Les acteurs de la chaîne du livre à l’ère du numérique : pour identifier les moyens de développer en France le livre numérique en préservant la chaîne de valeur du livre et la diversité éditoriale de l’édition française, le Centre d’analyse stratégique a réalisé, en partenariat avec le Centre national du livre, une série de 3 notes d’analyse accompagnées de propositions, centrées chacune sur l’un des acteurs de la chaîne du livre : les auteurs et les éditeurs (I), les librairies (II), les bibliothèques publiques (III). En voici le contenu.
I – Les auteurs et les éditeurs / Préambule
Le marché encore balbutiant en France du livre numérique est appelé à connaître un essor important dans les toutes prochaines années. Ce bouleversement aux contours encore incertains éveille des interrogations chez les éditeurs et les auteurs.
Ne nécessitant ni impression ni achat sur un lieu de vente donné, les livres numériques s’affranchissent du circuit classique de la distribution qui assure une part essentielle du revenu des éditeurs. En développement rapide aux États-Unis et en Grande-Bretagne, qui ne disposent pas d’un réseau aussi étendu de librairies qu’en France, le livre numérique y est maîtrisé par les grands acteurs des nouvelles technologies et de la distribution sur Internet.
Se refusant à une pareille perspective, les éditeurs français souhaitent aujourd’hui prendre solidement place sur le marché du livre numérique. Mais les exigences qui accompagnent ce processus ne sont pas minces : il s’agit tout à la fois de proposer une offre attractive aux lecteurs, de préserver des marges et d’assurer des conditions financières et juridiques en mesure de dissuader les auteurs de se passer de la médiation traditionnelle de leur éditeur.
Ce sont là autant de défis à relever sans tarder si l’édition française veut préserver à l’ère du numérique sa diversité éditoriale comme sa valeur ajoutée.
Propositions :
1) Réunir éditeurs et distributeurs de livres numériques afin de créer une réelle interopérabilité des fichiers entre les différents modèles de tablettes et de liseuses.
2) Lancer une concertation avec les éditeurs en vue de fixer un taux limite de remise sur l’édition numérique d’un livre par rapport à son édition papier.
3) Réunir les acteurs de l’édition et de la distribution du livre pour aboutir à un regroupement de la distribution française du livre numérique autour d’une plate-forme unique.
4) Former un groupe d’enseignants et d’inspecteurs de l’Éducation nationale experts sur le manuel scolaire numérique afin d’orienter les éditeurs vers les dispositifs les plus prometteurs en termes d’apprentissage.
5) Prévoir une annexe dans le contrat d’édition détaillant clairement toutes les dispositions relatives à l’exploitation numérique de l’œuvre cédée. Dans le cas du livre enrichi, prévoir un contrat séparé.
Les enjeux :
L’essor attendu du livre numérique est amené à bouleverser l’organisation de la chaîne éditoriale du livre. Avec la transmission directe d’un texte depuis une plate-forme de téléchargement vers une tablette ou une liseuse, l’impression et la distribution du livre ne sont plus nécessaires. Or c’est cette dernière étape de la chaîne du livre qui est aujourd’hui la source majeure de rémunération pour l’éditeur. Il s’agit pour lui de trouver d’autres moyens que la distribution pour financer une production éditoriale diversifiée et n’obéissant pas à la seule logique de la rentabilité. Son défi est alors d’opérer un basculement progressif de sa production éditoriale vers le numérique sans mettre en péril son équilibre économique.
De plus, auteurs et éditeurs sont habitués à nouer des relations de proximité dans le processus de création, avec des règles de rémunération bien connues. Si l’essor du livre numérique n’implique pas nécessairement une transformation du processus de création littéraire, le modèle économique tout comme le cadre juridique de l’édition sont appelés à évoluer. L’auteur cherche à disposer d’une législation aussi protectrice de ses droits que dans le cadre du livre imprimé. Il est naturellement soucieux de ne pas voir se dégrader ses conditions de rémunération.
Auteurs et éditeurs doivent par conséquent préserver leurs intérêts respectifs dans un marché qui évolue très rapidement et dont la physionomie reste encore incertaine. Chacun des acteurs de la chaîne du livre a aussi tout à gagner à créer une offre numérique riche et attractive pour éviter le développement d’un piratage qui a été particulièrement dommageable à l’industrie du disque et du cinéma.
(Source : Thomas Loncle, avocat au barreau de Paris ; Sarah Sauneron, département Questions sociales ; Françoise Vielliard, département Développement durable et Julien Winock, service Veille et Prospective)