En thermodynamique, la mesure de la dissipation de l’énergie sous forme de chaleur, autrement dit la mesure de la désorganisation des systèmes, du désordre irrémédiablement croissant du monde, s’appelle l’entropie. François Roddier, astrophysicien, s’en expliquait dans un entretien au journal Le Monde en octobre 2013 (1). Et dans l’une de ses contributions aux revues Politiques de l’Anthropocène et Nouveaux Débats, un de ses articles paru en 2021 De la nécessité d’une décroissance, prônait une société décroissante pour chercher à éviter le délitement des liens, à maintenir les conditions d’habitabilité de la Terre dans une décence commune. François Roddier est décédé mais il nous laissera des perspectives incroyables, et une réinterprétation de l’évolution de l’univers, de la vie et des sociétés humaines à partir de la thermodynamique.
François Roddier nous a quitté ce 19 août 2023. Physicien et astronome français, il s’est d’abord consacré aux effets optiques de la turbulence atmosphérique et a développé, avec son épouse Claude Roddier, des méthodes interférométriques d’observation à haute résolution angulaire qui ont permis de compenser l’effet des turbulences atmosphériques lors de l’observation des astres. Actif au National Optical Astronomy Observatory en Arizona puis à l’Institute for Astrophysics de l’Université d’Hawaï, il reçoit en 2002, le Prix Maria-et-Eric- Muhlmann pour les observations significatives rendues possibles par ses innovations dans l’instrumentation astronomique.
De retour en France à sa retraite, son intolérance au gluten accentuée par sa redécouverte du pain le pousse à poser son regard de scientifique éclairé sur les systèmes biologiques dans toute leur complexité et il publie un premier ouvrage, Le pain, le levain et les gènes.
Avec ses profondes ‘connai-sciences’, il approfondit cette première approche en proposant un ouvrage réellement majeur, La thermodynamique de l’évolution – Un essai de thermo-bio-sociologie.
Cet ouvrage « essence-tiel », objectif et factuel, est parmi les plus éclairés et les plus éclairants sur l’explication des « raisons d’être » des états organisés de la matière, des cyclones, jusqu’aux multinationales, en passant par tous les écosystèmes. Ceci sur base des observations scientifiques les mieux établies, telle la description thermodynamique des structures dissipatives d’Ilya Prigogine qui lui valut le prix Nobel de chimie en 1977.
Cette exploration thermo-bio-socio-dynamique sera complétée par celle du lien plus spécifique avec la dimension économique des activités humaines au travers de l’ouvrage : De la thermodynamique à l’économie. Le tourbillon de la vie. Comme le souligne François Roddier, « Comme tout organisme vivant, une société humaine ne peut subsister que grâce à un apport constant dʼénergie quʼelle dissipe. Lʼéconomie est lʼétude de son métabolisme. Comme lui, elle suit les lois de la thermodynamique. (…) Un organisme vivant effectue des cycles de réactions chimiques grâce à des catalyseurs qui créent des “températures apparentes” différentes. (…) Thermodynamiquement, un effondrement économique a les propriétés dʼune transition de phase abrupte.»
Ces ouvrages furent enrichis de nombreuses conférences, d’un blog et aussi d’échanges plus personnels sur ces sujets. Comme évoqué dans une présentation de son ouvrage, « ils ne sont pas nombreux les livres qui nous donnent la vie. Celui-ci en est un. Il nous donne la vie parce qu’il va nous permettre d’éclairer l’avenir de l’humanité, si celle-ci veut survivre. »
Il n’est que souhaitable donc que chacun(e) prenne le temps, avant de disparaître, de découvrir au travers cette vision ‘pour-quoi’ et ‘comment’ ils ou elles auront existé.
Jacques de Gerlache, Eco-toxicologue, professeur à l’institut Paul-Lambin à Bruxelles. Conseiller scientifique auprès du Conseil fédéral belge du développement durable. Manager du site greenfacts.org
(1) Article du Monde du 30/10/2013
Pour aller plus loin / Publications de François Roddier :
- Sous la direction de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Aux origines de la catastrophe: Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? (Les liens qui libèrent, 2020)
- Sous la directions d’Agnès Sinaï et Mathilde Szuba, Politiques de l’Anthropocène: Penser la décroissance. Économie de l’après-croissance. Gouverner la décroissance (Les Presses de Sciences-Po, 2021)
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Article co-écrit avec Mireille Roddier qui répondait à la question de Didier Pillet, « Alors que l’accès à l’énergie se restreint, l’économie mondiale est-elle à la veille d’un changement systémique ? » : « Energy flows and the self-organization of societies as dissipative structures » (Annales des Mines, 2023)