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Pénurie d’eau en Europe : mauvaise gestion ?

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L’été 2023, où nous avons encore atteint des chaleurs record, a de nouveau prouvé que nous faisons face aujourd’hui à un défi d’ampleur en Europe : une pénurie d’eau. Un nouveau rapport du WWF montre que chaque année, le stress hydrique affecte en moyenne 20 % du territoire européen et 30 % de la population européenne. La nature et les populations européennes souffrent de plus en plus d’un manque d’eau, dû à des décennies de mauvaise gestion de l’eau, selon le dernier rapport du WWF. Celui-ci appelle à la mise en place de législations ambitieuses au niveau européen et national avant qu’il ne soit trop tard.

L’été 2023, pluvieux et gris sur la plupart des régions du nord de la France, a pu paraître profitable pour réapprovisionner nos stocks d’eau douce. Pourtant, la réalité est toute autre par rapport à ce ressenti : au 1er août, 72% des nappes phréatiques étaient sous les normales mensuelles. La pluie présente sur certains territoires en été n’a pas permis de recharger les nappes qui soutiennent les débits de rivières et les usages (agriculture, industries…). C’est ce qu’on appelle une sécheresse hydrologique.

Alice Aureli, hydrogéologue installée à Paris et responsable de la gestion équitable des eaux souterraines transfrontalières du Programme hydrologique international de l’UNESCO, explique au National Geographic : « D’après les scientifiques de la Commission européenne, la sécheresse de 2022 a été la pire de ces 500 dernières années. L’ampleur de la pénurie d’eau a même alarmé les pays dans lesquels il y a de l’eau en abondance. Malheureusement, on ne passe à l’action que lorsque l’on a peur. »

L’élément le plus préoccupant au cours des années de développement de la carte a sans doute été la persistance de schémas distincts qui définissent des classes émergentes de « nantis » et de « démunis » en matière d’eau dans le monde entier, avec des changements, certes prévus par le GIEC, mais qui se produisent dès à présent.

La disponibilité de l’eau douce évolue rapidement dans le monde entier, créant un avenir incertain qui requiert l’attention des décideurs politiques et du public. Nous le savons grâce à 14 années de données satellitaires collectées par une mission unique d’observation de la Terre de la NASA, appelée GRACE (Gravity Recovery and Climate Experiment/Expérience sur la récupération de la gravité et le climat). Les données récoltées ont quantifié les taux auxquels toutes les régions de la Terre gagnent ou perdent de l’eau, ce qui a permis de produire la carte ci-dessus. Celle-ci montre La sécurité de l’eau – expression qui signifie simplement avoir accès à des quantités suffisantes d’eau salubre pour notre vie quotidienne – est plus menacée que la plupart des gens ne le pensent.


Extrait d’une carte de la Commission européenne présentant l’état de la sécheresse à la fin du mois de juin 2022 (les points rouges correspondent à un “niveau d’alerte”, ceux en orange un “niveau d’avertissement”) – Crédits : JRC / Commission européenne

L’eau c’est la vie

C’est l’élément le plus crucial pour la survie de tous les organismes vivants sur terre. À l’échelle mondiale, le cycle de l’eau est le principal disperseur d’énergie, transportant et distribuant l’énergie solaire sur l’ensemble de la planète. Les océans, par exemple, agissent comme un puits de chaleur, contribuant à l’évaporation et la précipitation de l’eau, en répartissant la chaleur et l’humidité autour de la planète, ce qui permet de réduire les émissions de CO2, et qui est essentiel au maintien d’un climat stable.

