Les nouvelles techniques génétiques prennent toutes sortes de noms au gré des intentions de chacun : NBT (New breeding techniques), OGM ou OGE (organismes génétiquement édités) … Toujours est-il qu’elles présentent les mêmes propriétés que les OGM (résistance aux herbicides ou aux insecticides notamment), mais échappent à leur cadre règlementaire. Des associations réclament que le statut de ces biotechnologies soit clarifié. Le risque est en effet de voir arriver sur le marché ces « nouveaux OGM » à l’insu des citoyens. Dans ce contexte, le vide juridique incite les promoteurs et opposants aux OGM à rejouer les guerres de tranchées des années 90. Guerre des mots qui cache des conflits sur les modèles agricoles défendus par chacun. Décodage.
Manger des légumes CRISPR/cas9 n’est pas mortel ! Un chercheur suédois a annoncé avoir dégusté du chou au génome « réédité » selon la nouvelle technique du « copier-coller de gènes » dans son laboratoire. Stephan Jansson, de l’Université d’Umea, a mis en scène cette « première mondiale » avec un journaliste qui a partagé son repas allègrement, lit-on dans un billet publié dans Sciencemag. Faut-il en faire un plat ? La démonstration vise à banaliser ces constructions génétiques et à pousser leur mise sur le marché sans différentiation ou suivi, ce qui fait polémique. Sauf en Suède qui a dérèglementé la dissémination de choux obtenus au moyen de la nouvelle star des laboratoires, la technique Crispr-Cas9.
Le ton monte pourtant en Europe, sur la question de la réglementation de ces « nouveaux OGM » que les promoteurs ne veulent justement pas assimiler à des organismes génétiquement modifiés. L’Association française des biotechnologies végétales (AFBV) qui vient d’organiser un colloque intitulé « Innovation, sélection végétale, société » propose une nouvelle appellation. « Ces techniques d’édition génétique aboutissent à des “organismes génétiquement édités” (OGE) et non pas à des OGM comme le soutiennent les opposants », explique Georges Pelletier, président de l’AFBV et membre de l’Académie des sciences. Lors de cette réunion, généticiens et sélectionneurs se sont plaints de ne pouvoir tester les nouvelles méthodes d’ingénierie génétique comme le fameux CRISPR-Cas9 dans les champs, faute de réglementation décidée par l’Europe et le gouvernement français.
A ce propos, le Conseil d’Etat a été saisi par onze associations et fédérations agricoles (Réseau semences paysannes, Amis de la Terre, Confédération paysanne) afin de retirer un décret excluant la mutagenèse – création de mutations par des agents chimiques ou énergétiques – de la réglementation. Et ce mardi 4 octobre, il a décidé de renvoyer à la Cour de justice de l’Union européenne la décision sur le statut des nouvelles techniques d’édition. Celle-ci devra donner sa réponse dans les 18 mois.
C’est dire que le torchon brûle entre protagonistes à propos des plantes aux génomes transformés par les nouvelles techniques d’édition. Pour bien comprendre la situation, il faut se référer à la Directive 2001/18 – relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans la nature – qui définit et encadre l’usage des OGM végétaux. Celle-ci exempte les plantes issues de la mutagenèse de toute déclaration et suivi spécifique. Or les nouvelles techniques d’édition (dont CRISPR/cas9, TALEN, Doigt de Zinc…) sont assimilées par les chercheurs à de la mutagenèse ciblée. Cette exemption apparaît ainsi aujourd’hui comme un cheval de Troie aux militants anti OGM. Elle est ainsi devenue le cœur du débat sur ces « OGM » que ces derniers qualifient de « cachés ».
