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La pollution de l’air va entraîner des migrations massives de population

La pollution de l’air va entraîner des migrations massives de population

La décision historique d’un tribunal français est un signal d’alerte

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La Cour administrative d’appel de Haute-Garonne a prononcé un jugement qualifié d’historique. Elle a annulé l’extradition d’un ressortissant du Bangladesh en invoquant, pour la première fois, le risque lié à l’extrême pollution de l’air dans son pays d’origine. Avec 9 millions de morts prématurées dans le monde, 800 000 à l’échelle de l’Europe et 48 000 en France, la pollution de l’air par les particules fines est un enjeu majeur de santé publique. C’est aussi devenu, depuis ce jugement qui pourrait faire jurisprudence, un immense problème de migrations, que les gouvernements sont appelés à envisager de toute urgence.

La pollution atmosphérique ne respecte pas les frontières nationales et la dégradation de l’environnement entraînera des migrations massives à l’avenir. Le jugement de la Cour administrative d’appel de Bordeaux fait figure de première mondiale et suscite de nombreuses réactions teintées souvent d’inquiétude.

Le tribunal de Bordeaux a en effet refusé l’expulsion de « Sheel », un sans-papiers originaire du Bangladesh vivant à Toulouse et atteint d’une maladie respiratoire chronique, en fondant sa décision sur des critères de pollution atmosphérique. Serait-ce le premier jugement d’une cour administrative d’appel qui consacre le statut de réfugié climatique ? « Oui, car effectivement, je n’ai pas connaissance d’une autre affaire où la justice aurait considéré comme c’est le cas ici, que renvoyer une personne qui souffre de problèmes respiratoires dans un des pays les plus pollués au monde, l’exposerait à un risque d’aggravation de sa maladie, voire à une mort prématurée » savoure l’avocat toulousain Ludovic Rivière.

Il faut rappeler que, ces dernières années, le Bangladesh est devenu l’un des pires pays du monde en matière de pollution de l’air. Selon l’Organisation mondiale de la santé, le Bangladesh fait partie des dix premiers pays pour les concentrations de PM2,5, les particules polluantes nocives présentes dans l’air.

L’accent mis sur la modernisation par l’industrialisation et la construction s’est avéré dévastateur pour l’air du Bangladesh et les plus grandes causes de pollution sont les émissions des véhicules, la combustion des déchets et les émissions industrielles toxiques des usines de béton, d’acier et de briques qui sont rejetées dans l’air. Selon ces chiffres de l’OMS, la pollution atmosphérique, tant ambiante que domestique, a été un facteur de risque extrêmement élevé dans les 572 600 décès dus à des maladies non transmissibles au Bangladesh en 2018. Selon un rapport, environ 72% des ménages nationaux du Bangladesh utilisent encore des combustibles solides pour le chauffage et la cuisine, ce qui contribue fortement à la pollution de l’air.

Un jugement qui fera jurisprudence ?

Le 18 décembre dernier, la cour administrative d’appel de Bordeaux, saisie par le Préfet de Haute-Garonne, a rendu un jugement catégorique. Pour la cour, renvoyer le réfugié bangladais dans son pays d’origine engendrerait « une aggravation de sa pathologie respiratoire en raison de la pollution atmosphérique ». La justice fait donc intervenir le critère climatique dans sa décision. C’est une première. Fera-t-elle pour autant jurisprudence ?

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« De la même manière qu’on ne renvoie pas un malade du Sida vers un pays où il ne peut pas être soigné ou bien un condamné à mort vers un État qui pratique la peine capitale, Sheel ne peut pas être expulsé vers le Bangladesh. De là à faire jurisprudence et à créer un vrai statut de réfugié climatique en France, on en est encore loin », estime Me Rivière qui espère désormais que les pouvoirs publics et les tribunaux considèreront de manière plus systématique la question climatique. « Les candidats à l’exil climatique vont être de plus en plus nombreux, les politiques ne vont pas avoir d’autre choix que de s’y intéresser rapidement ».

C’est aussi l’avis de Sailesh Mehta, un avocat britannique spécialisé dans les affaires environnementales, qui a déclaré au Guardian : « Le lien entre la migration et la dégradation de l’environnement est clair. Le réchauffement climatique rendant certaines parties de notre planète inhabitables, les migrations de masse deviendront la norme. La pollution de l’air et de l’eau ne respecte pas les frontières nationales. Nous pouvons empêcher qu’une crise humanitaire et politique ne devienne une crise existentielle. Mais nos dirigeants doivent agir maintenant ». Le juriste ajoute : « Nous avons le droit de respirer un air pur. Les gouvernements et les tribunaux commencent à reconnaître ce droit humain fondamental. Le problème n’est pas seulement celui du Bangladesh et du monde en développement. La pollution de l’air contribue à environ un décès sur quatre dans le monde ».

