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Les menaces du Grand Nord La fonte de l’Arctique est une bombe à retardement pour la planète et la santé humaine
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Les menaces du Grand Nord

La fonte de l’Arctique est une bombe à retardement pour la planète et la santé humaine

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Le 29 mai dernier, le réservoir d’un groupe minier russe installé sur le sol gelé de la Sibérie Arctique voyait ses piliers rompre, laissant échapper 21 000 tonnes de diesel dans la nature. Un désastre écologique dont la cause est attribuée à la fonte du permafrost, ce sol en permanence gelé qui ne résiste plus au réchauffement climatique. Les spécialistes pensent que cet accident industriel est le prélude d’une série de catastrophes multifactorielles : rejet de gaz à effet de serre en masse dans l’atmosphère, instabilité des sols, libération de mégavirus jusque là endormis sous la glace, épanchement de mercure hautement toxique, risques géostratégiques. Le tic-tac de la bombe à retardement Arctique est enclenché.

Quand le sol se dérobe

Vendredi 29 mai, un réservoir de carburant d’une centrale thermique russe construite sur le permafrost sibérien s’effondre. Il laisse échapper 21 000 tonnes d’hydrocarbure dans la nature.  La catastrophe industrielle et écologique a été qualifiée de « sans précédent par son ampleur ». Un accident si grave que le président russe Vladimir Poutine déclarait mercredi 3 juin l’état d’urgence.

« Il n’y a jamais eu de fuite pareille dans l’Arctique auparavant » précise à l’AFP le porte-parole du service d’urgence marine russe, spécialisé dans ces accidents. « Il faut travailler très rapidement car le carburant est en train de se dissoudre dans l’eau ». Pour Greenpeace Russie, cet accident est « le premier à cette échelle dans l’Arctique ». L’Agence russe de la pêche a, pour sa part, estimé qu’il faudrait des décennies pour que l’écosystème se rétablisse. Une pollution visible depuis l’espace : sur les images de l’agence spatiale européenne (ESA), qui datent du 1er juin, on peut voir plusieurs branches de la rivière teintées de rouge sur une longueur de plus de deux kilomètres.

La progression de la pollution a été stoppée grâce au déploiement d’un barrage de confinement flottant. Les secours mobilisés pour tenter de limiter les dégâts, travaillent dans un contexte compliqué par les difficultés d’accès, la faible profondeur de la rivière empêchant les opérations en bateau, et le terrain marécageux au printemps. Les secours ont pompé les hydrocarbures et les ont stockés sur place dans des conteneurs en attendant l’hiver, lorsque le gel aura rendu le terrain plus praticable. Jusqu’ici, 200 tonnes ont pu être sorties des eaux.

Un réservoir d’hydrocarbure du site de Norilsk (photo IRINA YARINSKAYA / AFP)

« Est-ce que tout va bien dans votre tête ? », s’est emporté Vladimir Poutine contre Vladimir Potanine, le richissime patron de Norilsk Nickel, propriétaire du réservoir effondré. Il y a de quoi se mettre en colère car le réservoir à la source de la pollution est en exploitation depuis 35 ans et ses infrastructures n’ont pu être vérifiées depuis au moins 2016 car la société propriétaire affirmait que l’installation était en réparation. Pour comprendre les causes de cette catastrophe, le Comité d’enquête russe a annoncé l’ouverture de trois enquêtes criminelles et déjà, le responsable de la centrale a été arrêté et placé en détention provisoire.

Toutefois, c’est la fonte du permafrost qui semble la cause principale du désastre.  Celle-ci est considérée en Russie comme un défi majeur car elle fragilise les villes et les infrastructures, notamment minières, gazières et pétrolières, bâties dessus depuis des décennies. Le gouvernement russe considère ce dégel dans l’Arctique, où l’exploitation des ressources naturelles est une priorité stratégique du Kremlin, comme un risque majeur aux conséquences imprévisibles. Selon une étude publiée en décembre 2018 dans Nature Communications, elle menace, d’ici à 2050, jusqu’à 70% des infrastructures en Arctique, dont des champs pétrolifères et gaziers, et 3,6 millions de personnes pourraient être affectées par ces dégâts. La Russie a ordonné vendredi 4 juin une vérification complète de ses infrastructures à risque bâties sur le permafrost, fragilisé par le changement climatique.

