Alors qu’Amazon prétend mettre en relation directe l’auteur et son lecteur, la mise en place de ces ateliers est pour Gallimard l’occasion de rappeler l’importance du rôle littéraire de l’éditeur. Est-ce un nouveau rôle dans le métier d’éditeur ? Une innovation à la française pour pouvoir surmonter la concurrence du mastodonte américain et l’avènement du numérique ?
Ce jour de juin, à l’heure où les couloirs se vident, les salons moulurés du 5, rue Gaston-Gallimard accueillent leurs visiteurs du soir. Les participants aux premiers ateliers d’écriture organisés par la vénérable maison d’édition Gallimard se rendent à leur ultime séance de travail.
Ils sont neuf à rejoindre l’atelier animé par l’éditeur et écrivain Jean-Marie Laclavetine, « La fabrique du récit », sept celui de l’écrivaine Laurence Cossé, « Excellentes nouvelles ». Ils ont déboursé chacun 1500 euros pour huit séances de trois heures, soit 62 euros de l’heure. Une coquette somme, proche du salaire médian des Français. Pour quel bilan?
Sandra, infirmière, n’écrira « jamais plus » comme avant. Elle estime avoir appris « à classifier et à structurer ». 1500 euros ? Elle est ici pour « acheter la qualité ».
Jean-François, libraire à Saumur, atteint de « la maladie de l’écriture », est là pour « avoir un écho » de son travail. Le tarif ? C’est celui d’un « séjour à Marrakech ». Il préfère se payer Gallimard.
Juliette travaille dans l’édition scientifique à Strasbourg. Accoutumée à écrire dans le genre policier, elle apprécie de travailler « en dehors de sa zone de confort ». Rapporté au nombre d’heures, elle ne trouve pas le prix excessif. Les participants auxquels nous avons pu parler n’ont pas eu de regrets à exprimer.
Apprendre à écrire ?
En annonçant au printemps dernier le lancement de ses ateliers de la NRF, Gallimard suscitait, pour le moins, l’agacement. L’ogre des prix d’automne, le roi des éditeurs français, se permettait, en prime, de vendre à bon prix des leçons d’écriture ? Choquant, alors que le principe même d’une formation à la création littéraire est mal admis en France. Certes, le premier master vient d’être créé par l’Université du Havre, et les ateliers Aleph ou Elisabeth Bing existent depuis de nombreuses années avec des tarifs plus modestes. Mais l’idée que l’art d’écrire soit matière à enseignement chagrine notre culte du génie, alors que les cours de « creative writing » existent depuis longtemps dans les pays anglo-saxons.
Un modèle, la Faber Academy
Charlotte Gallimard, fille aînée d’Antoine, est à l’initiative des ateliers. Inspirée par la Faber Academy, lancée en 2008 par la respectable maison d’édition londonienne Faber & Faber, elle a repris la même recette: une enseigne prestigieuse, de petits groupes conviviaux, des écrivains-animateurs reconnus, et un prix en conséquence. « Getting started« , le module Faber qui correspond aux ateliers de la NRF, est proposé à 1200 euros.
Ces premières sessions sont loin d’avoir fait le plein, puisque les 15 places prévues pour chacune d’elle n’ont pas été pourvues. La jeune éditrice se dit pourtant satisfaite, estimant que ce démarrage en comité restreint lui a permis de tester la formule. Quant aux 1500 euros, qui ont suscité les critiques les plus virulentes, elle précise qu’ils servent aussi, « dans une proportion importante », à payer l’écrivain-animateur. Les places des trois sessions de la fin d’année seraient déjà toutes réservées, et de nouveaux ateliers verront le jour en 2013. Comme sa maison-mère centenaire, la Gallimard Academy s’est inscrite dans la durée.
(Article paru dans L’express.fr – 5 juillet 2012)