirmé les objectifs de Paris, tout en insistant sur le fait que « conserver (l’objectif de) 1,5°C à portée nécessitera des actions et des engagements significatifs et efficaces de tous les pays ».
Or ce sont bien les engagements précis qui manquent, comme sur le charbon, grosse source de pollution carbone, sur lequel le G20 n’a pas donné d’objectifs nationaux. Beaucoup de pays, notamment émergents, restent très dépendants de cette source pour leur production électrique, a fortiori dans le contexte actuel de crise énergétique mondiale.
Pas de date précise non plus pour atteindre la neutralité carbone. Le G20 évoque seulement le « milieu du siècle ». Un horizon moins précis que l’horizon de 2050 voulu notamment par la présidence italienne du G20.
L’argent, nerf de la guerre
Déception aussi sur un autre dossier brûlant de la COP, l’aide climatique aux pays pauvres. L’engagement des plus riches de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 ne sera pas tenu… avant 2023. Pourtant, les effets de la crise climatique se font toujours plus sentir, sécheresses, canicules mortelles, méga-feux, inondations… Et les pauvres sont souvent en première ligne.
La promesse de 100 milliards de dollars est bien inférieure aux besoins des pays vulnérables pour faire face au changement climatique, mais elle est devenue un symbole de confiance et d’équité entre les nations riches et pauvres.
Selon les Nations unies, les pays vulnérables auront besoin de 300 milliards de dollars par an d’ici à 2030 pour la seule adaptation au changement climatique. C’est sans compter les pertes économiques potentielles dues aux mauvaises récoltes ou aux catastrophes liées au climat. L’ouragan Maria en 2017 a coûté 69,4 milliards de dollars aux Caraïbes.
Le responsable de la politique climatique de l’Union européenne, Frans Timmermans, a déclaré que la fourniture de ces 100 milliards de dollars était l’une de ses trois priorités pour la COP26, aux côtés de la finalisation du règlement de Paris et de l’obtention d’objectifs de réduction des émissions plus ambitieux.
« Je pense que nous avons encore une chance d’atteindre les 100 milliards de dollars », a déclaré Timmermans à Reuters. « Il serait très important pour Glasgow d’y parvenir, également comme un signe de confiance envers le monde en développement. »
Ces 100 milliards de dollars ne représentent qu’une infime partie des 14 600 milliards de dollars que les principales économies ont mobilisés l’année dernière en réponse à la pandémie, selon le Forum économique mondial. « La pandémie a montré que si la priorité est suffisamment importante, les dépenses peuvent suivre », a déclaré Lorena Gonzalez, associée principale pour le financement du climat à l’Institut des ressources mondiales.
Des absences éloquentes
Plus de 120 chefs d’Etat et de gouvernement sont attendus à Glasgow, dont l’Américain Joe Biden, le Français Emmanuel Macron, l’Indien Narendra Modi et même l’Australien Scott Morrison, ardent promoteur du charbon dont son pays est le premier exportateur mondial.
Mais il y aura aussi de grands absents, comme le Chinois Xi Jinping qui n’est pas sorti de son pays depuis le début de la pandémie de Covid-19. La Chine, premier émetteur de gaz à effet de serre, vient de présenter de nouveaux objectifs de réduction considérés par beaucoup d’experts comme manquant d’ambition.
Vladimir Poutine, président de la Russie, autre grand pays pollueur, comme le Brésilien Jair Bolsonaro, accusé de favoriser une déforestation massive en Amazonie, seront aussi absents.
Les Etats-Unis, dont le président a pris la parole lundi après-midi, ont surtout pointé du doigt Pékin, se disant « déçus » par l’absence d’engagements de la Chine, le principal pollueur mondial, et de la Russie au G20. Les Etats-Unis seront « en mesure d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de 50-52 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2005 », a promis le président américain, poursuivant : « Agir contre le changement climatique est un impératif moral et économique ».
Le président Macron lui a succédé à la tribune, défendant les actions de la France et de l’Europe pour respecter les engagements de l’Accord de Paris et enjoignant les gros pays émetteurs de CO2 à s’engager d’ici la fin de la COP à rendre leurs stratégies nationales conformes à l’objectif de 1.5°C.
Des enjeux explosifs
Les enjeux de la COP26, qui doit durer deux semaines, sont nombreux, plus difficiles et explosifs les uns que les autres dans un contexte de pandémie mondiale qui a fragilisé les pays pauvres déjà vulnérables aux impacts du dérèglement climatique. D’abord l’ambition. Les engagements actuels des quelque 200 signataires de l’accord de Paris, s’ils étaient respectés, mèneraient à un réchauffement « catastrophique » de 2,7°C selon l’ONU.