C’est pourquoi les associations ont décidé de remettre en cause l’exemption figurant dans la Directive 2001/18. Elle ont saisi le Conseil d’Etat pour demander de suspendre la culture de tournesol et colza rendus tolérants aux herbicides (VrTH) par mutagenèse et cultivés en France depuis dix ans. Dans son avis, le Conseil d’Etat s’interroge sur la validité de la directive 2001/18 au regard du principe constitutionnel de précaution compte tenu des « incertitudes scientifiques actuelles sur leurs incidences et sur les risques potentiels en résultant pour l’environnement et la santé humaine et animale ».
Mais cette position n’est pas celle adoptée par le gouvernement français qui a décidé de suivre l’avis du Haut conseil des biotechnologies (voir Clash sur les biotechnologies). Ce dernier assimile la plupart des techniques d’édition à de la mutagenèse, plaidant pour une exemption de toute autorisation de mise sur le marché. Il invoque la notion de « mutation comme dans la nature » pour signifier le caractère inoffensif de l’intervention technique. Or chacun sait que la nature n’est pas exempte de poison comme l’explique d’ailleurs un fervent défenseur des OGM, Marcel Kuntz, sur le blog du Collectif de promotion des biotechnologies vertes financé par le GNIS, l’UIPP et l’EFS.
Il est urgent de revoir les catégories qui font du sens dans ce débat. « Il faut repenser les termes du débat public » insistait Stéphane Foucart dans son article « Que faire des « OGM cachés » paru dans Le Monde le 24 avril dernier. Si la référence au naturel n’est pas pertinente, il serait utile de caractériser les produits, leur intérêt pour les consommateurs, et leurs effets sur l’environnement. « Le mouvement anti-OGM n’a, ainsi, pas réussi à se faire entendre de la société. Les cultures conventionnelles – qui sont obtenues par mutagénèse aléatoire – ont globalement été acceptées dans l’indifférence générale. Pourtant, elles reproduisent l’un des traits les plus contestables des OGM cultivés outre-Atlantique. Comme l’a souligné l’expertise collective conduite en 2011 par l’INRA et le CNRS, la mise en culture de variétés tolérantes à un herbicide en favorise mécaniquement l’épandage, augmentant ainsi son impact sur l’environnement et la santé, et favorisant de surcroît l’apparition de mauvaises herbes résistantes ».
Il est temps de réorienter le débat non plus sur la technique d’obtention mais sur les propriétés ajoutées aux plantes modifiées. Car on comprend aisément que la société apprécie différemment des maïs résistant au round up, des pommes de terre produisant moins d’acrylamide à la cuisson ou des champignons qui ne brunissent pas…
C’est la Commission européenne qui peut seule proposer une révision des cadres de réglementation des OGM pour y intégrer les nouvelles techniques d’édition. Mais les dynamiques de la Commission européenne, très soumises aux lobbys, continuent de s’opposer à celle du Parlement européen qui a voté le 6 octobre l’interdiction à l’importation du maïs OGM MON810 de Monsanto ainsi que du coton OGM MON 88913 détenu par Dow Agrosciences. Les députés ont également refusé la mise en culture du Mon 810, du maïs Bt11 de Syngenta tolérant à plusieurs herbicides et du maïs 1507 de Dupont tolérant au glufosinate-ammonium qui est, comme le glyphosate, un composant d’herbicide. En octobre 2015, le Parlement européen s’était opposé à la proposition de la Commission européenne de renationaliser la procédure d’autorisation d’importation des OGM accélérant leur mise sur le marché. Depuis, les députés ont refusé à cinq reprises l’importation d’OGM.
Le bras de fer que l’on a connu dans les années 90 a toutes les chances de reprendre : à la mi-septembre, une parcelle de production de semences de tournesol a été détruite dans l’Hérault chez un agriculteur partenaire de RAGT Semences. En face, se développe le lobbying de l’industrie des semences, avec notamment la création d’une plateforme ad hoc : la New Breeding Techniques Platform. L’enjeu est considérable comme le souligne Novethic, tant pour les consommateurs que pour la possibilité d’un climat de confiance pour des innovations responsables.
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