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Le boum du bio ferait-il pschitt ?

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Le bio n’a jamais fait débat et s’est imposé dans les esprits et les pratiques comme une évidence. En juin dernier, l’Agence bio qui scrute ce marché depuis plusieurs années, publiait un nombre impressionnant de records. Explosion du nombre d’exploitations agricoles bio, élargissement de la gamme des cultures devenues encore plus vertes, boum significatif de la consommation et intérêt grandissant des distributeurs pour un marché promis d’être juteux. Le gouvernement n’était pas en reste et annonçait à grand coups de slogans de communication l’objectif de convertir 15 % des exploitations au bio d’ici 2022. Hélas, un rapport sénatorial est sorti ce mercredi qui refroidit les esprits. Une ambition « hors d’atteinte », écrivent les rapporteurs, qui condamnent les effets de manche de l’État et l’absence de moyens et de coordination pour atteindre ces objectifs.

En juin dernier, l’Agence bio publiait des chiffres enthousiasmants : 5 000 nouvelles exploitations étaient venues grossir les rangs de l’agriculture biologique, portant leur nombre à 41 623. Un niveau de recrutement record. 9,5 % des fermes françaises étaient certifiées bio. Un seuil symbolique avait aussi été franchi avec le passage du cap des 2 millions d’hectares cultivés selon des principes respectueux de l’environnement. Un chiffre qui représentait 7,5 % de la surface agricole utile française et se situait dans la bonne ligne d’atteinte de l’engagement d’Emmanuel Macron et de son gouvernement de le porter à 15 % d’ici 2022. Le Grenelle de l’Alimentation qui se déroulait à la même époque enfonçait le clou en promettant 20 % de produits bio dans les cantines et la restauration collective.

La promesse ne semblait pas impossible à tenir car le bio semblait en état d’effervescence. Même les cultures habituellement réservées à l’agriculture intensive passaient au vert : les céréales, oléagineux et légumes secs rattrapaient allègrement leur retard, avec un bond de 31% de ces surfaces agricoles en bio, indiquait l’Agence Bio dans son bilan annuel.

En viticulture aussi, le bond était très important (+20%), avec 12% du vignoble français en bio (94.020 hectares) en 2018. Pour encourager les vignerons à franchir le pas, un label CAB (conversion agriculture biologique) avait même été créé pour couvrir la période de conversion de trois ans.

Douche froide

Hélas, un rapport du Sénat douche cet enthousiasme.  Alain Houpert, sénateur Les Républicains de la Côte-d’Or, et Yannick Botrel, sénateur du groupe socialiste et républicain des Côtes-d’Armor, cosignataires d’un rapport sur le financement public de l’agriculture biologique présenté mercredi 5 février, affirment que l’État a, selon eux, « adopté des objectifs de développement de l’agriculture biologique alors même qu’il ne dispose plus des moyens autonomes de les atteindre et n’a exercé que faiblement ses missions de coordination ». En gros, un coup de com de l’État qui a voulu profiter de la vague du bio.

Certes, les sénateurs reconnaissent que le bio gagne du terrain et que les agriculteurs sont nombreux à vouloir franchir le pas. Mais, selon eux, l’objectif de 15 % des terres agricoles devenues bio en 2022 est intenable. Nous n’y arriverons pas avant au moins 2026 disent-ils.

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L’une des raisons de ce rétropédalage est comme toujours budgétaire. Les financeurs du bio sont la plupart du temps éparpillés entre une multitude d’organismes : État, collectivités territoriales, Fonds européen, agences de l’eau etc.

Un imbroglio administratif qui interdit toute agilité dans la réaction aux réalités du terrain. En effet, l’Agence bio avait raison : le nombre des exploitations agricoles bio a bien fait des bonds. Mais une attractivité que l’État n’était pas en mesure de satisfaire. 5000 exploitations devenues bio en un an, c’était intenable budgétairement. C’est pourquoi l’État a décidé, en 2018, d’arrêter de soutenir les aides à la conversion. Elles étaient pourtant bien utiles en aidant les agriculteurs à passer le cap et à amortir le choc d’une baisse de rendement inévitable. Il s’en est suivi des retards de plus en plus nombreux dans le versement des aides dues, poussant de trop nombreuses exploitations au dépôt de bilan.

