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« Osons la nuit » ou l’alerte à la pollution lumineuse

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La pollution lumineuse, enjeu majeur du XXIe siècle. Pour la première fois au niveau planétaire, le cycle immémorial jour/nuit est bouleversé et fragilise notre écosystème global. Le chercheur suédois Johan Eklöf tire la sonnette d’alarme et nous invite à nous réconcilier avec l’obscurité dans son livre Osons la nuit qui paraît ce jeudi 6 octobre aux éditions Tana. Une plongée immersive dans le monde magique de la nuit.

Osons la nuit, c’est le cri d’alarme lancé par le biologiste suédois Johan Eklöf dans un « Manifeste contre la pollution lumineuse » traduit en huit langues, à paraître ce jeudi 6 octobre en France chez Tana éditions.
L’écologiste a voulu « éveiller les consciences » sur une obscurité naturelle qui ne cesse de décliner, aux dépens de la faune nocturne – un tiers des vertébrés et presque deux tiers des invertébrés. Son ouvrage veut provoquer un électrochoc tout en nous invitant à surmonter notre peur instinctive de la nuit, « à mieux la ressentir, pour mieux la préserver ».

« Le terme de « pollution lumineuse » qui désigne toute lumière superflue ayant un fort impact sur nos vies et nos écosystèmes, a été forgé au départ par les astronomes. Il est repris aujourd’hui par tous les écologistes, les physiologistes et les neurologues qui étudient les effets de la disparition de la nuit car cette disparition ne concerne plus seulement les étoiles et les insectes, mais tout ce qui vit, y compris nous, les humains. »

L’éclairage artificiel mondial « représente un dixième de l’ensemble de notre consommation énergétique, or une infime fraction de cette lumière nous est utile », écrit Johan Eklöf. Nous avons tous déjà observé l’effet d’attraction que produit une ampoule allumée dans la pénombre sur les papillons de nuit. Mais a-t-on vraiment conscience des conséquences de ce piège lumineux ? Capturés par l’éclat hypnotisant de la lampe, ils meurent bien souvent d’épuisement avant l’aube. S’ils survivent, ils n’atteignent pas les objectifs de la nuit : pomper le nectar, transporter le pollen, pondre leurs œufs.

Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres des conséquences de la pollution lumineuse sur notre biodiversité. En France, le constat est sans appel : en 2021, 85% du territoire métropolitain y est exposé à un niveau élevé. S’il est de plus en plus rare de pouvoir profiter du spectacle de la voûte céleste, les répercussions de l’éclairage artificiel intensif et abusif sur nos écosystèmes sont bien plus préoccupantes. Chauves-souris, scarabées, merles, mais aussi coraux, végétaux et nous autres humains : rien ni personne n’est épargné par l’effet domino de l’obscurité décroissante, qui perturbe les cycles de vie et dérègle le rythme immémorial de l’alternance du jour et de la nuit.

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Zoologiste suédois de renommée internationale, spécialiste des chauves-souris, Johan Eklöf restitue ses expériences et ses réflexions tirées de plus de vingt ans de recherche. Il nous invite à une plongée inédite et passionnante dans le monde de l’obscurité : « Avec ce livre, je souhaite mettre en évidence l’importance de l’obscurité pour tous les êtres vivants. J’aimerais restituer, en quelques courts épisodes, des impressions, des expériences, et des réflexions tirées de mes vingt années au service de la nuit en tant que chercheur, en tant que spécialiste des chauves-souris, en tant que voyageur et en tant qu’ami de l’obscurité. »

Auprès des chauves-souris, il a constaté les dégâts en voyant ces emblématiques mammifères du crépuscule disparaître peu à peu des églises aux façades éclairées. Un déclin concomitant avec leur entrée sur la liste rouge des espèces menacées en Suède. « J’ai voulu étudier les menaces sur les autres animaux, et je me suis aperçu à quel point tout était affecté », explique-t-il.

Osons la nuit part à la rencontre des scarabées, crapauds, hérissons, oiseaux… Toutes ces créatures habituées depuis des millions d’années à se fier aux étoiles ou à la Lune pour s’orienter, et qui se trouvent égarées par des éclairages trop intenses.

Les conséquences ? On connait l’exemple du papillon de nuit capturé par l’éclat d’un lampadaire qui meurt d’épuisement à l’aube. Mais elles vont bien au-delà : pollinisation, chasse, reproduction, ponte, migration… C’est toute l’activité de l’écosystème qui est compromise, « jusque dans les océans », se désole le chercheur.