Le Dr David Boyd, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme et l’environnement, a approuvé l’analyse de Sailesh Mehta, déclarant au Guardian : « La pollution de l’air provoque des millions de décès prématurés chaque année, il est donc compréhensible que les gens se sentent obligés d’émigrer à la recherche d’air pur pour préserver leur santé. La pollution de l’air est une catastrophe mondiale en matière de santé publique qui ne reçoit pas l’attention qu’elle mérite parce que la plupart des personnes qui meurent sont pauvres ou vulnérables ». Il poursuit en expliquant : « Mon travail est vraiment axé sur la reconnaissance et la mise en œuvre du droit de chacun à vivre dans un environnement sain, ce qui inclut certainement l’air pur. Je suis impliqué dans deux procès très importants sur cette question en Afrique du Sud et en Indonésie ».

Alex Randall, coordinateur de la Climate & Migration Coalition, a déclaré qu’il fallait établir des itinéraires sûrs et légaux pour permettre aux gens de migrer. « Des cas comme celui-ci, où la qualité de l’air ou d’autres pollutions deviennent une raison d’empêcher l’expulsion, sont certainement des avancées importantes. Ils peuvent potentiellement jeter les bases d’autres cas futurs dans lesquels les impacts du changement climatique constituent un motif pour permettre aux gens de rester. En fait, plusieurs autres affaires concernant principalement des personnes originaires de pays insulaires du Pacifique vulnérables au climat ont commencé à le faire. » Il émet toutefois des doutes sur la portée jurisprudentielle de la décision française : « Ces affaires ne créent généralement pas de précédents juridiques et les personnes qui se déplacent au-delà des frontières en raison des effets du changement climatique restent dans une zone d’ombre juridique ».

C’est ce que pense aussi François Gemenne, enseignant et spécialiste des migrations liées à l’environnement. Il doute lui aussi que la décision de la Cour d’appel de Bordeaux fasse des émules. « Parmi les demandeurs de protection, on trouve beaucoup de victimes de dégradation de leur environnement, cela joue un vrai rôle dans les causes de départ, mais c’est très rarement invoqué auprès des autorités, tout simplement car ce n’est presque jamais recevable et les demandeurs le savent bien », explique le chercheur interrogé par InfoMigrants. Selon lui, si le cas de Sheel est inédit, il arrive ponctuellement que des critères environnementaux soient pris en compte par la justice française. « Ce sont des décisions très sporadiques, tous les deux ou trois ans. Il y a déjà eu notamment plusieurs fois le cas de personnes ne pouvant pas être expulsées vers leur région d’origine car celle-ci était trop exposée à des catastrophes naturelles. Il faudrait pouvoir construire une jurisprudence à partir de tous ces cas, sauf que le climat politique actuel n’est pas à l’élargissement des critères d’obtention de l’asile », regrette-t-il.

Migrations climatique massives attendues

Selon l’Environmental Justice Foundation, une personne toutes les 1,3 secondes est obligée de quitter son domicile et sa communauté en raison de la crise climatique, mais des millions de personnes ne bénéficient d’aucune protection juridique. Il y a un an, une décision du Comité des droits de l’homme des Nations unies a établi qu’il est illégal pour les gouvernements de renvoyer des personnes dans des pays où leur vie pourrait être menacée par la crise climatique.

En 2018, les Nations-Unies avaient évoqué le chiffre de 1 milliard de migrants climatiques attendus d’ici 2050. Face à ce chiffre, UP’ Magazine avait publié une note confidentielle émanant des Nations-Unies dans laquelle des experts avaient pointé le degré d’impréparation de la communauté internationale face à cette question.

Durant l’instruction de leur rapport, les experts déclaraient avoir constaté « l’absence généralisée d’un cadre global de suivi et d’évaluation de la réglementation sur la mobilité humaine dans le contexte du changement climatique ». Ils alertaient sur le fait que des cadres juridiques spécialisés sont inexistants « alors qu’ils pourraient jouer un rôle clé pour assurer l’efficacité des réponses des États et des autorités locales, en particulier dans la définition des mandats et des pouvoirs légaux et dans l’attribution des fonds nécessaires à la mise en œuvre de leurs stratégies ».

Un niveau d’impréparation inquiétant mais qui pourrait s’expliquer : un milliard de personnes est un chiffre tellement énorme qu’il est difficile de le rendre concret. Pour utiliser une image, c’est un peu comme si un mauvais génie vidait, d’un coup de baguette magique, une immense partie de la population de la Chine et la déversait sur les autres pays de la planète. On peut imaginer alors plus facilement les conséquences. Autre élément difficile à concrétiser, l’échéance. 2050, cela paraît encore une date bien lointaine. Pourtant, un enfant qui entre en sixième cette année, sera dans la pleine force de l’âge pour assister au spectacle que ses parents ont programmé pour lui, dès aujourd’hui.

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