Notre nourriture, nos boissons et les médicaments que nous prenons, une fois évacués par notre corps, doivent bien aller quelque part. Grâce à un modèle scientifique publié récemment, le parcours d’un véritable déluge de déchets naturels humains partout dans le monde jusqu’au littoral a enfin été exposé à la vue de tous. Et ce n’est pas très joli.
D’après ce nouveau modèle, les eaux usées ajoutent chaque année environ 6,2 millions de tonnes d’azote aux eaux côtières autour du globe, soit l’équivalent de 40 % de ce qui est émis par le ruissellement agricole. L’azote est l’un des pires polluants pour nos océans, à l’origine de la prolifération d’algues toxiques, du phénomène d’eutrophisation et de l’apparition de zones mortes. Dans le cadre de l’étude, 135 000 bassins versants ont été cartographiés dans le monde. Ainsi, les scientifiques ont pu constater que seulement 25 d’entre eux sont responsables de la moitié des « apports azotés provenant des eaux usées dans l’océan ».
« L’ampleur même de l’impact des eaux usées sur les écosystèmes côtiers, notamment en termes d’apport azoté, était très surprenante », a déclaré Cascade Tuholske, chercheur postdoctoral à la Columbia Climate School et membre de l’équipe multidisciplinaire à l’origine du modèle.
Ils ont évalué les rejets d’eaux usées, directs ou découlant de fosses septiques, vers les côtes, révélant que les bassins versants les plus polluants en azote sont « concentrés en Inde, en Corée [du Sud] et en Chine. On les trouve cependant également sur d’autres continents. Un seul bassin versant, celui du fleuve Chang Jiang (Yangtsé), dans le nord de la Chine, compte pour (11 %) des eaux usées [azotées] mondiales ». Le reste des résultats montre que les chiffres pour l’Amérique du Sud et l’Afrique sont bien plus importants que prévu, et qu’un bassin versant américain, celui du Mississippi, figure parmi les principaux coupables.
Les émissions d’azote ne sont que l’un des nombreux problèmes posés par le traitement des excréments humains. C. Tuholske et son équipe ont également suivi les organismes indicateurs de la présence de matières fécales. Ils ont ainsi trouvé que les 25 bassins versants les plus pollués, « situés sur presque tous les continents », contiennent 51 % de ces organismes, « en particulier dans les deltas et les estuaires les plus peuplés en Asie du Sud et de l’Est, ainsi qu’en Afrique ».
Cette étude à visée mondiale n’a pourtant pas la prétention d’être exhaustive : « Notre article ne s’intéresse pas aux métaux lourds, au phosphore ou aux plastiques. Sans compter [également] les produits pharmaceutiques », a expliqué C. Tuholske. « Je pourrai continuer la liste de ce que nous mettons dans nos bassins versants et qui frappe les zones côtières. »
Le traitement des eaux usées : une crise mondiale
Nous n’avons pas d’idée précise de la quantité de déchets naturels que nous, en tant qu’espèce, rejetons dans les eaux de notre planète ou les conséquences exactes. D’après les données fournies par un rapport de l’ONU, en 2017, les estimations les plus optimistes suggéraient que 80 % des rejets humains déversés dans l’environnement n’avaient pas été traités au préalable. Une réévaluation ultérieure a fait retomber ce chiffre à 48 %, ce qui pourrait indiquer un progrès, même s’il ne s’agit toujours que de spéculations.
En 2020 à travers le monde, 3,6 milliards de personnes, soit près de la moitié de la population humaine, n’avaient pas accès à des services d’assainissement à la gestion sécurisée. On estime également que 494 millions de personnes pratiquent encore la défécation en plein air. D’après l’Organisation mondiale de la santé, la contamination de l’eau, qui provoque des maladies telles que le choléra, la dysenterie et la diarrhée, coûte la vie à plus de 485 000 personnes par an.
