Janvier, les soldes. Les affiches de promo se sont multipliées dans les vitrines, les rabais infiltrés dans nos boîtes mails, les « bonnes affaires » nous ont fait de l’œil. Mais est-ce bien raisonnable de se laisser encore avoir ainsi ? Peut-on apprendre à consommer pour vivre mieux (et non l’inverse) ?
A-t-on tout dit sur la consommation « responsable » ? Entre les multiples rapports et enquêtes qui chaque année font le point sur la progression des comportements plus écologiques et le profil des consommateurs engagés, on a parfois l’impression que tout est dit : ça progresse, doucement mais sûrement, les gens font plus attention mais l’offre n’est pas encore assez complète, visible, compétitive, etc.
Ne faut-il pas prendre le sujet autrement ? Pour Elisabeth Laville, pionnière dans la question de « développement durable », il est temps de cesser de croire qu’on changera la planète en achetant des produits plus verts ou écoconçus. « La consommation est un enjeu à part entière, on a trop tendance à associer son traitement à celui de la production » .
La raison à cela ? Deux principaux tabous : l’impact global de notre mode de consommation, et la façon dont on considère nos modes de production. « Depuis trente ans, nous avons allégé l’impact de la production et amélioré de 30 % l’efficacité d’usage des ressources. Mais si on regarde les chiffres globaux, du fait de la démographie et de la hausse des volumes de consommation, nous avons accru de 50 % la consommation de ressources naturelles. Cela compense largement les progrès effectués ! » , dénonce celle qui côtoie de près entreprises et dirigeants gouvernementaux (cf. son rapport pour une consommation durable paru en janvier 2011).
Et pour cause : « A quoi bon chercher à diminuer un impact environnemental par unité de produit si en parallèle l’objectif est de multiplier les ventes par deux ?, questionne Elisabeth Laville. L’impact environnemental va stagner, voire augmenter et cela n’a rien de durable ».
Force est de constater qu’entreprises et pouvoirs publics restent réservés sur ces questions : « Ils comptent sur la relance de la consommation et ce, d’autant plus que les particuliers pensent à leur confort et leur liberté individuelle, cela arrange tout le monde » , déplore la spécialiste pour qui ces tabous ont été institutionnalisés en étant ancrés dans la comptabilité environnementale. « Depuis le Protocole de Kyoto, les émissions de gaz à effet de serre sont calculées non pas sur la base de ce qui est consommé dans le pays mais de ce qui est produit » , note-t-elle.
Comment progresser ?
Facile, dans ces conditions, de se réjouir de la baisse des émissions de gaz dans un pays qui délocalise sa production en Inde ou en Chine. Ces pays se trouvent maintenant en tête des pays émetteurs de CO2 (un quart des émissions du territoire chinois sont liées à la production de biens et services destinés à l’exportation). Dans ces conditions, le gouvernement britannique n’aurait pas dû se féliciter, en 2008, d’avoir réduit ses émissions de 19 % depuis 1990. Il s’est d’ailleurs fait reprendre par un rapport du Parlement britannique lui rappelant qu’en prenant en compte les émissions des biens importés, il ne s’agissait pas d’une réduction mais d’une hausse de 20 % des émissions. C’est dire.
D’autant qu’il est désormais prouvé que la société de consommation échoue à nous rendre heureux. N’est-ce pas l’Happy Planet Index qui plaçait en 2012 les Etats-Unis en 105e place sur 151 pays, la Grande Bretagne en 41e place, la France en 50e place et l’Allemagne en 46e ? La Chine n’a-t-elle pas banni les publicités pour les produits de luxe ? Le « jour du dépassement » n’arrive-t-il pas de plus en plus tôt ? « La consommation est avant tout un fait social, une mode de participation à la société. Les individus croient au matérialisme car ils vivent dans une société droguée à la consommation… mais qui fait tout pour masquer cette addiction » , relève l’auteur qui cite les travaux du sociologue Robert Rochefort pour qui nous sommes dans une « société de consolation » qui nous évite de penser.
Pour sortir de ce triste constat, nous devrions donc éviter d’imiter cet homme qui cherche ses clefs perdues uniquement sous la lumière du lampadaire… « Nous sommes en état d’addiction, et la bonne volonté ne suffit pas pour en sortir » , regrette Elisabeth Laville pour qui nous devons dissocier notre vie sociale de la consommation : « Il ne s’agit pas de nier la consommation, mais de la remettre à sa place, de gagner du temps et de l’argent« .
Une vision politique est également nécessaire. « C’est une frontière politique que nous devons franchir pour enfin traiter ce sujet. En ce sens, l’action portée par certaines collectivités est importante : à Grenoble avec la fin des panneaux publicitaires, d’autres avec la fin du plastique, la promotion du bio, de la vente en vrac, etc… Il faudrait agréger ces initiatives et imaginer une ville heureuse » , rêve Elisabeth Laville, convaincue du besoin d’adopter des dynamiques collectives à l’échelle locale.
Et vous, êtes-vous prêts à changer ?
(Source : Anne-Sophie Novel / @SoAnn sur twitter)