Les écosystèmes stockent, libèrent et purifient l’eau et la conservent dans le paysage pour être utilisée par les plantes, les animaux, les sociétés et les économies humaines. L’eau est également à la base des écosystèmes de la planète. Les rivières, les zones humides, les lacs et les océans fournissent des habitats à d’innombrables espèces aquatiques, transportent des sédiments, et contribuent à la santé générale de la planète.
Les écosystèmes d’eau douce, tels que les zones humides, les plaines d’inondation ou les forêts riveraines, comptent parmi les écosystèmes les plus productifs d’Europe et du monde. Ils jouent également un rôle crucial dans l’adaptation au changement climatique en atténuant les inondations et les sécheresses.
L’eau joue également un rôle essentiel dans de nombreuses ressources économiques, qu’il s’agisse du tourisme, de la navigation, de la production d’énergie, l’irrigation, l’hygiène et la cuisine. Enfin, et ce n’est pas le moins important, l’eau est notre source de vie car nous en dépendons tous. Permettre un apport d’eau suffisant et constant d’eau dans les masses d’eau est d’une importance cruciale pour la nature et pour l’homme, en particulier pour garantir les réserves d’eau souterraine, ce qui nous permet de faire face au stress hydrique ou à la pénurie d’eau.

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Des décennies de mauvaises pratiques de gestion de l’eau

58% de la ressource en eau disponible est aujourd’hui utilisée pour l’agriculture.Pour le WWF, la pénurie d’eau n’est pas un événement naturel, mais le résultat d’une mauvaise gestion de l’eau à long terme et à grande échelle. Cette pénurie à laquelle l’Europe fait face aujourd’hui résulte principalement d’une allocation inégale de la ressource en eau. Nous surconsommons l’eau depuis des années et la gérons mal, ce qui ne permet pas au cycle de l’eau de jouer pleinement son rôle bénéfique. Le changement climatique exacerbe ces problèmes, avec des sécheresses plus fréquentes qui affectent l’approvisionnement en eau, mais la responsabilité première réside dans la manière dont nous consommons, régulons et utilisons l’eau. Nous endiguons et canalisons nos rivières, détruisons les bassins versants, asséchons nos zones humides et négligeons l’aménagement du territoire. Ce faisant, nous perturbons donc le cycle de l’eau et menaçons l’eau dont nous avons besoin pour subvenir à nos besoins essentiels, à notre santé et à notre bien-être.

A l’occasion du Jour du Dépassement en août dernier, le WWF France a mis en avant que la majorité de la ressource en eau consommée est aujourd’hui utilisée pour l’agriculture (58% en France). Leur nouveau rapport vient de sortir, montrant par exemple que, dans le sud de l’Europe, déjà soumis à un stress hydrique, les terres agricoles et les zones irriguées ont augmenté au cours de la période 2010-2017. Ce rapport présente quatre études de cas réalisées dans toute l’Europe, qui mettent en évidence différents problèmes de mauvaise gestion de l’eau : illégale, ou excessive de l’eau : prélèvements d’eau illégaux, excessifs et/ou incontrôlés pour l’agriculture (Espagne, Pays-Bas) ; le remplissage et l’exploitation illégaux de réservoirs d’eau pour l’agriculture – ou mégabassines – (France) ; la construction illégale et l’exploitation irrégulière de l’eau sans tenir compte des flux d’eau nécessaires à la nature et à l’homme (Bulgarie).

Ces études de cas ne sont qu’un aperçu des problèmes de gestion les plus profonds et les plus répandus sur le continent. L’eau douce en Europe souffre également depuis des décennies de mauvaises pratiques de gestion, telles que la construction de barrages ou le drainage, qui ont rendu les écosystèmes d’eau douce moins aptes à faire face à la sécheresse, aux vagues de chaleur et aux inondations. La canalisation des rivières, l’artificialisation des sols, l’arrachage des haies et le drainage des zones humides ont été couramment pratiqués pour faire de la place à l’agriculture intensive et à l’urbanisation, ce qui a entraîné une forte diminution de la quantité d’eau dans les paysages et dans les aquifères.

La rareté de l’eau aggravée par les impacts du changement climatique

Enfin et surtout, le changement climatique est susceptible de modifier la quantité d’eau disponible à l’échelle régionale, exacerbant à la fois les
problèmes de qualité de l’eau (moins d’eau dans une rivière ou un lac signifie des concentrations plus élevées de substances) mais aussi sa quantité.
L’augmentation attendue de la température accroît l’évapotranspiration potentielle et réelle, entraîne une plus grande consommation globale d’eau, des sécheresses extrêmes plus fréquentes, intensifie les fortes précipitations, atténue l’accumulation du manteau neigeux et déclenche une fonte précoce de la neige.
Ces effets devraient entraîner des réductions saisonnières dans la plupart des régions d’Europe, à l’exception des régions du nord-est de la Scandinavie, y compris une diminution des débits des cours d’eau allant jusqu’à 40 % (dans le cadre d’un scénario d’augmentation de la température de 3°C), ce qui entraînera une augmentation du stress hydrique. Les changements dans la recharge des aquifères suivent à peu près le même schéma.