Mais ce n’est pas tout. Si vous faites partie de ceux qui sont raccordés à un système moderne d’évacuation des eaux usées, tirer la chasse acheminera vos excréments vers une station d’épuration municipale. Ce qui n’offre toutefois aucune garantie de traitement approprié. Même dans les pays qui disposent de stations d’épuration opérationnelles, ces dernières sont souvent vieilles et incapables de traiter un grand nombre de polluants dont l’azote, le phosphore, les perturbateurs endocriniens, et les produits pharmaceutiques.
« Je pense qu’on suppose que construire une station d’épuration moderne ou tertiaire signifie que l’eau est nettoyée », a expliqué C. Tuholske. Il prend le Mississippi comme exemple : malgré les nombreuses stations d’épuration qui bordent le fleuve, son bassin versant est parmi les 25 pires pollueurs à l’azote au monde. « On pourrait s’attendre à ce que le traitement de nos eaux usées aux États-Unis soit suffisant pour ne pas avoir d’impact sur les écosystèmes en aval. Et pourtant, si on s’intéresse à l’azote, on remarque que notre système est tout juste passable et a des conséquences dans le golfe du Mexique. »
Selon l’étude de C. Tuholske, 63 % de la pollution azotée dans le monde provient des eaux usées de nos systèmes d’égouts, 32 % des rejets directs et 5 % des fosses septiques. Le problème, ajoute-t-il, est dû non seulement à un manque d’accès à des installations sanitaires adéquates, mais aussi à des infrastructures de traitement vieillissantes, qui n’ont pas forcément été pensées pour éliminer les nutriments et autres polluants des excréments.
En fait, un défaut massif de gestion des déchets naturels a été intégré dans de nombreux systèmes d’égouts municipaux conçus à la fin des années 1800 et dans les années 1900. Au Royaume-Uni et aux États-Unis notamment, beaucoup de villes utilisent des réseaux unitaires d’assainissement. Les eaux usées et pluviales transitent donc par une seule et même canalisation. En conséquence, de fortes précipitations peuvent surcharger les stations d’épuration, qui seront alors obligées de dévier le flux d’eau de pluie et d’eau usée non traitée ou partiellement traitée pour le rejeter directement dans les cours d’eau.
Un rapport de Rivers Trust, s’appuyant sur les données de l’Agence britannique pour l’environnement, a relevé plus de 400 000 notifications de rejets d’eaux usées en Angleterre en 2020. L’Écosse fait face à une situation similaire, avec des milliers de litres d’eau d’égout rejetés sans traitement préalable depuis 2016. Près de 60 % de la ville de New York utilise encore un réseau unitaire d’assainissement, obligeant à fermer les plages voisines après chaque épisode pluvieux particulièrement intense en raison du risque sanitaire posé par les rejets. Mais régler ce problème coûte cher : d’après des estimations de l’Environmental Protection Agency (EPA) réalisées en 2012, « apporter les modifications nécessaires au réseau unitaire d’assainissement coûterait 5,1 milliards de dollars sur 20 ans aux New-Yorkais. Des frais qui s’ajoutent aux 26,3 milliards de dollars requis à l’amélioration d’autres infrastructures de traitement des eaux usées. »
De même, les municipalités du monde entier aux prises avec des réseaux unitaires d’assainissement vieillissants trouvent que le prix des travaux est prohibitif. Mais la modernisation des systèmes d’égouts est plus urgente que jamais : le réchauffement climatique ne fait qu’accroître la sévérité des tempêtes, surchargeant d’autant plus les structures. Selon un rapport de USA Today 97 % des villes américaines dotées de réseaux unitaires ont connu « une hausse des précipitations annuelles et de leur intensité au cours des 30 dernières années », entraînant probablement une augmentation de la fréquence des rejets d’eaux usées non traitées.
La pollution qui en résulte ne met pas seulement en péril la santé publique, mais porte également atteinte à nos systèmes alimentaires. Une étude s’intéressant au rôle de l’urbanisation dans la propagation des agents pathogènes et des contaminants dans les eaux côtières du Myanmar en a révélé, respectivement, 87 et 78 dans les tissus d’huîtres des îles Mergui.
