Les tout nouveaux engagements climatiques des États n’ont que marginalement amélioré les chances de l’humanité de freiner le réchauffement de la planète, a regretté l’ONU mardi, appelant encore à plus d’ambition d’ici la fin de la COP26 sur le climat. Un projet de résolution diffusé mercredi appelle, face à l’urgence climatique, les pays du monde entier à renforcer et réviser plus rapidement que prévu leurs engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Mais malgré les promesses et les intentions affichées, tout reste à faire, et beaucoup, notamment parmi les jeunes générations commencent à perdre patience.
Juste avant et pendant la conférence climat de Glasgow qui a commencé le 31 octobre, une trentaine de pays ont mis sur la table de nouveaux engagements, à court ou à long terme, notamment le Brésil ou encore l’Inde qui s’est engagée à la neutralité carbone pour 2070. Des annonces que les observateurs avaient souvent jugées significatives. Mais « quand on regarde ces nouveaux engagements, franchement, c’est la montagne qui a accouché d’une souris », a déclaré mardi la patronne du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) Inger Andersen.
Le rapport annuel de référence du PNUE publié juste avant le début de la COP26 prédisait un réchauffement « catastrophique » de +2,7°C par rapport à l’ère pré-industrielle. Ou +2,2°C en prenant en compte les promesses de neutralité carbone pour le milieu du siècle. Les prévisions mises à jour mardi par le PNUE, qui évaluent les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet serre de quelque 150 États pour 2030 ne changent pas vraiment la donne. Les engagements pour 2030 des deux dernières semaines représenteraient 0,5 gigatonne d’équivalent CO2 d’émissions en moins en 2030, mais il faudrait ajouter à cela 27 gt pour limiter le réchauffement à +1,5°C, objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris. De ce fait, les objectifs à 2030 révisés n’entraînent aucun changement de la trajectoire de température : +2,7°C d’ici la fin du siècle, selon le PNUE.
D’autant plus que ces promesses de neutralité carbone « sont généralement vagues, généralement pas transparentes, certaines parlent de gaz à effet de serre et d’autres seulement de CO2, elles sont difficiles à évaluer, et beaucoup d’entre elles reportent les efforts à faire après 2030 », alors qu’il faudrait réduire les émissions de 45% d’ici cette date pour espérer +1,5°C, a commenté Inger Andersen.
Toutes ces évaluations « démontrent qu’il y a eu des progrès mais que ce n’est clairement pas suffisant », a commenté mardi le président de la COP26 Alok Sharma, qui veut pouvoir dire avec « crédibilité » à la fin de cette conférence que l’objectif de +1,5°C est « vivant ». Dans tous les cas, aucune des prévisions ne deviendra réalité sans des politiques mises en œuvre sur le terrain. Des actions réelles qui nécessitent un véritable leadership, a souligné Inger Andersen.
Un projet de résolution finale tiédasse
Malgré ce pessimisme ambiant, les organisateurs de la COP26 ont publié tôt mercredi une ébauche préliminaire d’un accord sur la façon dont les pays collaboreront pour freiner le changement climatique. Le texte publié par la présidence britannique après 10 jours de discussions techniques et de haut niveau à la conférence climat de Glasgow évoluera au cours des derniers jours de la conférence. Il est loin d’être révolutionnaire mais il contient d’ores et déjà plusieurs dispositions qui risquent d’être controversées et dont la formulation sera âprement négociée.
Le rêve évaporé du 1.5°C
Le projet vise à accélérer la réduction des émissions. Constatant que les engagements nationaux actuels sont insuffisants pour éviter un réchauffement catastrophique, le projet invite les pays à actualiser leurs objectifs officiels de réduction des émissions de carbone avant la fin de 2022, en particulier les pays qui n’ont pas adopté d’objectifs plus ambitieux depuis la signature de l’accord de Paris il y a six ans.
Le texte appelle les participants à l’accord à éliminer progressivement le charbon et les subventions aux combustibles fossiles. Ni le mot « charbon » ni « combustibles fossiles » en général n’étaient mentionnés dans l’accord historique de Paris.
Le projet « réaffirme » l’objectif de l’accord de Paris de limiter le réchauffement à bien moins de 2 degrés Celsius et de poursuivre un objectif de 1,5 degré Celsius, mais il ne s’engage pas à atteindre le seuil de 1,5 degré Celsius – que les scientifiques et les pays vulnérables sont de plus en plus nombreux à dire que le monde ne peut se permettre de manquer.