Avec le changement climatique, la baisse des précipitations, l’augmentation des températures et l’allongement des périodes de sécheresse vont s’accentuer. Les projections du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indiquent qu’en Europe, l’humidité du sol diminuera et les sécheresses à long terme deviendront plus fréquentes dans les décennies à venir.
Les régions qui connaissent déjà les plus grands défis en matière de pénurie d’eau, comme la région méditerranéenne, risquent de subir des pressions encore plus fortes dans les années à venir, avec notamment une nette augmentation du nombre de jours avec un risque élevé d’incendie.

Dans un rapport datant de 2021, la Cour des comptes européenne a constaté que les politiques agricoles, tant au niveau de l’UE que des États membres, n’étaient pas systématiquement alignées sur la politique de l’eau de l’UE. La Cour a notamment critiqué les systèmes d’autorisation des prélèvements d’eau et les mécanismes de tarification de l’eau qui prévoient de nombreuses exemptions pour l’utilisation de l’eau à des fins agricoles.
La directive-cadre sur l’eau oblige les États membres à adopter des politiques de tarification de l’eau qui incitent à une utilisation efficace de l’eau et garantissent que les coûts financiers de l’approvisionnement en eau, ainsi que les coûts environnementaux et les coûts des ressources des services de l’eau, soient récupérés de manière adéquate auprès des différents utilisateurs, y compris les agriculteurs.
Toutefois, la Cour des comptes indique que, pour la majorité des autorités nationales et régionales des États membres couverts par son audit, le recouvrement des coûts des services liés à l’eau dans l’agriculture était incomplet et les coûts liés à l’environnement et aux ressources n’étaient pas (encore) pris en compte dans la tarification de l’eau. La tarification inadéquate de l’eau est l’un des facteurs qui contribuent à la surconsommation d’eau.

Les précipitations ne peuvent à elles seules « recharger » entièrement les systèmes hydrologiques surexploités, au rythme nécessaire à la nature et à l’homme. Il convient donc d’évaluer soigneusement les activités qui utilisent beaucoup d’eau afin de mieux s’adapter aux effets du changement climatique. Par exemple, certaines régions d’Espagne ont opté pour un modèle d’utilisation de l’eau qui privilégie une forte consommation de l’eau et des sols, comme l’expansion de la production à partir de cultures irriguées industrielles et assoiffées, malgré le fait qu’elles soient exposées à de longues périodes de sécheresse en raison de leur situation géographique. Néanmoins, les consommateurs ont continué à recevoir de l’eau sans pratiquement aucune restriction, et c’est l’environnement qui en a payé le prix fort.

La rareté de l’eau dans la PAC

L’agriculture étant le plus grand utilisateur d’eau en Europe, la politique agricole commune (PAC) a un rôle important à jouer pour faire face à la pénurie d’eau. Cependant, trop de problèmes structurels s’y opposent. Tout d’abord, une part trop importante des aides couplées de la PAC va à l’élevage, qui est très gourmand en eau. Plus de 63 % de l’ensemble des terres arables de l’UE sont consacrées à l’alimentation du bétail, tandis qu’à l’échelle mondiale, l’empreinte hydrique moyenne par calorie de la viande de bœuf est 20 fois supérieure à celle des céréales.
Deuxièmement, les fonds de développement rural ne favorisent pas de manière significative l’utilisation durable de l’eau dans le cadre des actions d’adaptation du secteur agricole pour s’adapter aux défis et aux impacts du changement climatique. Le cadre de la PAC pour la période 2023-2027 comprend plusieurs sauvegardes liées aux investissements dans l’irrigation, tels que l’exigence d’économie d’eau pour les améliorations visant à augmenter l’irrigation et certaines limitations aux investissements entraînant une augmentation nette de la surface irriguée. Mais il reste à voir comment ces dispositions sont mises en œuvre. Le cadre de la PAC pour 2023-2027 comprend également des exigences de conditionnalité concernant la protection de l’eau et des sols, qui sont également pertinentes pour favoriser la rétention d’eau (bonnes pratiques agricoles et environnementales) mais elles ne sont pas assez fortes et sont mises en œuvre trop faiblement par les États membres.