Et il ne s’agit pas d’un cas isolé de dégradation d’un écosystème. Joleah Lamb, maîtresse de conférences en écologie et biologie évolutive à l’université de Californie, à Irvine, et première auteure de l’article, continue sur sa lancée. Elle mène actuellement des recherches similaires dans la région de Seattle en collaboration avec le Department of Natural Resources et le Fish and Wildlife Service de l’État de Washington et la Cornell University de l’État de New York. Selon elle, plusieurs types de produits pharmaceutiques tels que des antidépresseurs, des opiacés, des médicaments chimiothérapiques ou intervenant dans le traitement de maladies cardiovasculaires ont été trouvés dans les moules de la région de Seattle, potentiellement en lien avec les stations d’épuration et les débordements des réseaux d’égouts unitaires. « Nous retrouvons dans ces moules le même type d’agents pathogènes qu’au Myanmar. Ce n’est donc pas seulement un problème spécifique des endroits comme l’Asie », a-t-elle conclu.
La Commission européenne sommait depuis longtemps la France d’améliorer l’assainissement de ses eaux usées rejetées, elle ne l’a pas fait, la sanction est tombée en juin 2021 : « La Commission européenne a décidé de saisir la Cour de justice d’un recours contre la France pour non-respect des exigences de la directive relative au traitement des eaux urbaines résiduaires ».
Cela fait plus de vingt ans que la France doit mettre en conformité son système d’assainissement. Elle devait le faire pour fin 2000. Faute d’avoir une collecte et un traitement des eaux usées suffisants dans toutes ses agglomérations de plus de 15.000 habitants, elle avait déjà écopé d’un avertissement en 2004, et la Cour de Justice avait constaté ses manquements en 2013. À l’époque il n’y avait pas eu d’amende, cette fois, la récidive pourrait être sanctionnée.
Le problème, aujourd’hui, se pose pour « plus de 100 agglomérations de plus de 2.000 habitants », a précisé la Commission. Les eaux usées collectées n’y sont pas assez traitées ou sont non conformes aux critères de la directive. De surcroît, quinze de ces agglomérations ne satisfont pas non plus aux exigences de protection des zones sensibles. Dans celles-ci, les eaux usées devraient être davantage traitées avant rejet car elles « contiennent également des nutriments, tels que l’azote et le phosphore, susceptibles de nuire aux réserves d’eau douce et au milieu marin en favorisant la prolifération d’algues qui étouffent les autres formes de vie, un phénomène appelé eutrophisation », rappelle Bruxelles.
Si la France est capable de conduire des expériences pilotes sophistiquées dans la réutilisation des eaux usées, elle est à la traîne pour l’assainissement de tous les jours. Le résultat d’un sous-investissement chronique. Selon le rapport publié par la Commission en septembre 2020, l’Allemagne atteignait 100 % de conformité en 2016 pour la collecte et le traitement de ses eaux usées et le Royaume-Uni 96 %, contre seulement 85 % pour la France. Seul motif de consolation, l’Hexagone se classe encore loin devant l’Espagne et l’Italie, qui n’affichent respectivement que 78 % et 48 % de conformité.
En 2016, les États membres estimaient collectivement le total des investissements nécessaires pour garantir le respect de la directive à 229 milliards d’euros, dont 166 milliards d’euros de travaux dans les stations d’épuration et 63 milliards sur les systèmes de collecte.
Source Les Echos
Un « cocktail toxique » qui empoisonne les eaux de la planète
Les excréments humains sont une réalité inévitable, et notre incapacité à les éliminer correctement contribue aux pressions intenses exercées sur « les conditions favorables à un écosystème sûr » de la Terre. Une équipe de chercheurs internationaux a donné une première définition de ces conditions en 2009. Ils ont identifié neuf limites planétaires que l’humanité ne peut dépasser sans déstabiliser et menacer la vie sur Terre telle que nous la connaissons. Le traitement inadéquat des eaux usées a un impact sur plusieurs de ces limites.