Des pauvres et des riches
Il y a plus de dix ans, les pays riches se sont engagés à verser des milliards de dollars pour aider les pays vulnérables à réduire leurs émissions de carbone et à s’adapter aux effets du changement climatique. À partir de 2020, ils étaient censés fournir au monde en développement 100 milliards de dollars par an. Mais une semaine avant la COP26, les pays riches ont annoncé qu’ils n’atteindraient probablement pas leur objectif de financement climatique de 100 milliards de dollars avant 2023.
Les pays vulnérables, qui ont été les plus touchés par l’aggravation des effets du changement climatique, demandent désormais une aide plus conséquente, notamment un engagement à consacrer autant d’argent aux efforts d’adaptation qu’à la réduction des émissions de carbone. Ils souhaitent que le manque à gagner en matière de financement climatique soit traité comme des « arriérés », un terme couramment utilisé pour les nations les plus pauvres qui ont du mal à rembourser leurs dettes. Mais il est peu probable que les nations riches soient d’accord.
Les nations devraient également commencer à élaborer un plan de financement du climat après 2025, date à laquelle les engagements actuels prennent fin. Ce processus risque d’être controversé, car les pays en développement ont déclaré que leurs besoins pourraient dépasser 1 000 milliards de dollars par an. Le projet de résolution ne mentionne pas de mécanisme financier clair pour faire face aux pertes et dommages, ni ne donne de détails sur le soutien que les nations riches seraient censées apporter au-delà de 2025.
Le flou de la transparence
Les négociations climatiques de Glasgow ont été marquées par des déclarations. Les dirigeants se sont engagés à cesser progressivement de financer le charbon, à réduire leurs émissions de méthane et à mettre un terme à la déforestation. Les nations ont promis d’effacer leur empreinte carbone d’ici le milieu du siècle. Mais une partie essentielle des négociations consiste à affiner les règles visant à garantir que les pays rendent compte de manière claire et précise de ce qu’ils font pour atteindre ces objectifs. En définitive, l’idée est que la transparence conduira à la responsabilité. Le projet de texte ne comprend que des paragraphes très évasifs pour l’une des questions les plus épineuses en cours de discussion : les règles de mesure et de notification des émissions des pays aux Nations unies.
Un marché carbone ectoplasmique
Le texte ne mentionne pas le controversé « article 6″ de l’accord de Paris, qui établirait les règles d’un marché mondial pour l’achat et la vente de carbone. Issues des précédents sommets sur le climat, ces règles sont connues sous le nom d' »article 6 », du nom de la section de l’accord de Paris qui aborde cette question. « Pour le monde des affaires en général, l’article 6 est l’une des parties les plus importantes du paquet », a déclaré Dirk Forrister, directeur général de l’Association internationale du commerce des émissions.
Les régimes d’échange de droits d’émission de carbone existent déjà. Des règles obligatoires sont en place en Europe, et des règles volontaires mais efficaces en Californie et au Québec. La Chine a même lancé un système d’échange pour le seul secteur de l’électricité. Mais un nouveau système d’échange de droits d’émission de carbone entraînerait des problèmes. Le Brésil, par exemple, veut être autorisé à effectuer des transactions privées sans les déclarer aux échanges officiels pour éviter une comptabilité appropriée. Les délégués doivent également déterminer comment évaluer les crédits du mécanisme de développement propre, un programme des Nations unies qui a connu des difficultés après avoir été créé il y a plus de 20 ans. En outre, certains délégués souhaitent qu’un nouveau système d’échange mette de côté une taxe de 1,5 % pour le financement de l’adaptation.
Les premières réactions sont mitigées
Le WWF (Fonds mondial pour la nature) s’est félicité de l’appel à rapprocher les révisions des plans de réduction et de la mention sur les énergies fossiles, mais a souligné que ce texte devait « être un plancher, pas un plafond » et que des points restaient à améliorer.
Pour Jennifer Morgan, directrice de Greenpeace international, « il ne s’agit pas d’un plan pour régler la crise climatique mais d’un accord pour croiser les doigts en espérant que ça va aller. Une demande polie aux pays de si possible, peut-être, faire plus l’an prochain. Ce n’est pas assez ».