Réparer la nature et faire évoluer nos pratiques agricoles

« Le changement climatique a mis en évidence la réalité de notre mauvaise gestion de l’eau en Europe. Nous en subissons de plein fouet les conséquences depuis quelques années : cette année, des communes en France ont été privées d’eau dès le mois de février ! Des fenêtres politiques sont en train de s’ouvrir, au niveau national comme au niveau européen, et nous devons nous en saisir. Sans quoi nous pourrions être confrontés très vite à un futur avec de graves pénuries pour l’agriculture, l’eau potable et le maintien d’écosystèmes sains. Agissons avant qu’il ne soit trop tard ! » alerte Jean Rousselot, responsable eau douce au WWF France.

Pour faire face à l’évolution de la disponibilité de l’eau, les stratégies de gestion de l’eau doivent privilégier la rétention de l’eau dans le paysage afin qu’elle soit absorbée par la végétation ou les masses d’eau et qu’elle recharge les nappes phréatiques. Les écosystèmes seront ainsi en bonne santé, résilients et, par conséquent, ils pourront continuer à fournir de l’eau en quantité suffisante et de bonne qualité (y compris pendant les périodes de sécheresse) pour la consommation et divers usages humains.

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Des solutions existent pour faire face à cette pénurie en France et au niveau européen :

  • Les solutions fondées sur la nature : en restaurant des cours d’eau, des zones humides, des tourbières, nous améliorons la résilience de la nature face aux épisodes climatiques extrêmes et nous améliorons l’état quantitatif et qualitatif de la ressource en eau. Un projet de loi sur la restauration de la nature est actuellement en cours de discussion au niveau européen. Le WWF appelle les décideurs européens à soutenir un texte ambitieux pour réparer les écosystèmes dégradés en Europe. 
  • La transition de l’agriculture vers l’agroécologie : les pratiques agroécologiques (couverture des sols, agroforesterie…) permettent une meilleure résistance des surfaces aux épisodes de sécheresse, un meilleur stockage de l’eau dans les sols et une meilleure recharge des nappes d’eau souterraines. Un signal positif doit être envoyé par les décideurs : une opportunité va se dessiner avec le Pacte et Loi d’Orientation et d’Avenir pour l’Agriculture. Par exemple, la plantation de haies est un rempart vert contre la sécheresse : l’agroforesterie, par l’association d’arbres aux grandes cultures ou à l’élevage, permet de réduire le ruissellement des eaux ainsi que l’érosion et l’évaporation des sols. Elle génère aussi un microclimat plus respirable aux abords des haies et des alignements d’arbres. Objectif : 100 000 € pour planter 20 km de haies et former les agriculteurs à l’agroécologie. Le WWF France appelle à ce que cette future Loi d’Orientation donne enfin un cap clair : celui de la transition agroécologique.

La mauvaise gestion de l’eau est à l’origine des problèmes de pénurie d’eau en Europe qui sont aggravés par le changement climatique et la transformation de l’utilisation des sols. Cette gestion doit être améliorée, car les prélèvements d’eau incontrôlés et non durables ainsi que les retenues d’eau aggravent une situation hydrologique déjà préoccupante. Redisons-le, la pénurie d’eau n’est pas un phénomène naturel, mais le résultat d’une mauvaise gestion de l’eau. Une eau de bonne qualité, qu’il s’agisse d’eau de surface ou d’eau souterraine est un bien commun précieux et vital pour la nature et l’homme, que l’Europe doit s’engager à préserver, à maintenir en bonne santé et utiliser de manière durable.

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