Quand vous achetez une bouteille d’eau minérale « naturelle » ou d’eau dite « de source », vous le faites avec l’absolue certitude de la qualité et la sûreté de l’eau qu’elle contient. C’est pourquoi vous la payez sans rechigner une seconde cent fois le prix de l’eau du robinet. C’est sur ce fondement que se sont forgées au fil des décennies les réputations de marques comme Perrier, Hépar, Vittel et autres Cristalline. Or voilà qu’une enquête menée par la cellule investigation de Radio France et le Monde chamboule brutalement toutes ces certitudes. Les eaux minérales ne sont pas aussi pures qu’on le croyait et les plus connues, commercialisées par des géants comme Nestlé ou Alma, ont subi, pendant des années, en catimini et avec la bénédiction du gouvernement, des traitements interdits, les ramenant au vulgaire statut d’eau du robinet. Le consommateur continuant bien sûr à payer les yeux fermés et en toute ignorance sur sa sécurité, le prix fort.
Le code de la santé publique définit trois types d’eaux conditionnées : les eaux minérales naturelles, qui se distinguent par leur « pureté originelle » (Perrier, Vittel, Evian), les eaux de source (Cristaline), et les « eaux rendues potables par traitement ». Si ces dernières peuvent subir le même type de traitements que ceux appliqués à l’eau potable du robinet, il n’en va pas de même pour les deux premières catégories. Les eaux minérales naturelles et les eaux de source ont en effet en commun d’être – normalement – protégées des risques de contaminations et de pollutions car elles sont puisées profondément dans les nappes souterraines, et donc, en principe, « microbiologiquement saines ». Elles ne peuvent donc faire l’objet que d’un nombre très limité de traitements de purification. Le recours à des systèmes de purification tels que des filtres à charbon ou des filtres UV est strictement interdit afin de préserver la composition minérale et microbiotique des eaux, qualité majeure de leur argumentation commerciale.
Or, pendant des années, les industriels ont commercialisé des eaux minérales qui n’en étaient pas. Elles ont subi, dans le plus grand secret, des interventions interdites allant de filtrations, traitement aux UV, jusqu’au mélange interdit d’eaux provenant de différentes sources (y compris de l’eau du robinet), jusqu’à l’adjonction de gaz carbonique industriel pour des eaux prétendues « naturellement gazeuses ».
L’eau préférée des Français
L’affaire commence en décembre 2020 par un signalement de fraudes au sein du groupe Sources Alma. Cette firme produit une trentaine d’eaux en bouteille en France, dont Cristaline, « l’eau préférée des Français », mais aussi Saint-Yorre ou Vichy Célestins. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ouvre une enquête. Elle découvre que l’entreprise fait subir à ses eaux minérales des traitements non conformes à la réglementation : injection de sulfate de fer et de CO2 industriels, microfiltration inférieure aux seuils autorisés, mais aussi mélanges d’eaux.
Dans le cadre de son enquête, la répression des fraudes fait une autre découverte. Le groupe Alma serait loin d’être le seul à avoir recours à des traitements interdits. En analysant les fichiers des clients des fournisseurs de filtres de traitements des eaux, les agents de la répression des fraudes repèrent un gros acheteur, le géant de l’agro-industrie : Nestlé Waters, qui dispose de deux sites d’eau minérale naturelle en France : dans les Vosges (Vittel, Contrex, Hépar), et dans le Gard, à Vergèze (Perrier).
Voyant le danger, la multinationale suisse, qui détient à elle seule plus d’un tiers du marché des eaux en bouteille en France, rencontre fin août 2021 le cabinet de la ministre de l’Industrie de l’époque, Agnès Pannier-Runacher. Lors de cette rencontre, dans une sorte d’étrange plaider-coupable, Nestlé reconnaît avoir recours à des traitements non-conformes, expliquant que ceux-ci sont indispensables car les sources exploitées par le groupe sont régulièrement contaminées par des bactéries de type Escherichia Coli, des polluants chimiques ou des pesticides, rendant l’eau naturelle impropre à la consommation.