La militante Alexandria Villaseñor, 16 ans, qui a commencé à faire grève à 13 ans, devant le siège des Nations unies à New York, a appelé à une action immédiate. Elle a déclaré : « L’ONU nous a montré qu’elle était capable de se mobiliser contre des menaces mondiales imminentes, et la crise climatique est la plus grande menace mondiale jamais connue par l’humanité … Nous manquons rapidement de temps pour protéger les enfants et les générations futures, et nous demandons aux adultes de se mobiliser dès maintenant et de rallier une réponse mondiale critique à la crise climatique. »
Les jeunes demandent une déclaration d’urgence mondiale
Greta Thunberg et de jeunes militants pour le climat du monde entier ont déposé ce 10 novembre une pétition juridique auprès du secrétaire général de l’ONU pour lui demander de déclarer une « urgence climatique à l’échelle du système ». Ils demandent à António Guterres d’utiliser les pouvoirs d’urgence pour égaler le niveau de réponse adopté pour la pandémie de coronavirus en déclarant la crise climatique comme une urgence mondiale de niveau 3 – la catégorie la plus élevée de l’ONU.
Les jeunes militants pour le climat espèrent qu’une déclaration d’urgence permettra d’envoyer rapidement des ressources et une expertise technique aux pays les plus menacés par le réchauffement de la planète, notamment les petits États insulaires et les pays en développement, afin de soutenir l’adaptation au changement climatique, l’analyse de la science du climat et les réponses de santé publique.
Il semblerait que les Nations unies aient déjà pris connaissance d’une version préliminaire de la pétition et qu’une urgence de niveau 3 soit en cours de discussion, mais un porte-parole du bureau du secrétaire général a refusé de faire des commentaires sur la possibilité de la mettre en œuvre.
Dans le projet de pétition, révélé par The Guardian, les militants demandent au secrétaire général et aux autres agences des Nations unies de « mobiliser une réponse globale des Nations unies à l’urgence climatique ». Ils les exhortent également à nommer une équipe de gestion de crise pour « superviser une action mondiale immédiate et complète sur le climat ».
Citant les mesures prises par M. Guterres et le Comité permanent inter-agences (IASC), le forum de coordination humanitaire des Nations unies, en réponse à Covid-19, ils affirment : « L’urgence climatique – qui menace chaque personne sur la planète dans un avenir prévisible – est une menace au moins aussi grave qu’une pandémie mondiale et nécessite de la même manière une action internationale urgente. »
Scott Gilmore, avocat spécialisé dans les droits de l’homme au sein du cabinet Hausfeld et principal conseiller dans cette affaire, a déclaré qu’une déclaration d’urgence pourrait conduire à la création d’un organe spécial, ou d’un « tsar du climat », chargé de coordonner les efforts entre les agences des Nations unies. Il a déclaré : « C’est l’une des grandes leçons que l’on a tirées de la réponse au Covid. L’Organisation mondiale de la santé a été chargée de diriger la réponse, mais elle a reçu le soutien organisationnel et l’infrastructure nécessaires au sein des Nations unies. « Le secrétaire général a vraiment pris les devants ces dernières années pour pousser les États à déclarer des urgences climatiques nationales », a-t-il ajouté. « L’ONU n’a pas encore franchi cette étape. Le point de vue des pétitionnaires dans cette affaire est que le moment est venu. »
Cette action intervient après que le même groupe a vu son action, dans laquelle il affirmait que les pays qui perpétuent la crise climatique violent leurs droits de l’homme, rejetée par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies le mois dernier. Dans leur dernière action en justice, ils affirment qu’une réponse globale des Nations unies est nécessaire parce que « l’action climatique ne doit pas s’arrêter aux frontières des États » et pour s’attaquer aux « inégalités fondamentales du changement climatique ». Ils affirment également que cette réponse est nécessaire pour montrer aux jeunes du monde entier que l’ONU « ne nous a pas abandonnés à un avenir sombre ».
Avec AFP, Washington Post
Image d’en-tête : Du bleu froid au rouge suffoquant, des bandes de couleur représentant 170 ans de réchauffement climatique d’un seul coup d’oeil sont devenues un symbole incontournable à la COP26 à Glasgow. Créées par le climatologue Ed Hawkins Retraçant l’évolution des températures moyennes dans le monde entre 1850 et 2020, ces rayures se retrouvent lors d’expositions sur le développement durable, sur masques et vêtements, et même sur les murs de la cafeteria du sommet, qui se tient jusqu’à la fin de la semaine dans la deuxième ville écossaise.