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Tourisme créatif : la France à la traîne ?

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Alors que les « événements » de la rentrée en France, misent sur « le tourisme de demain », il semblerait que le modèle de tourisme créatif ait été développé, ailleurs dans le monde, depuis des décennies, voire plus. Un retour à l’essence du voyage, en somme. Mais alors que l’ONU a déclaré 2021 comme l’Année de l’Économie Créative pour le Développement Durable, pourquoi le tourisme créatif est-il à la traîne en France ?

Un bref retour sur ce concept s’impose. Théorisé au début des années 2000 par les professeurs Greg Richards et Crispin Raymond, annonçant déjà un changement de paradigme au sein de l’industrie touristique … ou comment l’infiniment humain allait perturber le modèle imposant et imposé du tourisme de masse.
Défini comme un “Tourisme qui offre aux visiteurs l’opportunité de développer leur potentiel créatif en participant activement à des expériences didactiques, caractéristiques de leur lieu de séjour », le tourisme créatif ne faisait alors référence qu’à un public minoritaire, héritiers du Grand Tour, artistes-en-herbe romantiques, qui associaient voyages et pratique artistique.

Cette approche était pourtant visionnaire en cela que les changements sociétaux de ces deux dernières décennies ont conduit les individus, et par extension les touristes, à devenir des voyageurs expérimentés, prosumers, en quête de valeurs humaines et d’expériences authentiques.

Le premier programme de tourisme créatif à l’échelle d’une ville a été créé à Barcelone en 2005, par Caroline Couret qui, percevant le potentiel de ce type de tourisme, tant en termes de demande, comme de levier de développement durable, a fondé, en 2010, le Creative Tourism Network, réseau mondial réunissant des destinations de tous types, labélisées CreativeFriendly, faisant de la créativité, l’authenticité et les valeurs humaines, les moteurs d’un tourisme vertueux et innovant.

Les atouts du tourisme créatif : la cohésion sociale à travers la co-création d’expériences et d’une narrative commune ; une meilleure estime de soi de la population locale grâce à ce nouvel intérêt pour sa culture et ses traditions ; une meilleure distribution géographique grâce à l’intérêt mineur des touristes créatifs pour les « hotspots touristiques » ; l’autonomisation et la professionnalisation des communautés locales ; un tourisme de qualité doté d’une forte valeur ajoutée et d’un pouvoir d’achat élevé ; la durabilité, reposant sur l’utilisation de la créativité comme ressource principale ; la préservation et transmission du patrimoine immatériel ; un outil de gouvernance.

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C’est ainsi que des villes comme Medellin (Colombie), Recife (Brésil) ou Jinju (Corée du Sud), des îles, comme Ibiza ou les îles de la Madeleine (Québec), ou des villages répartis sur le territoire européen, collaborent activement afin, non seulement d’échanger de bonnes pratiques, mais également de se positionner au sein de ce marché en plein essor.

Le tourisme créatif – également connu comme « tourisme orange » – s’est pourtant développé à des rythmes différents en divers points du globe. L’Amérique Latine en a fait le moteur de l’économie créative, et plus particulièrement la Colombie, qui possède de fait, un Ministère de ce nom. De même que l’Indonésie, dont le Ministère du Tourisme et de l’Économie Créative s’est vu décerné le Trophée de la Meilleure Destination Créative Mondiale, par les Creative Tourism Awards.

Il serait alors légitime qu’il trouvât en France, un terrain fertile, alimenté par les spécificités culturelles locales. Comme le souligne Caroline Couret, « Si l’attractivité de son patrimoine et de ses ressources naturelles ont fait de la France une destination phare à l’échelle mondiale, ses territoires et savoir-faire peuvent devenir sa nouvelle valeur différentielle, au sein de la nouvelle ère du tourisme. »

Caroline Couret, fondatrice du Creative Tourism Network, nous en parle plus en détail.

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Verrerie de Biot

– Où trouve-t-on du tourisme créatif en France ?

Caroline Couret : Il y a bien sûr des initiatives individuelles, mais si l’on parle de destinations, la pionnière a été Biot (Alpes Maritimes), qui a bien sûr misé sur ses métiers d’art – et notamment le verre soufflé – pour attirer un tourisme hors saison, en leur proposant de nouveaux motifs de séjour, en l’occurrence la participation à des stages et ateliers caractéristiques de la culture locale. Perpignan Méditerranée Tourisme a également rejoint les CreativeFriendlyDestinations de notre réseau, en inaugurant pertinemment son programme de tourisme créatif lors du déconfinement de juin 2020, afin de proposer une offre attrayante à un tourisme de proximité, et de se positionner sur le marché international, dès que les protocoles le permettront.

– Cela semble peu en comparaison avec d’autres régions du monde. Comment l’expliquer ?