Stephanie Wear, chercheuse senior et conseillère en stratégie pour The Nature Conservancy (TNC), a déclaré lors d’un entretien avec Mongabay qu’« il y a plus que du pipi et du caca ». Elle définit le problème de la pollution par les eaux usées comme une « menace croisée ». Les excréments sont un « cocktail toxique » pour l’environnement qui a désormais un impact négatif sur au moins cinq des neuf limites planétaires. En effet, ils contribuent à la pollution au travers des nutriments azotés, à la dégradation de la biodiversité et des systèmes d’eau douce à la pollution par l’introduction de nouvelles entités chimiques et au changement climatique.
À l’échelle mondiale, les apports humains en azote et en phosphore dus au ruissellement des engrais synthétiques agricoles et aux déchets naturels humains nous ont déjà fait dépasser la limite planétaire de sécurité fixée par les chercheurs. Sur nos côtes, cet excès de nutriments accroît le risque d’eutrophisation, ce qui constitue une menace pour toute une série d’écosystèmes aquatiques. Il permet en effet la prolifération d’algues toxiques, une diminution de la quantité de dioxygène disponible, ou anoxie, et des marées rouges.
C. Tuholske et son équipe ont superposé leur carte de la pollution par les eaux usées aux zones de coraux et d’herbiers marins du monde entier. Ils ont constaté que 56 % des récifs coralliens et 88 % des herbiers marins de la planète sont exposés à l’azote présent dans les eaux usées, principalement en raison des apports directs et des eaux usées provenant de fosses septiques.
Au cours des dix dernières années, la croissance des algues a explosé sur les récifs coralliens du monde, augmentant d’environ 20 % et coïncidant avec une diminution des coraux durs. Selon Helen Fox, responsable de la conservation de la Coral Reef Alliance, la combinaison du réchauffement climatique et de l’excès de nutriments, qui servent d’engrais aux algues, représente un danger pour les récifs coralliens.
Un lien a également été établi entre les eaux usées et les maladies affectant les coraux. La maladie de la variole blanche chez le corail Corne d’élan (Acropora palmata), menacé dans toute son aire de répartition dans les Caraïbes a été liée à Serratia marcescens, une bactérie d’origine humaine. « Nous observons aussi des épidémies similaires dans le bassin indo-Pacifique », déclare J. Lamb. Elle note que la maladie de la bande noire chez les coraux a été liée à l’augmentation des nutriments et aux épisodes de réchauffement. « C’est une sorte de cocktail idéal pour différents types de maladies, car les agents pathogènes d’origine hydrique se développent très bien dans un environnement chaud. » Les chercheurs sont également inquiets à la suite de la découverte du coronavirus à l’origine du COVID-19 dans l’eau de sorties d’égouts. Ils craignent en effet que les espèces marines, notamment les mammifères tels que les dauphins ne soient sensibles à cette maladie.
Eaux usées, plantes aquatiques et limites planétaires
Les herbiers marins du monde entier, ainsi que les écosystèmes dans lesquels ils sont implantés, fournissent de nombreux services écosystémiques. Certaines espèces sont même particulièrement reconnues pour leur énorme potentiel de stockage du CO2, explique Benjamin Jones, directeur des opérations internationales et fondateur de Project Seagrass. Mais cette capacité est menacée par les eaux usées et autres pollutions.
Une étude publiée plus tôt cette année indique que depuis les années 1880, 19,1 % de la superficie des herbiers marins recensés dans le monde a disparu. Même si dans certaines régions du monde les taux d’occupation des herbiers marins sont stables, la tendance générale est à la baisse.
Outre leur potentiel de stockage du CO2, les plantes aquatiques offrent une multitude d’avantages, notamment en tant que nourriceries pour les poissons et habitat pour des espèces menacées telles que les dugongs et les tortues de mer. Ironiquement, un autre service fourni par les herbiers pourrait être leur capacité à juguler les maladies humaines. De plus en plus d’éléments suggèrent que les végétaux aquatiques jouent un rôle dans la purification des eaux côtières et la protection des récifs coralliens, explique J. Lamb, membre de l’équipe à l’origine de cette découverte.
