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Assurer le fret dans un monde en crise

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Au printemps 2020, lors du confinement, nous avons redécouvert certains métiers et maillons clefs de notre société : le soir, à 20 heures, nous avons applaudi le monde médical ; en journée l’aspect indispensable des travailleurs invisibles est devenu une évidence, et nous avons vu à quelle vitesse certains produits pouvaient venir à manquer faute d’approvisionnement. Deux ans plus tard, avec la guerre en Ukraine comme paysage, où en sommes-nous ? Où en est le fret ? Le think tank Shift Project publie un rapport sur la décarbonation du transport de marchandises (1).

L’importance d’une réindustrialisation de la France semble être acquise, et le prix du diesel au litre est passé de 1,2 € au printemps 2020 à plus de 2,1 € aujourd’hui. Les appels à la sortie progressive des énergies fossiles étaient une forme d’anticipation de risque, il y a encore peu de temps. Maintenant, le prix du carburant fossile est une menace bien réelle, et les transporteurs routiers demandent de l’aide.

Le fret : un secteur essentiel au bon fonctionnement de l’économie mondialisée

Le transport de marchandises est un maillon clef de notre société occidentale. Décarboner ce secteur permet de contribuer à l’effort national contre le changement climatique, et de rendre nos industries, commerces, et modes de vie plus résilients aux contraintes énergétiques à venir.

Le transport de marchandises est devenu une activité cruciale au bon fonctionnement de notre économie, en tant que support physique des chaînes de valeurs de tous les biens et services auxquels nous avons accès. En moyenne chaque année, ce sont 27 tonnes qui sont transportées sur environ 200 km pour chaque Français. Cette activité est responsable de 9 % des émissions de gaz à effet de serre du territoire. Elle est assurée à 89 % par la route et à 9 % par le ferroviaire.

Le fret n’est pas un secteur « optionnel ». Nous avons vu durant la pandémie à quel point le transport de masques et d’autres équipements médicaux était critique, et en quoi les livraisons aux magasins et aux particuliers étaient importantes pour que les services basiques de notre société (se nourrir, se soigner) puissent perdurer. D’un point de vue historique, l’échange de marchandises a contribué à façonner le monde et nos villes, comme par exemple l’essor de Venise, qui était un véritable « hub » des transports maritimes et agglomération d’entrepôts de marchandises, dans les rez de chaussée des palais le long du Grand Canal, par exemple. Comme c’était le cas à l’époque, le fret est toujours un maillon indispensable en amont, pour l’industrie par exemple – en effet, comment fabriquer ou assembler des choses dans les usines, sans y avoir transporté les matières premières ou pièces nécessaires ? En aval, après la fabrication ou l’assemblage, les produits finis doivent de nouveau être transportés vers leurs sites d’installation ou de commercialisation par exemple.

Autrement dit, les marchandises n’ayant pas de jambes, elles devront continuer à être transportées – Paris, par exemple, ne dispose que de trois jours de réserves alimentaires. Aucun territoire ne pouvant devenir autosuffisant, le besoin de transport de marchandises n’est pas prêt de disparaître.

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Au besoin impératif de décarbonation s’ajoute celui de réduire la dépendance du transport aux énergies fossiles. Environ 90 % du fret circulant sur le sol français est assuré par les énergies fossiles, essentiellement sous forme de diesel. Or la disponibilité des énergies sous forme liquides (et gazeuses) risque d’être amenée à subir des phases de contraction au cours des prochaines décennies, qui pourront être ressenties comme des chocs si nous ne nous y préparons pas, et se traduire par des hausses brutales des prix. Pour différentes raisons, nous avons commencé à voir ces derniers mois de telles hausses – les impacts sont limités en France en comparaison avec d’autres pays, mais néanmoins visibles et tangibles pour tous ceux qui font le plein de carburant fossile pour leur véhicule par exemple, ou ceux qui ont des fournisseurs d’énergie dont les prix au kWh sont libres. Pour éviter ces situations chaotiques lors desquelles certains services essentiels pourraient ne plus être assurés, le secteur du fret doit se réorganiser de manière à consommer le moins possible d’énergie liquide ou gazeuse, qui resteront des ressources rares (2) et convoitées par d’autres secteurs en 2050.

Alors comment transformer en profondeur le secteur du fret pour le rendre résilient aux chocs climatiques et énergétiques tout en assurant ses fonctions essentielles ?

Demande, parts modales, taux de remplissage… Les propositions du Plan de transformation de l’économie française (PTEF) jouent sur une combinaison de facteurs pour réduire les émissions et améliorer la résilience énergétique du fret. Dans le cadre du PTEF, la demande en transport de marchandises amorce une baisse de 25 % entre aujourd’hui et 2050. La méthodologie est à retrouver dans le rapport.

Le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) vise à proposer des voies pragmatiques pour décarboner l’économie, secteur par secteur, en favorisant la résilience et l’emploi. Initié au début du premier confinement, ce plan s’inscrit dans la perspective du fameux « monde d’après », et a vocation à alimenter le débat public : entre autres celui qui va précéder l’élection présidentielle de 2022.

Il s’agit de concevoir à grande échelle un programme systémique de mesures opérationnelles (fiscales, réglementaires, économiques, sociales, organisationnelles) destinées à rendre l’économie française effectivement compatible avec la limite des 2 °C désormais communément prise pour objectif.

