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Facebook, la firme géante fondée par Mark Zuckerberg veut de plus en plus ressembler à un État, voire plus. Fort de ses 2.4 milliards d’utilisateurs, le réseau social détient une puissance colossale. Il y a quelques jours, Facebook annonçait la création de sa propre monnaie. Privilège régalien arrogé à un acteur privé. Aujourd’hui, Facebook annonce la création de sa propre Cour de justice. Un tribunal international chargé de régler les litiges liés à la modération des contenus sur le réseau social. Jusqu’où peut aller Facebook ?
L’idée n’est pas sortie ce matin du chapeau de Mark Zuckerberg. Elle mûrit depuis six mois et sa mise en œuvre suit un protocole de concertations internationales de grande ampleur. Un travail collaboratif mondial qui a entendu 650 personnes venues de 88 pays. Vingt-deux tables-rondes ont été organisées pour recueillir conseils et perspectives en vue de la construction d’un projet hors-normes : une Cour de justice chargée de régler les litiges liés aux contenus diffusés sur le réseau social. « Nous voulons créer une entité indépendante, respectueuse des différentes cultures et des continents, qui soit capable de juger les conflits sur les contenus », a expliqué Nick Clegg, le responsable des affaires publiques de Facebook.
« Oversight Board » est le nom de code de cette entité. Mark Zuckerberg préfère parle de « Cour Suprême ». Car c’est de cela dont il s’agit. Le réseau social envisage de créer une juridiction internationale de toutes pièces, qui le déchargerait du fardeau du règlement des litiges liés aux contenus qui circulent sur Facebook. Et des litiges, il y en a. Des contenus destinés à changer le cours des élections dans les pays démocratiques à ceux appelant ou glorifiant la violence haineuse, des images de l’attentat de Christchurch à celles sur la vie privée de Nancy Pelosi.
Des différends dont le règlement varie d’un pays à l’autre en fonction des lois, des jurisprudences, des coutumes. Quand on gère une entité rassemblant 2.4 milliards d’âmes, les choses ne sont pas des plus simples.
Face à la question épineuse de la gestion des contenus qu’il diffuse, Facebook avait le choix entre deux formules : soit il abandonnait cette charge aux États, soit il entreprenait une démarche constitutionnelle inédite en cédant ce pouvoir politique à une entité « indépendante », mais créée par lui-même.
La première solution ne plaisait pas du tout au patron de Facebook. Pour lui, les États sont des adversaires si ce n’est des concurrents. Certains membres du Congrès américain, certains élus européens ne veulent-ils pas se lancer dans le chantier de démantèlement de Facebook ? Un monstre devenu trop gros et ingérable, disent les méchantes langues.
C’est donc la deuxième branche de l’alternative que choisit Mark Zuckerberg. Créer son propre tribunal international. Ne restait alors plus qu’à régler un certain nombre de petites questions accessoires : comment un tel organisme juridictionnel pouvait gouverner une communauté mondiale, à quoi il ressemblerait, quelle serait la portée de son contrôle et de sa compétence, quelles normes il refléterait, quelle serait sa composition, ce que cela signifierait pour lui d’être un organisme multiculturel, les valeurs qu’il refléterait et comment il serait indépendant, responsable et transparent.
Ce jeudi 27 juin, Facebook présente au monde le rapport de synthèse de ses consultations. Le document se garde de répondre précisément à toutes ces questions, mais il définit quand même les contours de cette juridiction dont les statuts seront précisés en août. Il faut aller vite car Facebook souhaite que la première affaire vienne à la barre de cette nouvelle cour de justice à la fin de cette année.
La Cour Suprême de Zuckerberg sera composée de quarante membres choisis, pour les premiers enrôlés, par Facebook. On ne connaît pas leur profil précis mais le réseau déclare s’interdire de recruter des collaborateurs et veut limiter le mandat des juges de cette Cour à trois ans. Les suivants seront nommés directement par les premiers sans intervention du réseau social. Indépendance et transparence sont les mots-clés claironnés au monde pour définir ce projet.
En revanche, pour ce qui est de la compétence de cette Cour, le discours est plus alambiqué. La Cour détiendra-t-elle des pouvoirs pour faire appliquer ses décisions ? Si c’est le cas, ce qui semble l’hypothèse la plus vraisemblable, ce modèle de tribunal que l’on n’a jamais vu d’histoire d’hommes se posera inévitablement en concurrence du droit international et de ses juridictions. La même crainte est suscitée par l’annonce il y une semaine de la création de la monnaie Facebook, la Libra, dont les experts craignent qu’elle ne chamboule tout l’ordre monétaire mondial.
Jusqu’où peut ou veut aller Facebook ? Sa taille impressionnante le rend plus puissant qu’un État ; il s’attache à en acquérir, un à un, tous les attributs régaliens. Mais à la différence de tous les autres États du globe, l’État Facebook agrège la communauté multiculturelle la plus diversifiée du monde. En matière de droit, cette nouvelle entité facebookienne sera-t-elle en mesure de prendre en compte toutes les diversités et les finesses des peuples de la planète ? Jusqu’ou ira-t-elle en matière de norme, de règles, de loi ou de jurisprudence ? Veut-elle faire naître un nouvel ordre juridique mondial ? Facebook rêve-t-il ainsi d’une loi universelle qui régirait tous les humains ? La firme de Mark Zuckerberg se lancerait-elle dans le projet fou de devenir une sorte d’ONU ? Nous n’en sommes pas encore là mais ce projet démesuré n’a pas fini de faire parler de lui et de susciter attraction et répulsion. Restons juste attentifs.
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