Mais ces dérives administratives ne sont pas les seules à éteindre la flamme du bio. Les sénateurs pointent aussi la responsabilité des agriculteurs et dénoncent dans leur rapport des effets d’aubaine. En effet, l’agriculture biologique couvre bien 7.5 % de la surface agricole utile. C’est le chiffre qu’avait publié l’Agence bio en 2019. Mais de très nombreuses exploitations sont « en cours de conversion » et, selon les rapporteurs, 60 % des terres devenues bio sont en réalité des prairies permanentes ou des champs réservés aux cultures fourragères. Les agriculteurs voulant ainsi profiter d’un effet d’aubaine, déclarent passer au bio pour bénéficier d’aides et de subventions.

Selon les rapporteurs, il ne faut pas parler de 7.5 % mais de guère plus de 2.6 % de terres agricoles bio. On est loin de la salade verte bio ou des champs de pommes de terre pouvant bénéficier du label vert.

Le goût du bio

Le résultat n’est pas réjouissant pour le consommateur. Car, lui, a vraiment pris goût au bio. Il le consomme de plus en plus mais la production locale française est incapable de le satisfaire pleinement. La France importe ainsi une part importante (31 %) de sa consommation en bio. Des importations pas très bien contrôlées, avec des cahiers des charges de labellisation différents de ceux des agriculteurs français.

Focalisé sur la communication, le gouvernement a négligé selon les rapporteurs des aspects fondamentaux. Il ne s’est pas donné les moyens de ses ambitions. Les aides et financements publics consacrés à l’agriculture biologique pour la période 2013 à 2020 (1,328 milliard d’euros) représentent à peine 1 % du total des concours alloués à l’agriculture sur une période comparable (144,1 milliards). « Une aberration » affirment les sénateurs, qui dénoncent la faiblesse et la complexité des aides accordées aux agriculteurs bio. « Ils prennent un risque énorme et ne sont pas soutenus. »

Pourtant, la croissance de la consommation du bio n’est pas contestable. « La consommation de produit bio croît à un rythme très proche de celui de la production. En 2018, les Français ont dépensé 1,4 milliard d’euros supplémentaires soit un total de 9,7 milliards d’euros, ce qui représente 5 % des achats alimentaires des ménages » analyse Florent Guhl de l’Agence bio. Le bio devenant ainsi une sorte de valeur refuge face aux craintes que redoutent les consommateurs sur la qualité de leur alimentation.

Un boum qui n’a pas échappé à la grande distribution qui compte bien profiter de ce marché. « Le modèle de la grande distribution est incompatible avec le Bio », revendiquait Claude Gruffat, dans son ouvrage Les dessous de l’alimentation Bio (La mer salée, 2017). Il n’en demeure pas moins que la grande distribution, à force de grignoter les parts de marché, s’est arrogée la plus grosse part du gâteau bio. En 2018, 49 % des produits estampillés bio ont été écoulés dans les grandes enseignes. Un pactole de 4.75 milliards d’euros, en augmentation de 22.6 % en un an. Et ce mouvement n’est pas près de s’arrêter. L’enseigne Carrefour s’est ainsi fixé un objectif de 5 milliards dans le bio d’ici 2022 contre 1.8 milliard aujourd’hui. Même son de cloche chez Leclerc où on anticipe un chiffre d’affaires bio multiplié par deux en cinq ans.

Face à ce rouleau compresseur, les magasins spécialisés comme La Vie claire, Biocoop, Les Nouveaux Robinsons, etc. perdent du terrain mais s‘arriment à leurs 34 % de part de marché. Les petits commerces indépendants quant à eux ne résistent plus ; ils mettent la clé sous la porte. Seuls survivants, les circuits courts qui maintiennent leur position à 12 % de part de marché ; une consolation pour les consommateurs amateurs de circuits courts et de local, qui veulent être sûrs que leur argent va bien dans la poche du producteur.

