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L’aspartame, potentiellement cancérogène ?

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Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC, qui fait partie de l’Organisation mondiale de la santé) vient officiellement de classer l’aspartame comme « cancérogène possible pour l’homme ». L’aspartame – aussi appelé E951 – est un édulcorant artificiel utilisé dans plus de 2 500 produits alimentaires et boissons en Europe : on le retrouve dans du Coca-Cola Zero, Pepsi Max, Sprite Zero mais aussi dans des yaourts Yoplait 0%, des produits laitiers Lindahls de Nestlé ou des chewing-gums Mentos.         

Pour Camille Dorioz, responsable de campagnes chez foodwatch : « Cette nouvelle a un goût amer. Un édulcorant possiblement cancérigène n’a pas sa place dans nos aliments ou boissons. Or on en retrouve dans beaucoup de produits. Les consommateurs pensent souvent que les édulcorants intenses utilisés en substituts du sucre sont meilleurs pour leur santé. En réalité, ils/elles s’exposent à un autre danger totalement inutile. De plus, l’OMS a confirmé que les édulcorants comme l’aspartame n’ont aucun bénéfice lorsqu’on veut perdre du poids ».

Rappelons que l’aspartame est un édulcorant artificiel (chimique) largement utilisé dans divers produits alimentaires et boissons depuis les années 1980 en France, y compris les boissons à faible teneur en calories, les chewing-gums, la gélatine, la crème glacée, les produits laitiers tels que le yogourt, les céréales pour le petit-déjeuner, le dentifrice et les médicaments tels que les pastilles contre la toux ou les vitamines à croquer. 

La science du sucré

Cette petite poudre blanche est 200 fois plus sucrante que notre sucre ordinaire, et est utilisée dans plus de 6 000 produits dans le mond. La Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis l’a approuvé comme édulcorant en 1974 et, en 1981, le JECFA a fixé une dose journalière admissible (DJA) de 40 milligrammes par kilogramme de poids corporel. Pour un adulte type, cela représente environ 2 800 milligrammes par jour, soit l’équivalent de 9 à 14 canettes de boissons gazeuses diététiques.

L’édulcorant artificiel a fait l’objet de plusieurs controverses au cours des quatre dernières décennies, l’associant à un risque accru de cancer et à d’autres problèmes de santé. Mais les réévaluations de la FDA et de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) n’ont pas apporté suffisamment de preuves pour réduire son utilisation.
En 2019, un groupe consultatif du CIRC a recommandé une évaluation hautement prioritaire d’une série de substances, dont l’aspartame, sur la base de preuves scientifiques émergentes. Les preuves du CIRC concernant le lien entre l’aspartame et le cancer du foie proviennent de trois études portant sur la consommation de boissons artificiellement sucrées.

L’une d’entre elles, publiée en ligne en 2014, a suivi 477 206 participants dans 10 pays européens pendant plus de 11 ans et a montré que la consommation de boissons gazeuses sucrées, y compris celles contenant de l’aspartame, était associée à un risque accru d’un type de cancer du foie appelé carcinome hépatocellulaire. Une étude menée aux États-Unis en 2022 a montré que la consommation de boissons sucrées artificiellement était associée au cancer du foie chez les personnes atteintes de diabète. La troisième étude, portant sur 934 777 personnes aux États-Unis entre 1982 et 2016, a révélé un risque plus élevé de cancer du pancréas chez les hommes et les femmes consommant des boissons édulcorées artificiellement.

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Ces études ont utilisé la consommation de boissons artificiellement sucrées comme indicateur de l’exposition à l’aspartame. De tels indicateurs sont assez fiables, mais ne fournissent pas toujours une mesure précise de la consommation, selon Mathilde Touvier, épidémiologiste à l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale à Paris.
Cette scientifique est co-auteur d’une autre étude incluse dans l’évaluation du CIRC, qui a examiné la consommation d’aspartame à partir de différentes sources alimentaires, notamment les boissons non alcoolisées, les produits laitiers et les édulcorants de table. L’étude a révélé que parmi 102 865 adultes en France, les personnes qui consommaient des quantités plus élevées d’aspartame (mais inférieures à la DJA recommandée) présentaient un risque accru de cancer du sein et de cancers liés à l’obésité.
L’étude montre « un risque accru statistiquement significatif, robuste dans de nombreuses analyses de sensibilité« , déclare Mathilde Touvier. Mais « elle n’a pas la puissance statistique suffisante pour étudier le cancer du foie pour le moment« .

