Pollutions diffuses, atteintes à la biodiversité liées à l’usage des pesticides, émissions de CO2, mais aussi faiblesse des revenus de nombreux agriculteurs… bien que l’agriculture conventionnelle assure notre sécurité alimentaire, elle présente aujourd’hui de nombreuses et graves vulnérabilités. Des fragilités qui se renforcent avec le dérèglement climatique, synonyme de sécheresses et d’aléas plus fréquents, mais aussi de transformations récentes propres à l’organisation économique et sociale. Face à ces constats, l’agroécologie constitue l’une des solutions pour assurer la transition de l’agriculture vers la durabilité. Alternative souhaitable à l’agriculture « conventionnelle » pour engager la transition de notre système alimentaire vers la durabilité, elle peut se traduire par une démarche de certification (labels officiels ou marques privées). Mais tous les cahiers des charges associés à ces labels ou à ces marques se valent-ils sur le plan environnemental et avec quelle rentabilité pour les exploitations ? Suivant une étude de France Stratégie, qui passe au crible de la littérature scientifique et de la modélisation vingt-trois référentiels relevant de l’agroécologie, tout permet d’être optimiste. L’agriculture biologique apparaît en particulier comme la plus performante d’un point de vue économique et environnemental aujourd’hui.
De nombreuses menacent pèsent sur le système alimentaire, résultant des bouleversements écologiques et climatiques sur les écosystèmes sauvages et cultivés : ils affectent la croissance des végétaux et l’activité des cultures, ils dégradent et artificialisent les sols, ils épuisent les ressources et créent l’effondrement de la biodiversité. Les ressources en eau sont sous tension, impactant les productions agricoles. C’est un constat parfaitement clair et démontré dans la seconde édition du rapport « Vers la résilience alimentaire » de l’association Les Greniers d’Abondance » (1).
Aussi, l’agroécologie permet l’optimisation de l’utilisation des ressources et services apportés par la nature pour réduire au maximum l’utilisation d’intrants de synthèse, engrais, pesticides ou antibiotiques. Ces intrants sont remplacés par des facteurs « naturels » qui s’appuient sur les outils que nous procure la nature : les pollinisateurs qui transforment les fleurs en fruits, l’agroforesterie où les arbres font barrage au soleil trop fort ou au vent ou servent aussi de refuge aux oiseaux et aux rapaces pour réguler les attaques d’insectes, la polyculture-élevage ou l’art d’associer l’animal et le végétal pour une meilleure culture, la diversification des semences, …
On peut aussi, par exemple, jouer sur les rotations de cultures pour limiter les risques d’apparition de maladies des plantes, ou cultiver des légumineuses qui captent l’azote pour remplacer les engrais. L’agroécologie peut aider à améliorer la production alimentaire mondiale – c’est ce qu’a officiellement reconnu l’ONU en 2018 – pour devenir l’agriculture de demain. Mais, alors, comment savoir si ce que l’on consomme est issu de pratiques agroécologiques ?
Les labels
France Stratégie a analysé vingt-trois cahiers des charges publics ou privés relevant de démarches agroécologiques ou s’en revendiquant. Parmi ceux regroupant le nombre le plus important d’exploitations : l’agriculture biologique (AB), la Haute Valeur Environnementale (HVE), les mesures agroenvironnementales et climatiques systèmes (MAEC systèmes), les fermes DEPHY, LU’Harmony et AgriCO2.
Il existe par ailleurs des labels officiels, présents sur les produits alimentaires, mais ne relevant pas explicitement de l’agroécologie. C’est le cas par exemple du Label rouge et de la certification de conformité des produits (CCP) :
- Les labels publics ou marques privées relevant de l’agroécologie ou s’en revendiquant et pouvant donner lieu à des signes particuliers sur les produits, reconnaissables par les consommateurs :
- Les cahiers des charges s’inscrivant dans l’agroécologie mais ne donnant pas lieu à un label présent sur les produits alimentaires :
- Les labels publics ne relevant pas de l’agroécologie mais donnant lieu à des signes particuliers sur les produits, reconnaissables par les consommateurs :
Les modes de production en France : quelles différences ?
Quel niveau d’engagement et d’exigence environnementale pour ces labels ?
Ces labels ne présentent pas tous un haut niveau d’exigence. Grâce à une typologie basée sur la réduction d’utilisation d’engrais et de pesticides et sur l’intensification des pratiques favorables à la préservation de la biodiversité, des sols et des ressources en eau, il est possible de distinguer deux grandes familles d’exploitations agroécologiques :
- les exploitations présentant un haut niveau d’exigence, comme l’AB ou la certification Haute Valeur Environnementale : l’ensemble du système de production a été repensé pour favoriser l’autonomie et la préservation de l’environnement. La production agricole est régie par des contraintes et des restrictions, et les produits peuvent être facilement repérables par le consommateur grâce à des étiquettes.
