Selon un rapport d’une coalition d’ONG, les soixante plus grandes banques du monde ont apporté 3 800 milliards de dollars de financement aux entreprises du secteur du charbon, du pétrole et du gaz depuis l’Accord de Paris sur le climat en 2015. Malgré la pandémie de Covid-19 qui réduit la consommation d’énergie, le financement global reste sur une tendance à la hausse. En 2020, les financements étaient plus élevés qu’en 2016 ou 2017, un fait que les auteurs du rapport qualifient de « choquant ».
La 12e édition du rapport le plus complet sur le financement par les banques des combustibles fossiles documente une déconnexion alarmante entre le consensus scientifique mondial sur le changement climatique et les pratiques continues des plus grandes banques du monde. Le rapport de cette année, publié le 23 mars dernier, intitulé Banking on Climate Chaos 2021, élargit son champ d’action de 35 à 60 des plus grandes banques du monde et révèle qu’au cours des 5 années qui ont suivi l’adoption de l’Accord de Paris, ces banques ont injecté plus de 3 800 milliards de dollars dans l’industrie des combustibles fossiles. Le rapport conclut également que le financement des combustibles fossiles était plus élevé en 2020 qu’en 2016, une tendance qui s’oppose directement à l’objectif déclaré de l’Accord de réduire rapidement les émissions de carbone dans le but de limiter la hausse de la température mondiale à 1,5° Celsius.
« L’exact opposé » de ce qu’il faut faire face à la crise climatique
Le pétrole, le gaz et le charbon brûleront pendant quelques années encore. Pourtant, on sait depuis au moins 2015 qu’une proportion importante des réserves existantes doit rester dans le sol, si l’on veut que le réchauffement de la planète reste inférieur à 2°C, le principal objectif de l’Accord Paris. Le financement de nouvelles réserves est donc « l’exact opposé » de ce qui est nécessaire pour faire face à la crise climatique, déclarent les auteurs du rapport.
Les banques américaines et canadiennes représentent 13 des 60 banques analysées, mais elles sont responsables de près de la moitié du financement mondial des combustibles fossiles au cours des cinq dernières années, selon le rapport. JPMorgan Chase a fourni plus de financement que toute autre banque. La banque britannique Barclays a fourni le plus de financement de combustibles fossiles parmi toutes les banques européennes et la banque française BNP Paribas était la plus importante dans l’UE.
Le financement global a baissé de 9 % en 2020, année de la pandémie, mais le financement des 100 entreprises de combustibles fossiles ayant les plus grands plans d’expansion a en fait augmenté de 10 %.
Le rapport examine également les engagements existants des banques en matière de politique climatique et les trouve grossièrement insuffisants et non alignés sur les objectifs de l’Accord de Paris dans l’ensemble. Les récentes politiques bancaires très médiatisées se concentrent soit sur l’objectif lointain et mal défini d’atteindre le « zéro net d’ici 2050 », soit sur la restriction du financement des combustibles fossiles non conventionnels. En général, les politiques bancaires existantes sont les plus fortes en ce qui concerne les restrictions pour le financement direct lié aux projets. Et pourtant, le financement lié à un projet ne représente que 5 % du financement total des combustibles fossiles analysé dans ce rapport.
Des promesses vertes mais des financements noirs
Les auteurs du rapport ont déclaré que le ciblage des banques par les militants et les actionnaires activistes pourrait contribuer à changer les politiques des banques, mais que l’action des gouvernements était également nécessaire. « Lorsque nous examinons l’ensemble des cinq années, la tendance va toujours dans la mauvaise direction, ce qui est évidemment l’exact opposé de la direction que nous devons prendre pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris », a déclaré Alison Kirsch, du Rainforest Action Network et auteur du rapport. « Aucune de ces 60 banques n’a établi, sans échappatoire, un plan de sortie des combustibles fossiles. Nous avons constaté des progrès dans la restriction du financement de lieux particuliers comme l’Arctique ou de formes de pétrole à forte intensité de gaz à effet de serre, comme les sables bitumineux, mais il s’agit d’une si petite part du gâteau », a-t-elle ajouté.
Une banque après l’autre fait la promesse solennelle de devenir « net zéro d’ici 2050 », a fait valoir Johan Frijns, de BankTrack, qui fait partie de la coalition à l’origine du rapport. « Mais il n’existe aucun chemin vers cet objectif louable qui ne passe sans un traitement immédiat du problème du financement bancaire de l’industrie des combustibles fossiles. »
Les banques fournissent l’oxygène financier qui permet à l’industrie des combustibles fossiles de respirer.« Les banques fournissent l’oxygène financier qui permet à l’industrie des combustibles fossiles de respirer », a déclaré Mark Campanale, du thinktank Carbon Tracker, qui n’a pas participé à la rédaction du rapport. « Il révèle le fait choquant que les financements ont augmenté depuis l’Accord de Paris, [ce qui] devrait inquiéter tout le monde, notamment les décideurs politiques et les actionnaires des banques elles-mêmes ».« Le coût du carbone en termes de phénomènes météorologiques extrêmes, de vies perdues et de moyens de subsistance compromis sera supporté par la société et malheureusement pas par les banques, ni par les entreprises de combustibles fossiles », poursuit M. Campanale. « La prochaine fois que les banques viendront chercher un renflouement auprès des contribuables, elles ne devraient pas être surprises de constater qu’ils leur tournent le dos. »
BNP Paribas, première banque de l’UE pour le fossile
Le rapport a été produit par six ONG et est approuvé par plus de 300 organisations de 50 pays. Il a utilisé les données de Bloomberg pour analyser à la fois les prêts directs accordés par les banques aux entreprises de combustibles fossiles et les financements provenant d’autres investisseurs que les banques organisent via des ventes d’obligations et de dettes.