En contrepartie de cet aveu, et face au risque exhibé de plusieurs milliers d’emplois menacés en cas de fermeture des sources, Nestlé obtient du gouvernement non seulement l’absence de lancement d’une quelconque procédure judiciaire comme le veut l’article 40 du code de procédure pénale, mais surtout la modification de la réglementation permettant le traitement des eaux dites naturelles. Il est utile de préciser que la cheffe de cabinet de la ministre de l’Industrie de l’époque, Hélène Courades, est aujourd’hui directrice générale de BRF, un syndicat professionnel représentant les intérêts du secteur des boissons, dont Nestlé Waters est un des principaux adhérents.
Tromperie sanitaire
Ce scandale n’est pas un épisode anecdotique de malversation industrielle. Il pointe directement l’altération du concept de « nature » tel que nous le connaissions et tel que l’utilisent de nombreux groupes agro-industriels dans leur marketing. En effet, Nestlé argue que « L’évolution des conditions climatiques et environnementales, avec la multiplication d’événements extrêmes, à l’instar de sécheresses ou d’inondations, combinés à l’expansion des activités humaines autour de nos sites, rend très difficile le maintien de la stabilité des caractéristiques essentielles d’une eau minérale naturelle ». De ce fait, les traitements bien que non conformes, protègent les consommateurs de la dégradation de la qualité de l’eau. La tromperie organisée aurait pour but de renforcer la sécurité sanitaire.
Sans traitement, les puits contaminés auraient dû fermer pour protéger la santé publique. Or, depuis la révélation du scandale, la plupart des puits continuent de fonctionner, sans traitements, les industriels jurant avoir retiré leurs filtres à charbon actifs et ultraviolets de toutes leurs usines. Le risque sanitaire et notamment microbiologique est-il pour autant maîtrisé ? L’Inspection générales des affaires sociales (Igas) explique que « les traitements mis en place » l’ayant été pour « pallier un défaut de qualité de la ressource, leur retrait est de nature à engendrer un risque sanitaire ».
Nous avons appris il y a quelques jours que les eaux minérales en bouteille contenaient de grandes quantités de microplastiques. Aujourd’hui, nous apprenons qu’elles ne sont pas aussi pures qu’elles le prétendent. Elles sont néanmoins toujours consommées en masse, vendues cent fois le prix de l’eau du robinet. Opacité brisée grâce seulement au courage de lanceurs d’alerte ou journalistes d’investigation, entreprises qui contournent la loi, consommateurs trompés sur les qualités substantielles de produits en lesquels ils avaient confiance… Tous les ingrédients d’un scandale alimentaire d’ampleur semblent réunis.
L’ONG Foodwatch annonce vouloir porter plainte et questionne le rôle de l’Etat. « Les réglementations existent pour protéger les consommateurs et les acteurs du marché. Aucune multinationale n’est au-dessus des lois. Or, il semble que des entreprises aient préféré contourner la loi pour continuer à écouler leurs produits. Nestlé nous a malheureusement déjà habitué à ces dérives lors du scandale Buitoni. Nous demandons aux autorités publiques, censées protéger les consommateurs, de nous expliquer comment elles ont pu permettre cela », commente Ingrid Kragl, directrice de l’information de foodwatch.
Enquête de la cellule investigation de Radio France
Très bon article comme d’habitude ! Réglementer les analyses qui doivent être au minimum équivalentes à celles de l’eau de distribution, PAS le CAS ! Vu qu’elles utilisent un bien commun et qui est vendu à des prix prohibitifs, obligation d’analyse annuelle ou plus si pollution dans la région de captage et envoi des résultats sans omission à ceux qui en font la demande et données reprises sur leur site Internet (reprenant tous les contaminants connus, microplastiques y compris et effectuées par firme indépendante et SANS conflit d’intérêts) Lorsque l’on voit les problèmes même avec alimentation pour bébés : https://www.rtbf.be/article/investigation-sur-lalimentation-pour-enfants-en-bas-age-des-metaux-lourds-retrouves-dans-des-produits-vendus-en-belgique-11195735 https://www.foodwatch.org/fr/communiques-de-presse/2019/laits-pour-bebes-nestle-et-danone-contamines-par-des-huiles-minerales-toxiques-foodwatch-exige-le-rappel-immediat https://www.sciencesetavenir.fr/nutrition/l-acrylamide-substance-potentiellement-cancerigene-dans-des-biscuits-pour-bebes_110633… Lire la suite »