- les exploitations présentant un nombre d’exigences environnementales moins important, comme les MAEC systèmes, certaines fermes DEPHY et LU’Harmony : leur système de production reste fondé sur les principes de l’agriculture conventionnelle, mais des engagements supplémentaires sont mis en œuvre (par exemple sur la réduction d’usage des pesticides).
Dans quels cas la transition agroécologique est-elle rentable pour les agriculteurs ?
Bien que les indicateurs varient (marge brute ou directe, excédent brut d’exploitation…), de même que les échelles de temps et les filières (viticulture, maraîchage, céréales…), l’analyse de littérature montre clairement que les exploitations agroécologiques, l’AB en particulier, sont en général plus rentables que les exploitations conventionnelles, alors que leurs exigences environnementales sont élevées.
Pourquoi ? Parce que les exploitations bio réalisent des économies sur les charges en intrants (engrais, produits phytosanitaires) et que les prix des produits bio sont plus élevés. À quoi s’ajoutent des prix moins volatiles et une plus grande diversité de productions, assurant dans leur ensemble des rendements plus stables sur le temps long. Or ces bénéfices font plus que compenser les coûts induits par des rendements plus faibles et par les charges supplémentaires liées à la mécanisation du désherbage ou au recours à davantage de main-d’œuvre. Un exemple pour s’en convaincre : en 2016 l’excédent brut d’exploitation (EBE) des exploitations conventionnelles en viande bovine était de 3 euros par hectare contre 180 euros en bio. Plus généralement, la littérature scientifique montre que le gain de marge directe en AB, quoique très variable selon les productions, est en moyenne de 103 %.
Des bénéfices économiques importants pour l’agriculture biologique : Plusieurs études ont été menées sur les performances économiques des filières agroécologiques. Les résultats montrent que l’agroécologie est le plus souvent rentable. Les exploitations agroécologiques présentent même des résultats économiques à moyen terme supérieurs à ceux d’exploitations conventionnelles, malgré une baisse des rendements.
L’AB assure également à l’agriculteur une meilleure stabilité économique, avec des rendements plus stables sur le long terme en raison d’une production plus diversifiée et plus résistante aux bioagresseurs. L’AB apparaît clairement comme la plus performante d’un point de vue économique mais aussi environnemental. Les productions HVE présentent également un haut niveau d’exigence environnementale.
Des bénéfices économiques hétérogènes pour les autres labels : Les exploitations mettant en œuvre des MAEC systèmes sont généralement rentables à moyen terme. Les produits ne bénéficiant pas de prix plus avantageux, contrairement à l’AB, les agriculteurs restent cependant dépendants des prix du marché. Les fermes DEPHY sont rentables à moyen terme mais pas dans tous les cas, les bénéfices étant liés à la réduction d’utilisation des pesticides.
Certains labels sont moins repérables par les consommateurs : certains bénéficient de signes d’identification bien connus du consommateur, comme les étiquettes AB. Mais d’autres exploitations agroécologiques, comme celles appliquant des MAEC systèmes ou certaines fermes DEPHY, ne voient pas leurs productions « reconnues » par les consommateurs, ce qui ne leur permet pas de dégager de réels bénéfices.
Des bénéfices qui ne reposent parfois que sur les aides de la Politique agricole commune (PAC) : en l’absence d’aides de la PAC, certaines exploitations agroécologiques coûtent plus qu’elles ne rapportent, en comparaison des exploitations conventionnelles. Dans certains cas, le prix des produits bio seul ne permet pas de compenser la baisse de rendements.
La transition agroécologique peut impliquer de moindres rendements et ainsi affecter la rentabilité des exploitations agricoles : accroître la compétitivité par des aides et une montée en gamme auprès des consommateurs pourraient ainsi aider les agriculteurs à engager cette transition.
Voir le document d’analyse complet « Améliorer les performances économiques et environnementales de l’agriculture : les coûts et bénéfices de l’agroécologie«
Comment mieux aider l’agroécologie ?
L’agroécologie est un mode de production qui peut être à la fois rentable et respectueux de l’environnement et répondre aux attentes des consommateurs. Parvenir à une transition agroécologique soutenable et réussie à l’échelle nationale implique un ajustement des subventions de la PAC, un soutien accru à la conversion vers l’agriculture biologique et un changement radical et durable de nos modes de consommation.