La pollution lumineuse jouerait un rôle crucial dans le déclin des insectes

La pollution lumineuse est reconnue comme un des facteurs de déclin de la biodiversité, avec la perte d’habitat et les pesticides. Mais ses impacts restent difficiles à mesurer et « la menace est sous-estimée », selon Johan Eklöf. Heureusement, la recherche sur le sujet, balbutiante il y a encore trois ans, est « en plein essor ; quelque chose s’est passé », souligne-t-il.

Il y a eu une « prise de conscience » du phénomène, remarque Ashley Wilson, directrice de la conservation de l’International Dark Sky Association (IDA), ONG environnementale de protection du ciel nocturne et de promotion d’un éclairage responsable. Pour preuve, les labels de « réserves de ciel étoilé » qu’elle délivre à travers le monde sont de plus en plus prisés.

Selon l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes (ANPCEN), le nombre de points lumineux en France a crû de plus de 90 % en 25 ans. Cet accroissement entraîne une augmentation de la pollution lumineuse, dont les conséquences sont multiples : formation de halos lumineux empêchant l’observation du ciel étoilé, altération de la « ressource obscurité » vitale à de nombreuses espèces animales, ou encore perturbation du rythme circadien de sécrétion de la mélatonine chez l’homme.

L’essor de l’astrotourisme, le tourisme des étoiles

L’ONG vient de dépasser les 200 réserves certifiées – 100 de plus en six ans – et peut se targuer d’un parc de 160.000 km2, qu’elle espère agrandir en Asie et en Afrique.

« Notre point de départ, c’est l’astrotourisme. C’est en observant la voûte céleste qu’on reconnaît que la pollution lumineuse est un problème croissant », explique Ashley Wilson. Depuis 2017, on sait qu’elle augmente de 2% par an à l’échelle globale et « qu’en Europe et aux Etats-Unis, 99% des populations ne vivent pas sous un ciel étoilé ».

La pollution lumineuse continue de masquer les étoiles 

Une étude a été menée en 2019 au Royaume-Uni par le groupe Campaign to Protect Rural England (CPRE) révèlant que, malgré les alertes émises, la pollution lumineuse demeure un problème majeur et que plus de la moitié des participants était incapable de voir plus de 10 étoiles dans la constellation d’Orion. D’où une soif grandissante de « s’éloigner des halos lumineux des villes dont les ciels jaunis ne laissent briller qu’une poignée d’étoiles », relève Sébastien Vauclair du DarkSkyLab, bureau d’études français qui dresse des cartes de la pollution lumineuse.

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Le sujet apparu dans les années 1960 n’a longtemps préoccupé que les astronomes. Il a fallu attendre les années 2010 pour « qu’on commence à s’inquiéter de la biodiversité », raconte cet astrophysicien à l’origine de la création de la réserve du Pic du Midi (RICE), créée le 19 décembre 2013. Pionnière sur le territoire national, la RICE se situe en région Occitanie, dans le département des Hautes-Pyrénées. Elle regroupe 251 communes urbaines et rurales. La protection du ciel étoilé entourant le Pic du Midi rejoint une valorisation touristique ancienne et bien ancrée territorialement.

Prôner la sobriété lumineuse, dans un contexte de crise énergétique

Aujourd’hui, la crise énergétique est une porte d’entrée efficace pour plaider sa cause. « Quand on prône la sobriété lumineuse on est enfin entendus », se réjouit le responsable du DarkSkyLab, qui se bat pour l’extinction des feux superflus, des lampadaires mal dirigés, des ampoules LED trop intensives… Comme l’explique sur son blog ce bureau d’études, de nombreuses communes font des efforts pour pratiquer l’extinction de l’éclairage public en cœur de nuit afin de diminuer la pollution lumineuse et contribuer à préserver la biodiversité. Mais ces efforts sont bien souvent contrecarrés par l’augmentation des nuisances lumineuses issues des parcs d’éclairage privé. C’est le cas en particulier dans le Finistère où sont implantées de nombreuses serres qui pratiquent la culture de tomate hivernale. Ce type de culture utilise généralement un éclairage à base de LED avec une composante bleue importante qui cherche à reproduire le spectre solaire durant la nuit et accélérer la pousse des tomates. Cela se traduit par de très fortes émissions de lumière vers le ciel qui sont facilement repérables sur les images satellite nocturnes.

La bonne nouvelle, c’est qu’environ une commune française sur trois de plus de 100 habitants pratique l’extinction des feux en cœur de nuit. Mais c’est encore insuffisant, « car le vrai enjeu pour la faune se joue en extrémité de nuit », au crépuscule et à l’aube où l’activité animale est la plus importante, pointe-t-il.

« Toute initiative est bonne à prendre », insiste Ashley Wilson, saluant les récentes mesures de transformation de l’éclairage public à Paris, Pittsburgh… « Si on peut éteindre la lumière pour économiser l’énergie, on peut le faire pour la biodiversité ».

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