« Un résultat surprenant des données de 2020 est que BNP Paribas, une banque qui ne perd jamais une occasion de se vanter de ses références propres et vertes, et de celles de sa filiale américaine Bank of the West, est arrivée en quatrième position des banques fossiles en 2020 », indique le rapport. BNP Paribas a apporté 40,8 milliards de dollars en financement de combustibles fossiles en 2020, une énorme augmentation de 41 % par rapport à son activité de 2019. « Le financement des combustibles fossiles de BNP Paribas en 2020 présente une augmentation choquante de 141 % de plus qu’en 2016 » s’offusquent les rapporteurs.
En 2020, BNP Paribas a largement arrosé les compagnies fossiles, apportant 12,7 milliards de dollars de financement à BP, 4,2 milliards de dollars à Shell, 3,7 milliards de dollars à Total, 1,8 milliard de dollars à Saudi Aramco, et plus d’un demi-milliard de dollars chacun à Eni, Exxon, Pemex, Chevron, Equinor et Petrobras.
Les autres grandes banques françaises ont également connu des hausses inquiétantes de leurs investissements fossiles en 2020. Le Crédit Agricole a ainsi injecté 7,8 milliards de dollars de plus dans les entreprises de combustibles fossiles qu’en 2019 – dont 3,7 milliards de dollars à Total – soit une augmentation de 66 %. La Société Générale a apporté 1,9 milliard de dollars à ExxonMobil, et ses investissements ont grimpé en flèche en 2020 avec 30 % de plus qu’en 2019.
Un porte-parole de BNP Paribas a déclaré au Guardian que le rapport a classé la banque en deuxième position pour la force de ses restrictions sur le financement du charbon, du fracking et des sables bitumineux. « Pendant la crise de Covid-19, tous les secteurs de l’économie avaient besoin d’être soutenus et BNP Paribas, comme d’autres banques, a joué un rôle important de stabilisation de l’économie. Cependant, BNP Paribas a soutenu le secteur pétrolier et gazier dans une moindre mesure que les autres secteurs d’activité. »
Lucie Pinson, fondatrice et directrice exécutive de l’ONG Reclaim Finance dénonce : « Ces chiffres exposent la vacuité des engagements toujours plus nombreux des banques à être net-zéro ou à s’aligner sur les objectifs climatiques de l’Accord de Paris. Un exemple parfait peut être trouvé en France. Le ministre des Finances, Bruno Le Maire, se plaît à appeler Paris la capitale de la finance verte – mais ces données l’exposent comme la capitale de l’hypocrisie climatique de 2020, avec quatre banques sans scrupules faisant de la France le plus grand bailleur de fonds du pétrole, du gaz et du charbon en Europe. BNP Paribas mérite d’être distinguée comme le quatrième financier fossile du monde en 2020, ayant accordé des prêts de plusieurs milliards de dollars à des géants du pétrole comme BP et Total. »
Où est la fin du pétrole ?
Le rapport Banking on Climate Chaos démontre que les financements fossiles continuent sans relâche. Pourtant, un rapport distinct publié mi-mars par l’Agence internationale de l’énergie et l’Imperial College de Londres a révélé que les investissements dans les énergies renouvelables ont connu un rendement supérieur de 367 % à celui des combustibles fossiles depuis 2010.
En effet, à première vue, l’avenir n’est plus au pétrole. En matière de mobilité, le véhicule électrique s’impose désormais comme une nouvelle norme de la mobilité individuelle. Selon Philippe Copinschi dans un article publié par The Conversation, « au rythme actuel, l’essentiel des nouvelles immatriculations en Europe sera électrique d’ici quelques années à peine ». Il prévient : « Un siècle après s’être imposé comme l’énergie incontournable dans le transport, le pétrole va ainsi perdre une grande partie de son statut de ressource stratégique ».
Va-t-il pour autant disparaître, au grand dam des banquiers qui le financent à tour de bras ? Pas du tout, le pétrole n’est pas mort : le transport de marchandises, routier et maritime, dépend encore quasi exclusivement du pétrole – à 99 % pour le transport maritime (AIE), et en 2020 en Europe, les ventes de camion étaient à 96 % au diesel, même si les alternatives (gaz naturel, biocarburants, hydrogène, électricité…) gagnent en compétitivité. Quant au transport aérien, il devrait rester encore totalement tributaire du pétrole pour de nombreuses années.
Pour ce qui concerne la production énergétique, les énergies renouvelables ne détrôneront pas le pétrole de sitôt dans les pays en développement, où l’accès aux technologies de pointe est souvent limité. L’or noir deviendrait ainsi « l’énergie du pauvre » sans perdre, avant longtemps, ses atours aux yeux des banquiers, qui continueront, même si la planète brûle et s’asphyxie, leur business as usual.
« Les banques fournissent l’oxygène financier qui permet à l’industrie des combustibles fossiles de respirer ». Malheureusement, oui. Mais les banques ne pourraient jamais financer les énergies fossiles sans l’argent que leur confie leurs clients. C’est avec les placements de ces derniers qu’elles peuvent spéculer sur les marchés. Pour les inciter à se désengager de ce massacre de l’environnement et du climat nous avons donc la possibilité et le devoir de boycotter ces banques sales en choisissant de placer notre épargne dans des banques éthiques et coopératives. Mieux vaut devenir sociétaire du Crédit Coopératif, par exemple, que de rester client de BNP,… Lire la suite »