« Nous avons constaté une réduction de 50 % des agents pathogènes affectant les personnes, les poissons et les invertébrés, et nous avons trouvé cela tout simplement incroyable. Nous ne connaissons pas vraiment le mécanisme exact, mais nous pensons que les herbiers agissent comme un système naturel de traitement des eaux usées », précise-t-elle.
Le déversement de déchets naturels humains dans les herbiers marins ajoute un niveau supplémentaire de nuisance à ces écosystèmes déjà menacés. La pollution par les nutriments favorise les épiphytes, des organismes que B. Jones décrit comme les pires ennemis des herbiers : « C’est leur croissance sur les feuilles des végétaux aquatiques et dans l’environnement général des herbiers qui réduit la clarté de la colonne d’eau, [ce qui] étouffe les herbiers. »
La pollution par les eaux usées, en contribuant à la destruction de ces écosystèmes, pourrait également aggraver le changement climatique. Lorsque les plantes aquatiques meurent, elles libèrent du carbone qui était jusque-là stocké par la prairie sous-marine. « Plus nous dégradons les herbiers marins en fournissant des nutriments à travers nos eaux usées, plus nous risquons d’augmenter les émissions nettes et le carbone dans l’atmosphère », explique B. Jones.
Plus en amont, les impacts sur les systèmes fluviaux d’eau douce peuvent être tout aussi graves que sur les estuaires. En Angleterre, seulement 14 % des rivières étudiées en 2020 présentaient une bonne santé écologique. Aucune n’a obtenu un bilan de santé chimique satisfaisant. Le mercure, héritage des mines de charbon selon Christine Colvin, responsable des partenariats et de la communication pour Rivers Trust, fait partie des contaminants retrouvés. Mais il n’est pas le seul : d’autres produits chimiques et polluants continuent de se déverser dans les rivières d’Angleterre et du monde entier par le biais des eaux usées. Ce qui a un impact négatif, bien que toujours inconnu, sur la limite planétaire d’introduction d’entités chimiques nouvelles. Aucune limite de déstabilisation des systèmes terrestres à ne pas dépasser, n’a été établie pour l’instant, témoignant d’un niveau d’incertitude qui laisse l’humanité dans le flou quant aux risques.
« On dit que l’on ne peut pas gérer ce que l’on ne mesure pas. Mais, au fil des observations, le problème [de la contamination de l’eau] s’est révélé dans toute son ampleur et est plus grave que nous le pensions », a expliqué C. Colvin. Elle note également que certaines améliorations ont été apportées ces dernières années, surtout en ce qui concerne l’élimination du phosphore des eaux usées.
« L’un des sujets de cette réflexion sur les limites planétaires concerne les points de basculement… À quel point les impacts cumulés de ce type de cocktail chimique, que nous trouvons dans nos systèmes fluviaux et lacustres, nous ont-ils rapprochés de ces points de basculement ? Je pense que c’est une chose à laquelle nous devons prêter attention. »
Certains écosystèmes aquatiques d’eau douce et salée, notamment les marais d’eau douce et les schorres, ont la capacité de purifier les eaux usées et sont considérés comme des alliés dans la lutte contre la contamination par ces dernières. Mais les polluants et les surcharges en nutriments mettent la survie de ces écosystèmes en péril.
S. Wear, de TNC a conduit une étude sur le Diclofénac, un médicament anti-inflammatoire, qu’elle utilise comme indicateur de la pollution aquatique. Elle a constaté que 30 % des schorres dans le monde sont exposés à la pollution. Mais il ne s’agit là que d’une moyenne : en Chine, 76 % des schorres ont un niveau très élevé de contamination alors qu’aux États-Unis ce chiffre est de 17 %. Ses recherches ont révélé que, à l’échelle de la planète, « 55,7 % des écorégions présentant une très grande richesse en espèces de poissons (> 451 espèces) présentent des taux élevés ou très élevés de [Diclofénac] ».