Alors que la Chine vient de formellement déposer ses nouveaux engagements climat qui reprennent sans les renforcer les promesses faites par le président Xi Jinping, l’Inde, autre émetteur majeur, est désormais au centre des attentes. Si le Premier ministre indien Narendra Modi fait des annonces lors de son discours lundi après-midi, cela « pourrait mettre plus de pression sur la Chine et d’autres », a commenté Alden Meyer, analyste au sein du centre de réflexion E3G.
Autre sujet brûlant, la promesse toujours non tenue des pays riches de porter à 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 leur aide climat aux pays en développement. L’objectif a de facto été repoussé de trois ans à 2023, renforçant la crise de confiance entre le Nord, responsable du réchauffement, et le Sud, victime de ses effets. « La finance climat n’est pas de la charité. C’est une question de justice », a souligné dimanche Lia Nicholson, au nom de l’alliance des petits Etats insulaires (AOSIS), dénonçant aussi le refus de grandes économies de sortir du charbon.
Le rôle-clé de la finance mondiale
Le financement dominera l’ordre du jour des négociations de la COP26 sur le règlement de l’Accord de Paris. Les pays commenceront à discuter de la définition d’un nouvel engagement financier pour le climat après 2025, qui, selon les nations les plus pauvres, doit comporter suffisamment de contrôles et d’équilibres pour garantir que, cette fois, l’argent arrive effectivement.
Un autre point de friction concernera les règles de mise en place d’un marché des compensations carbone dans le cadre de l’Accord de Paris – une question qui a fait dérailler les dernières négociations climatiques de l’ONU en 2019. Les pays en développement veulent qu’une part des recettes du nouveau marché du carbone soit mise de côté pour financer des projets d’adaptation au climat, comme des abris contre les tempêtes ou des défenses contre la montée des eaux. Certains pays plus riches s’y opposent.
« Ces marchés doivent consacrer 1 %, 2 % – ce n’est rien – à l’adaptation. Mais les mêmes pays qui prêchent le financement de l’adaptation s’y opposent », a déclaré à Reuters Mohamed Nasr, négociateur du financement climatique pour le groupe des pays africains à la COP26. Il est difficile d’obtenir un financement privé pour les projets d’adaptation, car ils ne génèrent souvent pas de retour financier. Le soutien public n’est pas non plus au rendez-vous. Sur les 79,6 milliards de dollars de financement climatique que les gouvernements donateurs ont apporté en 2019, seul un quart a été consacré à l’adaptation climatique, selon l’OCDE.
Promesses vs actions concrètes
Les prévisions des experts climat de l’ONU (Giec), qui estiment que le seuil de +1,5°C, objectif idéal de l’Accord de Paris, pourrait être atteint dix ans plus tôt que prévu, autour de 2030, sont « terrifiantes », a-t-elle ajouté. « Encore plus terrifiantes pour ceux d’entre nous qui sont en premier ligne de cette crise, en subissant déjà les conséquences terribles » dans un monde qui a gagné environ 1,1°C.
« Les gens sont fatigués de ne voir que des engagements et des objectifs et non des plans d’action précis », renchérit à l’AFP Laurence Tubiana, ambassadrice de la France dans les négociations de l’accord de Paris. Comment crédibiliser des annonces politiques abstraites, telle que la neutralité carbone d’ici 2050 ? Alors que des centrales à charbon sont toujours en cours de construction, notamment en Chine, ce sommet doit donner l’opportunité de demander aux Etats de présenter des stratégies à long terme de développement à faibles émissions de gaz à effet de serre.
De plus, « les conférences multilatérales sur le climat offrent une plateforme de haut niveau pour lancer et faire le point sur les initiatives publiques et privées visant à faire progresser les actions de l’économie réelle », relève l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), qui prend note d’une attente forte concernant de nouveaux engagements en faveur de la réduction du charbon. Ainsi, le Climate Action network, un réseau qui rassemble plus d’une centaine d’ONG à travers le monde, attend que ce sommet soit celui de la fin des financements publics alloués aux projets de centrales à charbon.
Toutes les promesses attendues à la COP26 seront scrutées de près notamment par les jeunes militants qui ont fait le déplacement à Glasgow malgré les obstacles liés à la pandémie. « En tant que citoyens de cette planète, nous vous appelons à affronter l’urgence climatique », plaident dans une lettre ouverte plusieurs d’entre eux, dont la Suédoise Greta Thunberg arrivée samedi en train en Ecosse. « Pas l’année prochaine. Pas le mois prochain. Maintenant », dit cet appel qui avait recueilli lundi près d’un million de signatures.
Avec AFP, Reuters
Image d’en-tête : Des militants d’Action non-violente COP21 (ANV-COP21) manifestent, lundi 1er novembre, contre la politique écologique d’Emmanuel Macron devant le Scottish Event Campus à Glasgow, Ecosse, où se tient la COP26, en portant des portraits officiels à l’envers du président de la République, décrochés dans les mairies françaises. Jean-Claude Coutausse/Le Monde