CC : Effectivement, au vu d’autres destinations et bien sûr, de la richesse intrinsèque du patrimoine immatériel français, cela reste anecdotique. Cela s’explique peut-être par le fait que d’autres destinations, qui n’avaient pas les mêmes atouts que la France en termes de patrimoine ou « d’aura » culturelle, ont dû se réinventer il y a pas mal de temps déjà, ils ont perçu dans le tourisme créatif, une opportunité de se différencier tout en utilisant, créativement, leurs traditions et savoir-faire. Le potentiel de la France est immense, ne serait-ce que par la diversité de ses territoires et savoir-faire, et la pandémie sera sans doute un point d’inflexion.

– Précisément, qu’en est-il du tourisme créatif, dans un contexte pandémique ?

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CC : Je dirais qu’il s’est imposé comme le « couteau suisse » du tourisme, En effet, alors que d’autres segments touristiques ont dû mettre leur activité entre parenthèses, le tourisme créatif a, de par ses spécificités, été perçu comme une solution, pour séduire un tourisme de proximité, en quête d’expériences dépaysantes à partager avec leurs « bulles sociales ». Cela a permis à pratiquement toutes les destinations-membres du Creative Tourism Network®, de maintenir une certaine activité touristique, en offrant en outre, aux artisans, la possibilité de générer des revenus, autres que ceux liés à la vente de souvenirs. Il est de plus assimilé à ce tourisme « régénératif », auquel l’on attribue des vertus presque « providentielles », en ces temps de semi-confinement !

– Et de façon générale, quels sont les atouts du tourisme créatif ?

CC : Tout d’abord, le fait qu’il ne produise pas d’externalités négatives, mais permette au contraire de les convertir en atouts. Je pense par exemple à la saisonnalité. De nombreuses destinations « matures » et monographiques, centrées sur le tourisme balnéaire ou de ski (comme ce fût particulièrement visible cette année), trouvent dans le tourisme créatif une alternative en développant un tourisme hors saison, qui naît de façon presque « organique » en repensant créativement les ressources intangibles existantes. Cela permet en outre de créer un écosystème en incorporant des acteurs locaux issus de secteurs autres que le secteur touristique (artisanat, culture, industries créatives, agriculture, etc.), de les former, et leur offrir l’opportunité d’équilibrer leur activité professionnelle sur l’ensemble de l’année. Nous sommes donc dans une logique d’économie circulaire qui agit positivement au niveau de la formation, la cohésion sociale, la résilience, la gouvernance, pour ne citer que ceux-là. … Grâce à cela, il est possible de mettre en œuvre des projets sur un laps de temps très court, et avec un petit budget.

– Des exemples ?

CC : Toutes les destinations de notre réseau ont, pour des raisons différentes, opté pour un modèle de ce type afin de réinventer leur tourisme et le rendre plus vertueux. Les Îles de la Madeleine au Québec, en sont un excellent exemple. La cocréation d’expériences avec les artistes, artisans acteurs culturels et agriculteurs locaux a généré de nouveaux motifs de séjours permettant d’attirer sur du hors saison, de nouveaux profils de voyageurs : singles, seniors, knitters, makers, team building, etc. En participant à des ateliers de verre soufflé, de photographie, de cuisine au homard, de musique acadienne ou de … châteaux de sable, ces voyageurs dans l’âme, vivent une immersion au cœur de cette culture insulaire, tellement unique et attachante. Une offre « on-ne-peut-plus » Km0 ! Les exemples, déclinés sur toutes les destinations, et tous les continents, sont infinis.

– Parlons de la mise en place de projets. Comment se fait-elle ?

CC : Il n’existe pas un modèle unique, l’objectif étant précisément de développer chaque projet de la façon la plus organique possible afin que cette « matière vivante », c’est-à-dire ces traditions, ces savoir-faire, et ces personnalités, soient mis en valeurs, et les externalités négatives, soient utilisées comme des leviers positifs. Aussi, depuis le CreativeTourismNetwork nous priorisons le pragmatisme, l’inclusivité, et l’efficience, à l’heure de mettre en œuvre un programme au sein d’une destination. Bien que ces programmes soient impulsés par une entité publique (gouvernement local, office de tourisme, département de culture), il est essentiel qu’ils réunissent, dès la phase initiale, tous les secteurs de la population. Ce sont ce modèle bottom-up, cette représentativité et ces relations interpersonnelles, qui forgeront l’identité et l’exceptionnalité du projet et en feront l’élément différentiel, apprécié des touristes. Et puis, le tourisme créatif doit aussi bien sûr se comprendre comme une façon créative de gérer le tourisme, et en ce sens, la créativité est alimentée par cette richesse humaine.

– Concrètement, comment « gérer » une communauté si diverse et qui plus est, pour l’intégrer à ce que l’on considère encore comme l’industrie du tourisme ?