Des propositions pour décarboner le secteur 

Pour le fret intra et interrégional, le PTEF propose d’organiser un report modal fort du routier vers le ferroviaire et le fluvial, modes plus efficaces énergétiquement. Le routier restant, encore majoritaire en 2050 (2/3 pour le routier, ¼ pour le ferroviaire, le reste en fluvial), est rendu plus efficace par des améliorations d’aérodynamisme et la baisse des vitesses sur les routes, et est électrifié par la création d’un réseau d’autoroutes électriques et par l’électrification des flottes de camions avec des batteries de taille limitée.

Pour le fret urbain, le PTEF propose l’organisation d’un réseau de centres de mutualisation urbains qui permettent d’optimiser les chargements par la mutualisation et d’optimiser les flottes de véhicules aux livraisons à réaliser, en particulier par la cyclologistique. Le parc de VUL sera rapidement électrifié et les chauffeurs formés à l’écoconduite.

Pour que tout ceci soit rendu possible dans les temps, il faut que les acteurs se mettent en mouvement de manière coordonnée et dirigée vers la décarbonation et l’efficacité énergétique. Le PTEF propose la création d’entités publiques ou indépendantes en charge de l’accompagnement, du contrôle, et de l’aide des acteurs dans leur contribution à ces efforts, via la mise en place de certifications « d’effort de décarbonation », sanctionnant l’observation de bonnes pratiques et l’atteinte d’objectifs énergie carbone, que chaque acteur doit obtenir et conserver pour opérer. L’ensemble des salariés du secteur sera formé aux enjeux énergie-climat.

Vers une gouvernance territoriale du fret

Concernant l’État et les collectivités, le PTEF propose l’instauration d’une gouvernance territoriale du transport de marchandises, au niveau national (ministère de la logistique), régional et intercommunal ou communal, afin de délibérer avec les parties prenantes sur l’aménagement du territoire, le foncier, la mise en place de services, la création de partenariats, etc., qui permettront la bonne transformation du fret.

Le rôle de cette gouvernance est la fluidification, la bonne coordination, le pilotage et le suivi de la transformation du fret (y compris son adaptation aux effets du changement climatique). Elle met en place les instances de concertation entre les acteurs concernés du territoire – public, privé, associatifs, citoyens – afin de délibérer sur l’aménagement du territoire, le foncier, la mise en place de services, la création de partenariats, etc., qui permettront la bonne transformation du fret. Afin d’alimenter les réflexions par des constats clairs et chiffrés sur les besoins en transport de marchandises, les flux existants, les pratiques et le matériel utilisé, un cadre de remontée des données des acteurs de terrain vers les différents échelons territoriaux sera mis en place.

La mise en place du PTEF dans le secteur du fret permettrait une baisse de plus de 5 %/an des émissions de GES dès le prochain quinquennat, et permettrait la continuation de l’effort vers une décarbonation complète du secteur d’ici 2050. Certaines de ces mesures permettent des résultats dès le prochain quinquennat quand d’autres doivent être enclenchées rapidement pour avoir des effets démultiplicateurs dans les quinquennats suivants. Les structures de gouvernance et d’accompagnement/contrôle des acteurs doivent se mettre en place dès le prochain quinquennat pour amorcer et maintenir l’effort.

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Ne parier que sur les propositions technologiques (aérodynamique, transformation des motorisations) augmente les risques de rupture d’opération du fret dans les décennies à venir, par rapport à une mise en place complète du PTEF.

Les mesures à effet rapide sont la formation à l’écoconduite pour les chauffeurs de VUL et la mise en place des incitations à l’électrification des flottes de VUL, la construction des infrastructures d’intermodalité rail-route et les incitations fortes au report modal, ainsi que la bonne transformation des autres secteurs du PTEF.

Les mesures à enclencher rapidement pour permettre la continuation de l’effort sont la mise à niveau du réseau ferroviaire et la construction du réseau d’autoroutes électriques, travaux à déclencher dès le prochain quinquennat ; les incitations à produire des camions électriques et à améliorer la densité énergétique des batteries.

Ne parier que sur les propositions technologiques (aérodynamique, transformation des motorisations) augmente les risques de rupture d’opération du fret dans les décennies à venir, par rapport à une mise en place complète du PTEF. L’absence de sobriété dans les autres secteurs du PTEF, couplée à l’absence de transformation des pratiques dans le secteur du fret fait peser une charge forte sur la production d’énergie (décarbonée) en 2050, induisant des risques accrus d’incapacité à produire/importer cette énergie, et donc des risques accrus de rupture d’opération du fret. Ne mettre en place que les mesures technologiques du PTEF induit une multiplication par 2 à 3 des besoins en électricité du fret (2 si c’est une électrification entièrement par batterie, 3 si le fret longue distance est électrifié par hydrogène). Or la production électrique française (et certainement européenne) sera limitée face à l’augmentation potentielle de demande en absence de sobriété et de changements de pratiques.

(1) Ce rapport est le fruit d’un travail orchestré par l’équipe projet du secteur Fret du PTEF, composée de Reuben Fisher, chef du projet, Nicolas Raillard, coordinateur du projet, Nolwenn Brossier et Paul Boosz, chargés de projet. L’ensemble de ce travail a été accompagné par Laurent Morel et Jean-Marc Jancovici, administrateurs du Shift Project. Les aspects développés sur les emplois, les compétences et la formation ont été construits et développés en collaboration avec Vinciane Martin et Yannick Saleman, respectivement chargée et chef de projet du chantier transversal sur l’emploi dans le PTEF.

(2) Les gisements de biomasse qu’on pourra mobiliser pour produire de l’énergie (biocarburants) seront faibles en Europe, et la disponibilité en production électrique restera limitée, ce qui rend inefficace la production de carburants de synthèse par rapport à sa consommation directe (par le réseau) ou par batterie.

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