Nos déchets naturels comme engrais agricoles
Les écosystèmes aquatiques ne sont pas les seuls à subir les effets des eaux usées. Les boues d’épuration (ou biosolides), c’est-à-dire la matière collante résultant du traitement des eaux usées, sont utilisées dans le monde entier comme engrais et afin de recycler les nutriments qui nuisent tant aux eaux côtières. En 2019, les États-Unis ont produit environ 4,75 millions de tonnes sèches de boues d’épuration, dont un peu plus de la moitié a été épandue sur des parcelles agricoles.
Toutefois, selon les méthodes de traitement, les boues d’épuration peuvent répandre sur la terre ferme le même cocktail toxique qui suinte dans les systèmes côtiers. Il peut pénétrer dans les sols, se glisser dans les chaînes alimentaires, s’infiltrer dans les eaux souterraines, et s’écouler dans les cours d’eau et les estuaires. En 2019, un rapport de l’EPA américaine a noté que 116 produits chimiques trouvés dans des échantillons de boues d’épuration avaient des niveaux de toxicité assez élevés pour avoir un impact sur les humains. En outre, 134 autres avaient des niveaux suffisants pour avoir un impact sur l’environnement.
Les microplastiques, très connus comme contaminants océaniques, se retrouvent également dans les boues d’épuration. Selon la technologie utilisée, les stations d’épuration peuvent en éliminer jusqu’à 99 %. Le reste, en revanche, va alors se concentrer dans les boues qui résultent du traitement. D’après une estimation, la quantité minimale de microplastiques répandus sur les terres agricoles via les boues d’épuration s’élève à 26 156 tonnes par an dans l’UE et à 21 249 tonnes par an aux États-Unis. À l’échelle mondiale elle est peut-être supérieure à celle qui s’infiltre dans les océans. Nous n’en sommes toutefois pas certains.
Rejeter. Réutiliser. Rebelote.
« Nos rejets ne doivent pas être gaspillés », conclut S. Wear de TNC. Au début de l’année, en collaboration avec Helen Fox, elle a cofondé l’Ocean Sewage Alliance. Malgré l’immensité du problème des eaux usées, S. Wear est optimiste quant à la dynamique qui se met en place pour trouver des solutions.
Leur nouvelle organisation rassemble des scientifiques et des praticiens qui cherchent à transformer notre conception de nos excréments, en les considérant plutôt comme une ressource utile et renouvelable qui ne doit pas polluer. D’après un rapport du Stockholm Resilience Institute et du Programme des Nations unies pour l’environnement. « En réalité, le problème de la gestion des eaux usées est double pour les défenseurs de l’environnement et les personnes travaillant dans le domaine de la santé publique », a déclaré C. Tuholske. « Notre article [sur la modélisation mondiale des eaux usées] met le problème en évidence sur la carte, pour que les universitaires, les praticiens et le gouvernement, main dans la main avec le secteur privé, s’efforcent d’améliorer la santé des écosystèmes et des personnes. »
Sean Mowbray, Mongabay
Références :
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Cette enquête, menée par Mongabay est publiée dans le cadre du partenariat de UP’ Magazine avec Covering Climate Now, une collaboration mondiale de plus de 400 médias sélectionnés pour renforcer la couverture journalistique du changement climatique.
Image d’en-tête : Une bouche d’égout à Bangkok. Photographie par Trey Ratcliff
Première publication dans UP’ Magazine : 03/02/2022
On peut aussi ajouter l’aberration que constitue le fait d’utiliser de l’eau potable, la même que celle que nous buvons, dans nos chasses d’eau. C’est probablement encore trop coûteux d’instaurer un système de doubles canalisations. Tristes civilisations qui font passer le profit avant toute autre chose.
Il nous est également possible de nous tourner vers les toilettes sèches pour éviter cette pollution, même si cela ne restera que marginal et possible uniquement dans les pays dits riches.