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Bombe climatique

Le permafrost (pergelisol en anglais) désigne des étendues immenses de sols gelés toute l’année. Il recouvre un bon quart des terres émergées de l’hémisphère Nord, en Russie, au Canada et en Alaska. Les sols de ces régions sont composés de masses de glace pure qui s’accumulent sur des épaisseurs allant de quelques centimètres à plusieurs centaines de mètres.

Ces sols gelés en permanence renferment 1 700 milliards de tonnes de CO2 piégés là depuis des millénaires sous forme de matière organique gelée, c’est-à-dire de restes de plantes pourries et d’animaux morts depuis longtemps, séquestrés dans les sédiments et recouverts ensuite par des couches de glace. Le chiffre de 1 700 milliards représente le double du dioxyde de carbone déjà présent dans l’atmosphère, dont on connaît les conséquences sur le climat actuel et futur. Autre comparaison parlante : il représente quarante fois les émissions annuelles actuelles de CO2.

Avec la hausse des températures, le permafrost se réchauffe et commence à fondre, libérant progressivement les gaz qu’il neutralisait jusque-là. Et le phénomène devrait s’accélérer, selon les scientifiques, qui décrivent un cercle vicieux : les gaz émis par le permafrost accélèrent le réchauffement, qui accélère la fonte du permafrost. Et en matière de réchauffement, l’Arctique bat en ce moment des records et notamment en Sibérie où se trouve une grande partie du permafrost de la planète.

 

Le monde a connu son mois de mai le plus chaud jamais enregistré, a déclaré vendredi le réseau de surveillance du climat de l’Union européenne. Mais en Sibérie les températures sont montées en flèche de 10 degrés Celsius (°C) au-dessus de la moyenne le mois dernier. Selon le service Copernicus sur le changement climatique (C3S), la Sibérie occidentale en particulier a été exceptionnellement chaude pendant plusieurs mois consécutifs. « Les très grandes anomalies ont commencé en janvier, et depuis lors, ce signal a été assez persistant » précise à l’AFP, Freja Vamborg, scientifique principal de C3S.

Selon le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur les océans et la cryosphère, dévoilé en septembre 2019, une fonte « importante » du permafrost pourrait se produire d’ici 2100 si les émissions de CO2 ne sont pas réduites, ce qui provoquerait le relâchement de dizaines voire de centaines de milliards de tonnes de gaz à effet de serre.

Bombe sanitaire

Outre ses effets climatiques, la fonte du permafrost, qui abrite des bactéries et virus parfois oubliés, représente aussi une menace sanitaire. Pendant l’été 2016, un enfant est mort en Sibérie de la maladie du charbon (anthrax), pourtant disparue depuis 75 ans dans cette région. Pour les scientifiques, l’origine remontait très probablement au dégel d’un cadavre de renne mort de l’anthrax il y a plusieurs dizaines d’années. Libérée, la bactérie mortelle, qui se conserve dans le permafrost pendant plus d’un siècle, a réinfecté des troupeaux.

Et la menace ne se limite pas à l’anthrax. En se réchauffant du fait du dérèglement climatique, cette couche gelée a libéré des organismes étranges. Parmi eux, un monstre : Mollivirus sibericum. « Unique en son genre » dit Jean-Michel Claverie, son génome est énorme, comportant plus de 650 000 paires de bases dans son ADN, alors qu’il n’y en a qu’une dizaine dans un virus comme celui de la grippe ou du Sida. Plus étrange encore, ce pandoravirus avait résisté pendant 30 millénaires sous la glace sans rien perdre de son pouvoir infectieux !

