Alors que la planète fait face à une pression croissante sur ses ressources en eau douce, certaines régions du monde cherchent des solutions concrètes et durables pour garantir l’accès à l’eau potable, mais aussi faire face aux périodes de grande sécheresse. C’est dans ce contexte mondial alarmant que se dessine une lueur d’espoir : SUEZ s’associe à ses partenaires locaux pour construire la plus grande usine de dessalement d’eau de mer des Philippines, à Metro Iloilo. Une initiative qui pourrait bien, à terme, inspirer d’autres pays confrontés à des défis similaires. Mais si dessaler l’eau permet de répondre à certaines crises, cela ne doit pas en créer une autre, écologique cette fois. Dès lors, il est essentiel d’évaluer les avantages et les limites de cette technologie à la lumière de ses impacts environnementaux.
Avec une population mondiale en constante augmentation, une urbanisation galopante et les effets croissants du changement climatique, la pénurie d’eau potable est devenue l’un des défis majeurs de notre siècle. Les Nations unies estiment qu’en 2025, les deux tiers de la population mondiale seront concernés par ces défis et que la population mondiale vivra une pénurie d’eau douce d’ici à 2030. Si les causes de la raréfaction de l’eau sont multiples (changement climatique, agriculture intensive et croissance démographique), elle impose aux États de repenser leurs politiques hydriques, centrales pour la préservation de leur stabilité, résilience et souveraineté.
De nombreuses régions du globe, des zones arides d’Afrique aux mégalopoles d’Asie, peinent à assurer un approvisionnement fiable à leurs populations. La majorité des pays du Golfe dépendent désormais en grande partie de l’eau dessalée pour la consommation de leurs habitants : aux Émirats arabes unis (EAU), 42 % de l’eau potable provient d’usines de dessalement représentant plus de 7 millions de mètres cubes (m3) par jour, 90 % pour le Koweït, 86 % pour Oman, 70 % pour l’Arabie Saoudite. En 2022, plus de 21 000 stations de dessalement d’eau de mer sont opérationnelles dans le monde, soit presque deux fois plus qu’il y a dix ans, et le secteur connaît une croissance de l’ordre de + 6 % à + 12 % de capacité par an (Source : Ifri).
Une demande de dessalement en constante augmentation
Avec le développement des solutions disponibles pour répondre à une variété de besoins, les technologies de dessalement sont désormais sollicitées sur presque tous les continents. Le Moyen-Orient, qui représentait autrefois une large part, ne détient plus que 50 % des capacités mondiales installées. En Afrique, des projets d’envergure ont récemment vu le jour en Algérie et au Maroc, des pays jusque-là suffisants en eau potable. D’autres nations, telles que le Ghana, le Sénégal et le Kenya, fournissent désormais de l’eau dessalée à de nombreuses villes, tout comme le Caire.
Dans la région indopacifique, notamment en Chine et en Inde, les besoins en eau dessalée augmentent en raison d’une industrie en plein essor et d’une ressource en eau de plus en plus rare. Rien qu’en 2020, plus de 35 usines de dessalement ont été annoncées en Chine, ainsi que six aux Philippines et six à Taïwan.
Sur le continent américain, la côte ouest des États-Unis, notamment la Californie, se distingue par de grands projets, et le Texas suit également cette tendance.
En Amérique latine, des initiatives prennent forme au Pérou et au Chili, principalement en réponse aux besoins de l’industrie minière, tandis qu’au Mexique, c’est davantage la demande de la population qui motive l’essor du dessalement. Par ailleurs, les îles connaissent une demande particulièrement forte en eau dessalée, avec des territoires comme Cebu aux Philippines, le Cap-Vert, les Canaries ou encore les Maldives qui recourent de plus en plus au dessalement.
Aux Philippines, et plus précisément dans la région de Metro Iloilo, cette situation se fait particulièrement ressentir. Les sources d’eau douce locales ne suffisent plus à couvrir les besoins, aggravés par des pluies irrégulières qui compromettent la recharge naturelle des réservoirs. Dans ce contexte, le recours au dessalement devient une solution incontournable.
Une réponse technologique à un défi vital
C’est pour répondre à cette urgence que SUEZ, JEMCO (un acteur de référence dans la construction aux Philippines) et Metro Pacific Water ont uni leurs forces pour concevoir, construire et exploiter une usine d’avant-garde. Grâce à la technologie de l’osmose inverse, l’installation pourra produire jusqu’à 66 500 m³ d’eau potable par jour, soit l’équivalent des besoins quotidiens d’environ 50 000 foyers. Une petite révolution pour la région.
Plus qu’un simple projet d’infrastructure, cette usine s’appuiera sur les technologies les plus avancées, comme la solution SeaDAF™ Filter, qui optimise le traitement de l’eau de mer en éliminant efficacement les impuretés avant l’étape d’osmose inverse. Compacte et performante, cette technologie est idéale pour les environnements où l’espace est restreint.