On s’est fait voler le bio

Dans ce contexte dominé par les plus grands, de plus en plus de voix s’élèvent chez les petits producteurs, militants et consommateurs pour dénoncer les industriels qui se lancent dans la vente de produits biologiques, au détriment des valeurs paysannes (respect de la nature, solidarité entre producteurs, autonomie alimentaire, diversité des cultures et des élevages, etc.).

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Louis Julian fait figure de pionnier de l’agriculture bio. Il a participé à l’élaboration des premiers cahiers de charges au sein de Nature et Progrès, un ensemble de méthodes et de règles afin de respecter l’écosystème (plante, animal, sol, humain) dans son ensemble. Dans Reporterre, il s’écrie « on s’est fait voler la bio ». Pour lui, le label européen a perverti l’agriculture bio : « Certains traitements chimiques sont autorisés, ainsi qu’une petite proportion d’OGM, notamment dans l’alimentation des animaux ; la taille des élevages n’est pas limitée, et le pâturage n’est pas obligatoire. »

S’est ainsi progressivement manifestée l’existence de deux agricultures bio. L’une qui a conservé l’esprit du départ — une agriculture diversifiée, à l’échelle familiale et locale — et une autre qui reproduit les schémas industriels classiques, qu’on peut appeler de la bio technique, parce qu’elle se contente d’une application minimale du cahier des charges.  Cette « bio industrielle et hors-sol », qui accepte les serres chauffées et les élevages sur caillebotis, est largement contestée par les pionniers, de même que le développement de démarches « pseudo bio » comme le « Zéro résidu de pesticides ».

Le label bio est censé garantir un produit bon pour la santé et respectueux de l’environnement. En réalité, il sert surtout d’argument marketing pour les grandes enseignes de l‘agroalimentaire et de la distribution.

Car derrière le label se cachent de nombreux problèmes :

– Il ne garantit pas l’absence d’huile de palme notamment dans les pâtes à tartiner ;

– Le lait et les œufs bio sont, certes, sans pesticides, mais contiennent un certain nombre de produits polluants cancérogènes. Jean Blaquière explique dans le Figaro qu’ils sont notamment chargés en dioxines et PCB, et cela paradoxalement davantage que les produits dits conventionnels. Ces dioxines, précise-t-il, sont issues de rejets industriels, notamment des incinérateurs, et les PCB, produits chimiques dont la fabrication est interdite en France depuis 1987, ont la fâcheuse tendance de s’accumuler dans les sols et d’y rester durant des années. Une aberration du label bio qui privilégie les élevages en pâturages, mais ne contrôle pas les sols. Ainsi, l’éleveur peut convertir son champ en bio, alors même qu’il est situé à proximité d’une installation polluante.

– La moitié des huiles d’olive bio analysées contiennent des plastifiants, notamment des phtalates considérés comme des perturbateurs endocriniens ;

– De nombreux produits garantis bio ne signifient pas qu’ils sont davantage meilleurs pour la santé. C’est le cas notamment pour les jus de fruits biologiques ou les gâteaux bio, généralement très sucrés.

A ces dérives s’ajoutent d’autres problèmes pointés par l’ONG Générations futures qui publiait juin 2019 un rapport sur les résidus de pesticides dans les fruits et les légumes consommés en France, élaboré sur la base de 13 300 données officielles produites par la Direction Générale de la Répression des Fraudes (DGCCRF) de 2012 à 2017. Des résultats sans appel : sur cinquante végétaux, 71,9 % des échantillons de fruits et 43,3 % de légumes contiennent des résidus de pesticides ; 2,9 % des fruits et 3,4 % des légumes testés dépassent les seuils légaux autorisés.

Autant de dérives qui montrent comment un mouvement lancé par des militants soucieux de défendre la petite paysannerie contre les logiques productivistes, la qualité alimentaire et le respect de l’environnement risque de se fracasser sur les têtes de gondoles de la grande distribution et les fausses promesses des politiques.

 

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