Pandoravirus

Dans ces régions arctiques, que la fonte du permafrost a rendues plus accessibles pour l’industrie minière et pétrolière, les scientifiques préviennent que certains de ces virus pourraient se réveiller un jour si les Hommes remuent trop en profondeur les sous-sols. Les chercheurs n’hésitent pas à dire qu’ils « ressuscitent ».

Cette hypothèse fait froid dans le dos d’autant plus que ces zones, restées longtemps désertiques, sont désormais plus accessibles et attirent les convoitises. Leur sous-sol contient en effet de nombreux minéraux et hydrocarbures jusque-là inexploités.  Le professeur Claverie expliquait au micro de France Inter : « Le permafrost ne va pas fondre sur 30 mètres très rapidement, mais d’ores et déjà il est possible d’accoster, d’installer des mines, des gros équipements qui vont être capables de fouiller le permafrost sur des kilomètres pour chercher du pétrole, du gaz, des minerais. On va extraire des millions de m3 de sol et là, des poches qui n’auront pas été fouillées depuis un million d’années vont revenir à la surface. »

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Il ajoute, histoire de nous faire monter un peu plus le stress : « C’est ce côté indirect du réchauffement climatique qui est dangereux. Le fait de pouvoir accéder à des endroits où il n’y avait personne avant, d’y installer des campements, des usines, présente un réel danger. Jusqu’à présent il n’y avait que des étendues désertiques ; personne ne pouvait être infecté par un possible virus. Mais si on met des gens qui en plus vont être confinés sur des endroits où vous allez extraire ce permafrost en quantité, c’est vrai qu’objectivement il y a un risque de faire resurgir des vieilles terreurs du passé ».

Bombe au mercure

CO2, virus, et maintenant un poison, le mercure. Une étude publiée en 2018 dans la revue Geophysical Research Letters révélait que les sols du permafrost sont le plus grand réservoir de mercure de la planète, stockant près de deux fois plus de mercure que tous les autres sols, l’océan et l’atmosphère réunis. Avec l’élévation des températures, le dégel du permafrost pourrait libérer une grande quantité de mercure qui pourrait affecter les écosystèmes partout dans le monde. Le mercure s’accumule dans les chaînes alimentaires aquatiques et terrestres et a des effets nocifs sur la santé neurologique et reproductive des animaux.

« Si tout restait gelé, Il n’y aurait aucun problème environnemental ; mais nous savons que la Terre se réchauffe. », a déclaré l’auteur de l’étude Paul Schuster, hydrologue à l’ U.S. Geological Survey à Boulder, au Colorado. « Cette découverte change toute la règle du jeu. »

Selon Edda Mutter, directrice scientifique du Yukon River Inter-Tribal Watershed Council, qui a participé à l’étude, le mercure piégé pourrait s’infiltrer dans les cours d’eau et se transformer en méthylmercure, une puissante neurotoxine qui peut causer des troubles moteurs et des anomalies congénitales chez les animaux. Une telle contamination pourrait se propager rapidement dans la chaîne alimentaire, depuis les micro-organismes jusqu’aux humains, craint la scientifique. Les rejets de mercure pourraient avoir des conséquences mondiales considérables. Le mercure rejeté dans l’atmosphère peut parcourir de grandes distances et affecter les communautés et les écosystèmes à des milliers de kilomètres du site de rejet.

Bombe stratégique

Les territoires concernés par le permafrost s’étendent le long des côtes de la calotte glaciaire de l’Arctique. En quelques décennies, celle-ci a perdu près de la moitié de sa surface. Et ce n’est pas terminé. Les scientifiques qui observent la fonte de la banquise s’alarment ; selon les calculs des spécialistes du National Snow and Ice Data Center des États-Unis situé à Boulder, au Colorado, la couverture des glaces de mer de l’Arctique a diminué de 13,2 % par décennie en septembre de chaque année. Depuis le début des enregistrements par satellite en 1979, les douze niveaux les plus bas ont tous été enregistrés au cours des douze dernières années. Le record le plus bas a été atteint en 2012, avec 3,39 millions de kilomètres carrés.