Pas toujours fiable

Le comité international mixte FAO/OMS d’experts sur les additifs alimentaires (JECFA) a évalué des études associant l’aspartame à des cancers du foie, du sein et du sang, mais a déclaré que les résultats n’étaient pas cohérents. Les études présentaient des limites de conception, ne pouvaient pas exclure les facteurs de confusion ou reposaient sur l’auto-déclaration de la consommation quotidienne d’aspartame.

« Les données alimentaires ne sont pas toujours les plus fiables. Nous n’ingérons pas l’aspartame comme un agent unique. Il fait partie d’une combinaison de produits chimiques et d’autres éléments« , explique William Dahut, directeur scientifique de l’American Cancer Society, basée à Bethesda, dans le Maryland.

Dans l’organisme, l’édulcorant se décompose en trois métabolites : la phénylalanine, l’acide aspartique et le méthanol. « Ces trois molécules sont également présentes lors de l’ingestion d’autres produits alimentaires ou de boissons« , précise le Docteur Branca, directeur du département Nutrition et sécurité alimentaire de l’OMS. Il est donc impossible de détecter l’aspartame dans les analyses de sang. « C’est une limitation de notre capacité à comprendre ses effets. »

Le méthanol est potentiellement cancérigène parce qu’il est métabolisé en acide formique, qui peut endommager l’ADN. « Si vous consommez suffisamment de méthanol, vous endommagez votre foie et vous risquez de développer un cancer du foie« , explique Paul Pharoah, épidémiologiste spécialiste du cancer au Cedars-Sinai Medical Center de Los Angeles. « Mais la quantité de méthanol générée par la décomposition de l’aspartame est insignifiante« , ajoute-t-il.

D’autres études sont nécessaires pour explorer l’impact de l’aspartame sur les processus métaboliques, ainsi que ses liens avec d’autres maladies, selon le CIRC. « Cette recherche apportera également de nouveaux éléments de preuve au tableau général« , ajoute M. Touvier.

« Il n’y a pas de preuve convaincante, à partir de données expérimentales ou humaines, que l’aspartame a des effets néfastes après ingestion, dans les limites établies par le comité précédent« , a déclaré Francesco Branca, lors d’une conférence de presse tenue le 12 juillet à Genève (Suisse).

La nouvelle classification « ne doit pas être considérée comme une déclaration directe indiquant que la consommation d’aspartame présente un risque connu de cancer« , a déclaré Mary Schubauer-Berigan, directrice par intérim du programme des monographies du CIRC, lors de la conférence de presse. « Il s’agit plutôt d’un appel à la communauté des chercheurs pour essayer de mieux clarifier et comprendre le risque cancérogène que peut ou ne peut pas présenter la consommation d’aspartame« .

Le simple remplacement du sucre par des édulcorants artificiels ne permet pas de contrôler le poids, avertissent également l’OMS et foodwatch. En mai 2023, l’OMS a conseillé de ne plus consommer d’édulcorants artificiels, dont l’aspartame, pour perdre du poids.  Toujours selon l’OMS, le consommateur ne devrait pas avoir à choisir entre un soda avec du sucre et un soda avec des édulcorants. Pour le Docteur Branca, « Il devrait y avoir un troisième choix : l’eau ».

Un examen systématique des preuves scientifiques actuelles par l’OMS suggère que la consommation d’édulcorants non sucrés est associée à un risque accru de diabète de type 2, de maladie cardiovasculaire et de mortalité toutes causes confondues, ainsi qu’à une prise de poids. En outre, la consommation d’édulcorants sans sucre n’a pas d’effet bénéfique à long terme sur le poids corporel.