Un modèle reproductible pour les régions en crise
Ce projet n’est pas un cas isolé. Il s’inscrit dans la vision de SUEZ fort de plus de 50 ans d’expérience dans le dessalement à travers plus de 260 usines construites dans le monde. En conjuguant expertise internationale et partenariat local avec JEMCO, cette initiative à Metro Iloilo devient un modèle reproductible, à la fois innovant, durable et adapté aux besoins des populations.
Pour Pierre Pauliac, Co-Directeur Général de SUEZ, « cette collaboration illustre notre engagement à apporter des solutions concrètes aux enjeux d’accès à l’eau. Elle marque une nouvelle étape importante de notre développement en Asie du Sud-Est ».
Une vision tournée vers l’avenir
Les autorités locales ne s’y trompent pas. Le maire d’Iloilo, Jerry Treñas, a salué cette initiative qui vise à « assurer un approvisionnement constant et fiable en eau potable, tout en stimulant le développement économique local ».
De son côté, Christopher Andrew B. Pangilinan, PDG de Metro Pacific Water, a rappelé que « cette installation de dessalement durable offre une réponse à long terme aux défis d’Iloilo en matière d’eau ».
Dans un monde où l’eau devient une ressource de plus en plus rare, cette usine pourrait bien symboliser une nouvelle ère, où l’innovation technologique et la coopération internationale apportent des réponses concrètes à un problème global. L’espoir est là : si cette initiative réussit aux Philippines, pourquoi ne pas imaginer qu’elle puisse inspirer des solutions similaires en Afrique, au Moyen-Orient, ou ailleurs ? Car au-delà des frontières, l’accès à l’eau est un droit fondamental que la technologie peut aujourd’hui aider à concrétiser.
Face à la raréfaction des ressources en eau douce, le dessalement de l’eau de mer apparaît donc comme une solution prometteuse pour répondre aux besoins croissants des populations, notamment dans les régions arides ou densément peuplées. L’urgence d’assurer l’accès à l’eau pour tous est indiscutable. Mais une autre urgence se profile en parallèle : celle de respecter la planète.
Dessaler l’eau de mer : solution d’avenir ou impasse écologique ?
Face à l’urgence de la crise de l’eau, le dessalement de l’eau de mer est souvent brandi comme une solution miracle. Mais cette technologie, loin d’être neutre, soulève de graves préoccupations. Elle est extrêmement énergivore, encore trop souvent alimentée par des énergies fossiles et génère d’importants rejets de saumure, très salés et parfois chargés en produits chimiques, qui perturbent les écosystèmes marins. Comme l’indique une synthèse publiée par des experts de l’université des Nations unies, au Canada, de l’université de Wageningue, aux Pays-Bas, et de l’université de science et de technologie de Gwandju, en Corée du Sud, le volume de saumures rejetées par les installations de dessalement est énorme et représente un véritable problème environnemental. Ils ont ainsi estimé à 95 millions de mètres cubes par jour la quantité d’eau dessalée produite dans le monde, tandis que le volume des saumures rejetées serait une fois et demie plus important : 142 millions de mètres cubes par jour, chiffre supérieur de 50 % aux estimations précédentes. En une année, les saumures rejetées recouvriraient donc une superficie équivalente à celle de la France métropolitaine sur une hauteur de près de 10 centimètres…
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Comme l’explique l’Institut français des relations internationales (Ifri), dessaler l’eau de mer est un procédé cher, énergivore et qui rejette des quantités importantes de gaz à effet de serre (GES) dans la plupart des pays dotés d’un mix électrique très intensif en CO2. La consommation électrique des usines est élevée, variant selon les techniques à l’œuvre ; si les procédés de dessalement thermique, de moins en moins utilisés, consomment plus de 5 kilowattheures (kWh) d’énergie par m3 d’eau dessalée, le procédé de dessalement par osmose inverse, le plus répandu désormais, permet de dessaler 1 mètre cube (m3) d’eau avec en moyenne entre 2,5 et 3 kWh, le record étant établi par une usine saoudienne à 2,27 kWh.
Dans les pays du Moyen-Orient, les usines de dessalement ont largement bénéficié d’un mix énergétique fondé sur les énergies fossiles et permettant un dessalement bon marché. La consommation d’électricité du secteur du dessalement d’eau a été multipliée par trois en Arabie Saoudite pendant la période 2005-2020, pour atteindre environ 6 % de la consommation totale d’électricité du royaume, soit environ 17 térawattheures (TWh) en 2020, où l’équivalent de la production annuelle d’une grosse centrale nucléaire. Un doublement des capacités de dessalement fera donc bondir la demande d’électricité, et les émissions associées si le mix électrique largement dominé par les hydrocarbures reste inchangé. La demande de gaz et de pétrole pour produire cette électricité en serait aussi augmentée.
Plusieurs pays du Golfe commencent ainsi à mobiliser les énergies renouvelables, à l’image de la centrale par osmose inverse d’Al Khafji en Arabie Saoudite qui dessale chaque jour 60 000 m3, alimentée par des panneaux photovoltaïques. Enfin, on trouve également des centrales qui fonctionnent par énergie houlomotrice et géothermique.