Ces effets du réchauffement climatique sont une bénédiction pour Vladimir Poutine qui fonde de grands espoirs dans l’ouverture de cette route qui va transformer la géographie de la mondialisation. Déjà, des centaines de navires de tout acabit se pressent aux portes de ce corridor. Il suffit de se rendre sur le site marinetraffic.com pour observer, en quelques clics et en temps réel, une foule de pétroliers, de cargos, de navires de recherche, de bateaux de pêche. On trouve même quelques paquebots de croisière qui sillonnent dans ces eaux.

La Russie n’est pas la seule à voir dans cette ouverture une aubaine pour donner un nouvel élan aux terres jadis inhospitalières mais extraordinairement riches en ressources du Nord de la Russie. La Chine aussi y voit le moyen de prolonger sa fameuse « route de la soie » et inonder le monde occidental d’encore plus de produits et de matières premières. En passant par le Nord, les marchandises chinoises économisent 40 % de trajet par rapport à celui empruntant le canal de Suez. L’Arctique est en train de devenir la voie royale des porte-conteneurs et des pétroliers qui constituent le flux vital de l’économie mondiale.

Source : neogeopo.com

Il n’y a pas si longtemps encore, les régions du Grand Nord et de l’Arctique intéressaient surtout les explorateurs, les scientifiques et les populations locales de pêcheurs. Aujourd’hui, la Russie, le Danemark, le Canada, la Norvège et les États-Unis font d’ores et déjà valoir leurs droits – et d’autres pays, comme la Chine, se bousculent pour pêcher, forer et traverser. La région qui devrait être un « bien commun », est en train de devenir une zone explosive de tensions internationales. Le Washington Post cite le témoignage devant le Sénat américain, de l’ancien chef du Commandement de la marine américaine dans le Pacifique, l’amiral Harry Harris, actuellement ambassadeur des États-Unis en Corée du Sud. Il a déclaré : « Il convient de noter en particulier les efforts déployés par la Russie pour renforcer sa présence et son influence dans le Grand Nord. La Russie a plus de bases au nord du cercle arctique que tous les autres pays réunis, et elle construit davantage avec des capacités nettement militaires. »

Cette ruée des grandes puissances avec leurs armadas de pétroliers inquiète les associations de protection de l’environnement, qui craignent des accidents industriels et une pollution non maîtrisée menaçant un écosystème jusqu’ici relativement préservé. Avec des routes maritimes arctiques de plus en plus utilisées par la navigation marchande, un océan Arctique libre de glace pourrait tester la résistance et la capacité d’adaptation des mammifères marins. Les narvals, les morses, les baleines boréales et les bélugas sont à un niveau de risque élevé face au trafic maritime. Des scientifiques comme Donna Hauser font remarquer dans une étude récente que les cétacés qui habitent l’Arctique sont des animaux migrateurs qui suivent des routes établies depuis des générations. Ils sont également fidèles à certains sites d’alimentation se trouvant dans des eaux très productives. Le passage du Nord-Ouest et la route maritime du Nord se juxtaposent à ces endroits prisés pour se nourrir et aux routes migratoires empruntées à l’automne. De plus, certaines zones géographiques forment un goulot et amènent les navires et les mammifères marins à se partager un territoire très restreint. La baie de Baffin, le détroit de Béring et le détroit de Lancaster sont des zones où le passage du Nord-Ouest empiète directement sur l’aire de répartition des populations de mammifères marins.

Avec le réchauffement climatique, les régions Nord du globe s’insèrent au cœur de stratégies de conquête de territoires sur la nature. Des régions qui étaient des sanctuaires naturels pris dans les glaces sont en train de devenir des cauchemars industriels. Aucune leçon ne semble tirée des dégâts causés par la voracité industrielle des hommes. La planète et surtout l’espèce humaine sont menacées mais l’on continue de plus belle.

Avec AFP

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