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Parmi les autres substances classées comme « peut-être cancérogènes » figurent des extraits d’aloe vera, des légumes asiatiques traditionnels marinés, certains carburants automobiles et certains produits chimiques utilisés dans le nettoyage à sec, la menuiserie et l’imprimerie. Le CIRC a également classé la viande rouge comme « probablement cancérogène » et la viande transformée comme « cancérogène ».

« En soulignant les risques possibles de cancer liés à l’aspartame et la nécessité de poursuivre les recherches, l’OMS a envoyé un signal clair sur les dangers de cet additif », souligne Camille Dorioz. L’organisation de défense des consommateurs foodwatch demande que tout édulcorant ou additif alimentaire potentiellement dangereux pour la santé des consommateurs soit retiré du marché européen jusqu’à ce que son innocuité soit prouvée.

L’UE et les États membres ont la responsabilité de protéger les citoyens européens des substances potentiellement nocives. Cette approche de la gestion des risques est prévue par le traité de l’UE et le règlement général sur la législation alimentaire (EC 178/2002) avec le principe de précaution qui permet de protéger les citoyens face à des risques potentiels. S’il n’y a pas de consensus scientifique sur une question, c’est bien simple, il faut favoriser la santé et l’intérêt général et non les intérêts économiques des industriels.       

Pourtant, le risque cancérigène était déjà soulevé dès les années 80, suite à des doutes sur de possibles effets toxiques. Il fut retiré du marché américain jusqu’à son retour en 1981.
L’Autorité européenne de sécurité des aliments, pour sa part, balayait les inquiétudes en décembre 2013, en assurant que l’aspartame était sûr, à condition de respecter la dose journalière recommandée, soit 40 milligrammes par kilogramme de poids corporel. Deux ans plus tard, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Anses) affirmait à son tour qu’aucune donnée ne permettait de démontrer un risque avéré de cancer, tout en soulignant « la nécessité d’approfondir les connaissances » sur l’aspartame. En mars 2022, une étude menée par l’Inserm faisait un lien entre sa consommation, comme d’autres édulcorants, et un risque accru de maladies cardiovasculaires.

Parce que l’incertitude demeure et afin de protéger la santé des consommateurs, foodwatch demande donc à la Commission européenne, et plus particulièrement à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), de procéder à une nouvelle réévaluation de l’aspartame en tant qu’additif alimentaire. L’EFSA a évalué l’aspartame pour la dernière fois en 2013 ; le processus est donc très lent.

Sources :

  • Communication de l’OMS et du CIRC sur les résultats de l’évaluation des dangers et des risques de l’aspartame, 14 juillet 2023
  • Aspartame et contrôle du poids, augmentation du diabète de type 2, des maladies cardiovasculaires et de la mortalité chez les adultes, « L’utilisation à long terme d’édulcorants non sucrés peut avoir des effets indésirables potentiels, tels qu’un risque accru de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires et de mortalité chez les adultes. (…) Les édulcorants non sucrés ne confèrent aucun avantage à long terme dans la réduction de la graisse corporelle chez les adultes et les enfants ».
  • Aspartame et risque accru de cancer: Les scientifiques ont constaté que, par rapport aux personnes qui ne consommaient pas d’édulcorants artificiels, celles qui en consommaient les plus grandes quantités, en particulier l’aspartame et l’acésulfame-K, présentaient un risque accru de développer un cancer, quel qu’en soit le type. Des risques plus élevés ont été observés pour le cancer du sein et les cancers liés à l’obésité.
  • Le principe de précaution dans le règlement européen (CE) n° 178/2002, articles 7 et 14 : « Dans des cas particuliers où une évaluation des informations disponibles révèle la possibilité d’effets nocifs sur la santé, mais où il subsiste une incertitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, peuvent être adoptées dans l’attente d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète du risque ».
  • Nature du 14/07/23

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