Qu’advient-il des saumures ? Dans la plupart des cas, elles sont rejetées directement en mer, 80 % des unités de dessalement se trouvant à moins de 10 kilomètres de la côte. Or les saumures, plus denses que l’eau de mer, appauvrissent en oxygène les eaux profondes. Cet appauvrissement en oxygène et la forte salinité nuisent aux organismes vivant sur le fond marin. De plus, les saumures contiennent des produits toxiques, utilisés notamment pour réduire les dépôts dans les dispositifs de dessalement.
Aux Philippines, plusieurs usines de dessalement ont déjà été construites, notamment à Cebu où l’usine de dessalement de Barangay Mambaling est confrontée à une possible suspension en raison de préoccupations environnementales soulevées par les autorités locales. Le Bureau de l’Environnement et des Ressources Naturelles (CENRO) de Cebu a exprimé des inquiétudes concernant l’impact écologique de l’usine de dessalement, notamment en ce qui concerne l’intrusion d’eau salée et les menaces pour les espèces locales. Des experts ont alerté sur les effets du rejet de saumure sur la biodiversité marine et les activités de pêche locales. Les usines de dessalement produisent des déchets et des produits chimiques toxiques nuisibles à la faune et à la planète. Le processus peut également augmenter les niveaux de sel dans l’eau de mer, affectant les poissons.
Ces exemples illustrent les défis et les préoccupations associés au dessalement de l’eau de mer aux Philippines, soulignant la nécessité d’une approche équilibrée et durable dans la gestion des ressources en eau. Sans une régulation stricte et une transition vers des énergies renouvelables, ces installations risquent de créer plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.
Plutôt que de tout miser sur une technologie coûteuse et aux conséquences écologiques lourdes, il est urgent de repenser notre gestion de l’eau. L’accent doit être mis sur la réduction des gaspillages, la collecte des eaux de pluie, la réutilisation des eaux grises et la protection des sources naturelles.
Quelles solutions pour un dessalement respectueux de l’environnement ?
Une équipe de chercheurs de l’Université de Waterloo ont trouvé une solution inspirée par le cycle de l’eau dans la nature, s’inspirant largement de la manière dont les arbres transportent l’eau des racines aux feuilles.
Le procédé implique une solution technique qui induit l’évaporation de l’eau, la transporte à la surface et la condense dans un cycle fermé. Le résultat est une prévention efficace de l’accumulation de sel et une longévité accrue de l’appareil avec une efficacité sans compromis. Ce qui ajoute aux avantages de l’appareil, c’est qu’il utilise énergie renouvelable, fabrication le dispositif a faible consommation. Il fonctionne à l’énergie solaire et peut convertir près de 93 % du soleil en énergie. L’efficacité est cinq fois supérieure à celle des systèmes de dessalement actuels disponibles sur le marché, produisant près de vingt litres d’eau douce par mètre carré.
Autre innovation : la cryo-séparation. C’est une startup marseillaise Seanergy qui a réussi, après trois ans de recherche, à développer une solution qui permettrait la production d’une eau pure et buvable par glaciation de l’eau de mer. La cryo-séparation se pose en alternative à l’osmose inverse, qui consiste à filtrer l’eau à travers des membranes par pression osmotique puis de rejeter le sel dans la mer. Comparativement, cette technologie consommerait deux fois moins d’énergie (3 kW / m3 contre 1,5 kW / m3) et ne rejetterait ni saumure, ni produits chimiques en mer. Plus agile, elle nécessite aussi moins d’infrastructures.
La société Mascara développe, quant à elle, une technologie de dessalement de l’eau de mer par énergie solaire, une innovation de rupture en matière d’osmose inverse. Technologie basée sur les énergies renouvelables, qui permet un fonctionnement à l’énergie solaire sans pollution ni surcoût rédhibitoire.
Autre technologie à la pointe : le système IPHROS (Integrated Pumped Hydro Reverse Osmosis System). En pompant l’eau de mer vers un réservoir situé en altitude, puis en utilisant la gravité pour acheminer l’eau salée vers une centrale hydroélectrique et une installation de dessalement par osmose inverse, la science peut satisfaire les besoins énergétiques et en eau potable des villes côtières avec un seul système. Cette technologie est un modèle à deux systèmes qui couple le stockage d’énergie et la production d’eau douce de manière symbiotique, en utilisant l’énergie hydroélectrique et l’osmose inverse pour dessaler l’eau de mer.
Le dessalement de l’eau est bien plus qu’une prouesse technique, elle est devenue une réponse pragmatique aux défis hydriques mondiaux, pour lesquels de nombreuses recherches et solutions sont en cours.
Alors, le dessalement peut-il avoir un rôle ponctuel, ciblé ? Doit-il être au cœur des stratégie hydrique et géopolitique ? Car à vouloir transformer l’océan en robinet, on risque d’assécher notre avenir.