Tout le monde en parle. Les 1.5milliards d’utilisateurs du réseau social Facebook vont pouvoir exprimer leurs émotions à travers une palette d’icônes émotionnelles, les « emojis », qui viennent compléter le vieux like et son pouce levé. Avec ce qui semble un gadget, Facebook se dote d’une arme redoutable pour non seulement connaître mais aussi influencer massivement nos émotions.
Depuis le 24 février dernier, il est possible de donner son sentiment sur chaque publication du réseau social en activant, en plus du classique like, l’une des six icones : j’adore, je déteste, ça m’épate, ça m’énerve, ça me fait rire, ça me fait pleurer. Fini donc le seul pouce levé qui semblait parfois très inconvenant : comment dire like sur une publication dramatique ? Les like enregistrés par millions sur la photo du petit Aylan échoué sur une plage turque signifiaient quoi ?
A priori, la démarche de Facebook semble donc aller dans le sens d’une amélioration des possibilités offertes à ses usagers. Mais en réalité à qui profite cette innovation ?
Nous nous en doutons tous depuis longtemps, Facebook veut tout savoir de nous : l’âge, le genre, les traits de personnalité dominants, le niveau d’intelligence, le taux de satisfaction, les préférences sexuelles, les opinions politiques, la religion, les centres d’intérêts professionnels ou personnels et le statut amoureux. Le réseau gratuit n’est pas gratuit pour tout le monde et la masse d’informations recueillies sur ses utilisateurs valent de l’or. Et plus Facebook vous connaîtra, jusqu’au moindre détail, plus il sera fort, plus il sera riche. Les nouvelles icones émotionnelles n’ont pas d’autres objectifs que d’améliorer la connaissance qu’a Facebook de ses utilisateurs. Désormais, chaque publication sera évaluée par rapport à la gamme d’émotions qu’elle provoque.
Avant de lancer ce changement, le réseau social avait mené, en juin 2014, une expérience auprès de 680 000 utilisateurs anglophones. Le rapport d’étude concluait aux possibilités d’influence des utilisateurs grâce à « la contagion émotionnelle de masse ». Le Wall Street Journal avait révélé cette information qui avait provoqué, c’est le cas de le dire, une intense émotion, au point que Facebook soit amené à s’excuser publiquement.
L’étude indique que les expérimentateurs sont parvenus à influencer les utilisateurs du réseau social par des actions très ciblées. Ainsi, par exemple, ils sont parvenus à modifier les flux d’information et de news en agrégeant les messages selon les émoticons associés : « Lorsque des expressions positives ont été réduites, les gens produisent moins de messages positifs et plus de messages négatifs ; lorsque les expressions négatives ont été réduites, c’est le modèle inverse qui s’opère ».
Les auteurs de l’expérience affirment pouvoir mener des actions de « contagion à échelle massive via les réseaux sociaux ».
Ils précisent : « Ces résultats indiquent que les émotions exprimées par d’autres sur Facebook influencent nos propres émotions, constituant la preuve expérimentale d’une contagion à échelle massive via les réseaux sociaux. Ce travail suggère également que, contrairement aux hypothèses actuelles, les interactions en personne ou des indices non-verbaux ne sont pas strictement nécessaires à la contagion émotionnelle, et que l’observation des expériences positives des autres constitue une expérience positive pour les gens ».
Facebook a donc trouvé l’arme absolue pour influencer et persuader en masse ses utilisateurs. L’enjeu fait l’objet d’intenses recherches scientifiques et un département de l’Université de Stanford, le Stanford Persuasive Lab, lui est consacré. Cette discipline possède même un nom, qui dit bien ce qu’il veut dire : la captology.
Les petites icones que Facebook est en train de propager ont une apparence bien inoffensive, voire sympathique. En réalité, elles apportent un pouvoir inédit à une firme privée : celui non seulement de connaître avec précision mais aussi de canaliser scientifiquement nos émotions.
Facebook nous a habitué à ses écarts par rapport à la protection de la vie privée. Malgré le nombre impressionnant de procédures juridiques qui la poursuivent la société de Mark Zuckerberg reste sur sa stratégie principale : acquérir toujours plus d’informations sensibles sur ses utilisateurs afin de les analyser, les stocker, les utiliser à des fins commerciales ou pour améliorer ses recherches en Intelligence artificielle. De surcroît, les révélations d’Edward Snowden ont souligné la porosité des informations détenues par Facebook avec des agences gouvernementales américaines comme la CIA, la NSA ou le FBI.
Pascal Hérard affirme sur TV5 Monde qu’ « En élargissant son profilage aux émotions, Facebook devient un immense terrain de renseignement qu’aucune option de confidentialité n’est en mesure de protéger ».
Alors, maintenant quand vous cliquerez sur une icône émotionnelle de Facebook, pensez bien aux conséquences… Big Facebook vous observe.
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