Si la Blockchain fait beaucoup parler dans le monde de la finance, c’est peut-être dans l’énergie que naîtront les premières applications concrètes. C’est une opportunité pour les gestionnaires du réseau de rester des leaders grâce à des solutions d’architecture Blockchain. De par la structuration de ses principaux acteurs, la France a une carte à jouer sur l’organisation de ces nouveaux marchés.
En France, dans le cadre des lois sur la transition énergétique, la réglementation évolue pour accompagner le développement des énergies renouvelables. L’ordonnance de juillet 2016 marque une avancée importante pour l’autoconsommation électrique : « le fait pour un producteur, dit autoproducteur, de consommer lui-même tout ou partie de l’électricité produite par son installation ». L’ordonnance va même plus loin en définissant l’autoconsommation collective « lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finaux liés entre eux au sein d’une personne morale ». Ce nouveau texte ouvre la voie au développement des réseaux locaux d’électricité et au développement de micro-transactions.
Cependant, malgré le déploiement des compteurs intelligents comme Linky, les nouveaux modes de consommation de l’électricité tardent à s’imposer dans les usages du grand public. La blockchain, de par sa capacité à certifier les termes d’un contrat, peut accélérer les choses dans ces nouveaux écosystèmes.
Pour rappel, la Blockchain est un dispositif informatique qui permet de sécuriser des transactions (financières ou autres) en mode « pair à pair » (Peer-to-peer en anglais), le tout pour un coût marginal.
La mise en place d’une Blockchain est particulièrement intéressante dans un environnement décentralisé avec un volume important de petites transactions.
C’est exactement vers ce modèle que sont en train de basculer les réseaux d’électricité. La multiplication des sources de production d’énergie renouvelables à toutes les échelles de la société (de la toiture solaire du particulier aux grands parcs d’éoliennes) génère également une multiplication du nombre de noeuds du réseau, qui en plus devient bi-directionnel (le consommateur est aussi producteur).
La notion d’autoconsommation collective est fondamentale car elle promeut le développement des microgrids, ces réseaux locaux intelligents dont le nombre va quadrupler d’ici 2020. Les dispositifs d’autoconsommation sont ainsi une formidable opportunité pour le développement d’une économie du partage d’électricité ! Dans ce nouveau monde, la Blockchain vendra, échangera automatiquement le surplus aux voisins intéressés et calculera le meilleur prix. Nous pouvons imaginer toute sortes de mécaniques d’enchères en fonction de l’offre et de la demande, le service gestionnaire pouvant dans tous les cas garantir une baisse de la facture électrique à ses abonnés.
Le développement des voitures électriques est intimement lié au déploiement des bornes de recharge. Le rechargement de son véhicule devrait pouvoir être facturé à l’utilisateur par son fournisseur d’électricité habituel, permettant ainsi le développement de nouvelles offres. Une fois les bornes connectées au profil de l’usager, il sera possible d’imaginer un marché de partage, sorte de AirBnB des bornes de recharges. Demain, la prise électrique doit pouvoir suivre l’usager dans tous ses déplacements ! La blockchain permet de gérer un compteur virtuel (sorte de portefeuille qui contient non pas des bitcoins mais des kwh) qui permet d’identifier l’utilisateur et les données de son abonnement d’électricité en mobilité.
La loi restreint actuellement l’autoconsommation collective à une même zone géographique et contraint les producteurs et consommateurs à se réunir au sein d’une entité juridique. La technologie Blockchain, en se passant du « tiers de confiance », permettrait l’établissement de places de marché entre particuliers. Ceux-ci pourront alors former des groupes « virtuels » d’auto-consommateurs, le GRD jouant le gestionnaire d’équilibrage entre l’électricité injectée et soutirée. Dans ce modèle, nous pourrons profiter de l’énergie photovoltaïque de notre maison de campagne depuis notre appartement parisien !
L’installation d’un dispositif de production d’électricité (solaire, éolien, …) doit faire l’objet d’une déclaration au distributeur ou au transporteur. Celui-ci pourrait à terme en profiter pour générer des certificats de production d’énergie verte, librement échangeables sur une blockchain. Ces certificats permettent une traçabilité « virtuelle » de l’électricité. Actuellement, en France, c’est l’observatoire des énergies renouvelables (Observ’er) qui délivre et enregistre les certificats. L’enregistrement dans une blockchain est une solution pour rendre ce marché plus fluide. Un promoteur immobilier pourrait ainsi commercialiser des bâtiments garantis 100% énergie hydroélectrique.
Les exemples ne manquent pas d’initiatives ou de startups qui s’engouffrent sur ce secteur : TransActive Grid à New-York a beaucoup fait parler au printemps suite à la mise en autoconsommation collective de tout un quartier de Brooklyn, où les transactions sont gérées automatiquement dans une Blockchain. L’électricien allemand RWE travaille au développement de prises de charge intelligentes pour voiture, où là encore les transactions financières sont gérées par la Blockchain…
En France, les gestionnaires de réseau (RTE, Enedis principalement) ont un rôle essentiel à jouer dans les nouveaux usages de l’électricité et dans la mise en place d’une infrastructure de type blockchain pour aider à leur développement. La CRE (commission de régulation de l’énergie), la structure de tutelle de ces entreprises du secteur régulé, peut également dynamiser ces nouveaux usages.
Cette organisation, très centralisée, pourrait être perçue comme un handicap dans la transition énergétique. En fait, elle pourrait au contraire devenir un atout grâce au développement de nouveaux usages et services que permet la Blockchain. Cette technologie présente l’énorme avantage de fédérer les acteurs d’un secteur d’activité. Ainsi, dans le secteur financier, les banques se sont regroupées autour du consortium R3. Les assureurs européens, de leur côté, viennent de lancer leur propre consortium blockchain B3i. Les acteurs de l’énergie français sauront-ils saisir l’opportunité et user de leur légitimité pour prendre l’initiative de la création d’un groupement au fonctionnement similaire à l’échelle européenne ?
Michel Cordier, VP Smart Energy – Agence de transformation digitale SQLI
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