Les aides de la politique agricole commune (PAC) assurent la rentabilité des exploitations européennes de manière générale. Certaines subventions spécifiques sont de plus dédiées aux référentiels agroécologiques. L’AB par exemple bénéficie d’aides à la conversion.
Mais il y a un hiatus : ces aides publiques de la PAC sont déconnectées des exigences environnementales et ne sont pas proportionnées au service environnemental rendu par les exploitations, ni même toujours au manque à gagner effectif lié à leur transition agroécologique. C’est ce que montre le rapport de France Stratégie dont les auteurs ont confronté le montant des aides attribuées aux exploitations à leur « score d’exigence environnementale »… et constaté leur décorrélation. En grandes cultures par exemple, les montants totaux d’aides à l’hectare sont plus importants pour les référentiels MAEC systèmes que pour le référentiel AB. Autrement dit, c’est la production moins exigeante du point de vue environnemental qui reçoit plus. Les exploitations agroécologiques se voient verser des aides de la PAC, au même titre que les exploitations conventionnelles. Or ces aides rémunèrent uniquement un manque à gagner (coût post-transition) et non les bénéfices pour l’environnement. Les niveaux de rémunération ne sont pas proportionnés aux exigences environnementales.
Parmi les exploitations agroécologiques, toutes ne bénéficient pas de subventions spécifiques :
Mieux aider la transition écologique de notre agriculture passe donc par un réel ajustement des aides publiques versées aux efforts financiers consentis par les agriculteurs pour réduire leurs impacts sur l’environnement ou par un changement d’approche permettant de mieux rémunérer le service environnemental rendu. Une approche qui pourrait consister en un système de bonus-malus, le produit des malus sur l’usage de pesticides et d’engrais venant financer les bonus aux pratiques agroécologiques par exemple.
Pour ce qui est des référentiels utilisés, France Stratégies préconise trois recommandations :
- Soutenir en priorité les labels qui sont associés à des hauts scores d’exigence environnementale et qui génèrent des bénéfices économiques, comme l’AB : il apparaîtrait nécessaire de renforcer leur reconnaissance par le consommateur pour permettre un consentement à payer, rémunérant justement l’agriculteur (c’est le cas des référentiels HVE) et mieux informer les exploitants agricoles et les consommateurs des bénéfices économiques engendrés par ces labels.
- Analyser les coûts de la transition agroécologique pour les différentes exploitations, en développant un système de suivi sur le moyen terme.
- Pour les référentiels « à haut score d’exigence environnementale » qui présentent, eux, des bénéfices économiques pour les exploitants, il serait souhaitable de mieux tenir compte de la plus grande intensité en main d’œuvre, à l’origine de surcoûts, dans le paramétrage des dispositifs d’aides publiques qui leur sont attribués.
- Enfin, pour les référentiels « à faible score d’exigence environnementale » mais à coût faible ou nul, il s’agirait de diffuser et de généraliser les bonnes pratiques, notamment en termes de réduction d’usage de pesticides.
Ajuster les aides et mieux soutenir les référentiels à forte exigence environnementale sont des leviers nécessaires pour développer l’agroécologie. Mais ils ne seront pas suffisants. Pour assurer la transition de notre système alimentaire vers la durabilité, les pratiques des consommateurs doivent aussi évoluer, notamment vers un régime moins et mieux carné. C’est à cette double condition que le système agricole français pourra changer au profit d’un modèle plus soutenable permettant de nourrir la population, de faire vivre les producteurs dignement, de réduire notre dépendance aux intrants de synthèse et d’améliorer la protection des sols et la qualité de l’eau.
Il faut absolument prêter attention aux préconisations des différents acteurs du secteur agricole, comme à celui de la communauté scientifique. Il s’agit là d’une alerte de Félix Lallemand et Arthur Grimonpont (1) : « Sans transformation radicale du système alimentaire, c’est le risque d’une décroissance subie et d’un retour des pénuries qui plane. » « Les pratiques agroécologiques sont issues de connaissances toujours plus poussées sur les agrosystèmes, les cycles bio-géochimiques, les interactions avec la biodiversité sauvage. Elles font la synthèse de plusieurs siècles de recherches scientifiques et de découvertes empiriques. »
(Sources : France Stratégie – Le Grenier d’Abondance)
(1) Rapport « Vers la résilience alimentaire », coordonné par Félix Lallemand, docteur en écologie et évolution et Arthur Grimonpont, ingénieur-chercheur en aménagement du territoire – Editions Yves Michel, septembre 2020
Pour aller plus loin :