CC : Avec empathie et passion pour l’humain. C’est de toutes façons là l’essence du voyage, la rencontre de l’Autre. Notre vision du tourisme a toujours été guidée par cela et c’est une excellente nouvelle – enfin une ! – de constater que la crise actuelle favorise un retour sur ces valeurs. Concrètement, nous aidons les destinations (entités publiques) à identifier les parties prenantes locales qui pourraient être au cœur de ces expériences. Cela passe par un décloisonnement des secteurs de l’art, du tourisme, de la culture, l’agriculture, entre autres, qui est à la base de l’économie créative. Notre défi est de travailler avec eux, en respectant leurs spécificités professionnelles, mais également personnelles, et via des formations et sessions de travail personnalisées, de leur permettre de créer une offre unique d’expériences qui reflètent l’ADN de la destination, soit promue par les communautés locales, et contribue à créer un écosystème pour le territoire.

– Quel timing et quel coût cela suppose-t ’il ?

CC : La réponse d’usage est bien sûr « cela dépend », mais pour donner un ordre d’idée, on peut monter un projet, mapping, formations, conception des expériences et stratégie de promotion incluse, en un à deux mois, et le communiquer officiellement dès l’accord de collaboration. En ce qui concerne le coût, nous tâchons d’inclure la plupart de ces services dans le coût de l’adhésion, afin de limiter les démarches administratives. Cela revient à un budget d’entre 800 et 1.500€ selon les caractéristiques de la destination. … Oui, c’est peu, mais nous souhaitons ainsi que notre réseau soit inclusif et que la richesse se crée à partir des actions et des synergies que nous proposons à nos membres.

– Une fois créés, ces programmes ne restent-ils pas « en marge » de l’industrie touristique ?

CC : Cela pourrait, mais c’est là tout l’enjeu des missions que le CreativeTourismNetwo s’est fixé. C’est-à-dire, commercialiser à une dimension « globale », des expériences qui conservent respectent les traditions locales, sans tomber dans la folklorisation, et sans dénaturer les relations visiteur-visité. En tant qu’organisation à but non lucratif, nous sommes à même de jouer ce rôle de médiateur et de faire en sorte qu’à chaque maillon de la chaîne de valeur, le rôle de chacun soit non seulement respecté, mais également optimisé. En effet, il ne s’agit pas de demander à un artisan de devenir agent de voyage, mais plutôt de le former et l’accompagner, afin qu’il puisse offrir en B2C ou B2B, une expérience créative qui, à la fois réponde aux nouvelles demandes du marché et respecte, on pourrait presque dire, son rythme biologique. Cela ouvre un champ infini d’opportunités pour les tour-opérateurs et agences de voyage, qui peuvent composer avec des profils de touristes des plus divers, et des « faiseurs de rêves » locaux, hauts en couleur ! Leur survie – tellement pointée du doigt dernièrement – repose sur cette capacité à se réinventer, à créer de nouvelles narratives. L’artiste, l’artisan, conservera quant à lui son indépendance, entre création artistique et activité « touristique ».

– Quel est le futur – proche ou plus éloigné – du tourisme créatif ?

CC : Ce dont on est sûr désormais, c’est qu’il est difficile de se projeter dans quelque futur que ce soit. Toutefois, de par son modèle d’économie circulaire, le tourisme créatif est garant de durabilité. En faisant de la créativité sa principale ressource, on sait que celle-ci ne peut être que renforcée. Par ailleurs, la demande n’est pas le fait d’un phénomène de mode, mais plutôt le reflet d’un changement sociétal, un intérêt croissant pour les valeurs humaines, l’immatériel. Cela laisse augurer une nouvelle ère du tourisme axée sur ces critères.

– Et en ce qui concerne vos projets ? Et la France ?

CC : De la même façon que la crise a accéléré cette prise de conscience, notre réseau est en train de se développer tant en ce qui concerne le nombre et profil de destinations qui adhèrent à ce nouveau modèle, que par la diversité des projets que nous développons, dans le cadre, notamment, de la campagne des Nations Unies, « 2021, Année Internationale de l’Économie Créative pour le Développement Durable ».

En ce qui concerne la France, nous intervenons déjà dans des Universités et Écoles de Commerce, ce qui permet de préparer les futures générations de professionnels du tourisme, et nous travaillons également avec les destinations – de tous types – qui perçoivent l’enjeu de réinventer leur tourisme et se positionner à l’international de façon efficiente et peu onéreuse.

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robert.lanquar@gmail.com
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Non la France n’est pas à la traîne. Des tas d’idées sont en train de surgir dans le cadre de l’économie circulaire et les Jeux Olympiques de Paris 2024 font accélérer le développement d’initiatives nouvelles. Le vrai problème reste politique. L’ultralibéralisme et la concentration autour de chaines internationales ou de plateformes soi-disant collaboratives étouffent la créativité. Il faut revenir au vieux bon tourisme social et association des années 1950 à 1990. Il faut réglementer des systèmes trop libéraux qui écrasent les initiatives en faveur du développement durable et empêchent l’émergence de petites associations et entrepreneurs locaux. Robert Lanquar, ex-fonctionnaire international.

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