On les compte par dizaines, apparaissant chaque jour dans les bureaux, les usines, les ateliers, les commerces. Les technologies et applications de surveillance se multiplient depuis que le Covid s’est installé dans notre quotidien. Contrôles de température, détecteurs de respect de la distanciation physique, « passeports » de santé numériques, hypersurveillance du télétravail, enquêtes sur le bien-être et systèmes robotisés de nettoyage ont fait florès sur les lieux de travail depuis le début de la pandémie. Mais ces gadgets technologiques pourraient présenter des risques pour la vie privée et le secret médical à long terme.
Suivi, surveillance, collecte et partage des données personnelles, y compris des données sensibles sur la santé… la high tech s’en donne à cœur joie, voyant dans la pandémie de Covid l’occasion de marchés juteux avec les entreprises. Car les employeurs ne souhaitent qu’une chose : que leurs employés reprennent leurs activités les plus vite possible, et de préférence sans risque. Mais l’invasion de la vie privée à laquelle les travailleurs sont confrontés est alarmante, surtout si l’on considère que l’efficacité de ces technologies pour atténuer la propagation du Covid-19 n’a pas encore été établie.
Vitesse de propagation préoccupante
La vitesse à laquelle ces nouvelles technologies sont déployées est préoccupante. Cinquante nouvelles applications et technologies ont été lancées depuis le début de la pandémie, sans compter les technologies existantes et inchangées qui sont maintenant commercialisées comme outils de surveillance sur le lieu de travail pour lutter contre le Covid-19. Les géants de la technologie et les startups proposent une kyrielle de solutions qui incluent la détection visuelle de signes vitaux par ordinateur, celle d’appareils portables qui peuvent donner des indications précoces de l’apparition du Covid-19 sans compter les multiples applications qui surveillent les paramètres de santé.
Salesforce et IBM se sont ainsi associés pour lancer « un laissez-passer de santé numérique » permettant aux détenteurs de partager leurs vaccinations et état de santé via leur smartphone. Un autre système, inventé par Clear, une startup connue pour le contrôle dans les aéroports, a créé son propre laissez-passer santé. Fitbit, le spécialiste des objets connectés et propriété de Google, dispose d’un programme baptisé « Prêt à travailler » comprenant des enregistrements quotidiens des signes vitaux à l’aide des données de ses appareils. Microsoft et le géant de l’assurance santé américaine United HealthCare ont déployé une application ProtectWell qui comprend un dépistage quotidien des symptômes, tandis qu’Amazon a déployé un « assistant à distance » dans ses propres entrepôts pour aider les employés à maintenir des distances de sécurité.
Avec ces systèmes, les employés sont surveillés dès qu’ils pénètrent dans le hall d’un immeuble, dans un ascenseur, les couloirs et dans tout le lieu de travail. La surveillance « brouille la frontière entre le lieu de travail et la vie personnelle », souligne Darrell West, vice-président à la Brookings Institution. « Cela érode les protections du secret médical pour de nombreux travailleurs ».
Le paramètre par défaut de la plupart des applications de surveillance sur le lieu de travail est « surveillance de masse par défaut« . Par exemple, l’application ProtectWell de Microsoft et UnitedHealth Group utilisée aux États-Unis, permet aux employeurs d’orienter leurs employés vers un processus de test Covid-19 simplifié, et de communiquer les résultats du test directement aux employeurs, sans passer par le travailleur. Certains vêtements de travail permettent de suivre les déplacements des employés afin d’identifier et d’encourager les comportements. Par exemple, si un employé n’a pas passé assez de temps près d’un évier, l’application l’identifiera comme n’ayant probablement pas passé assez de temps à se laver les mains.
Les employeurs sont confrontés à un équilibre délicat entre assurer la sécurité au travail sans empiéter sur la vie privée, observe Forrest Briscoe, professeur à Penn State University. S’il existe, selon lui, des raisons légitimes pour exiger une preuve de vaccination, elles sont parfois en conflit avec les réglementations concernant le secret médical qui limitent l’accès d’une entreprise aux données de santé des employés. Certes, « l’utilisation de fournisseurs tiers permet de conserver les données séparément », a ajouté l’expert, « mais pour certaines de ces entreprises technologiques, leur modèle commercial implique la collecte de données et leur utilisation à des fins monétisables, ce qui présente un risque pour la vie privée ».
Un rapport publié l’an dernier par le groupe de défense des consommateurs Public Citizen a identifié au moins une cinquantaine d’applications et de technologies lancées pendant la pandémie et « commercialisées comme des outils de surveillance du lieu de travail pour lutter contre Covid-19 ». Les rapporteurs ont analysé les conditions d’utilisation de ces applications. La politique de confidentialité de ProtectWell explique de façon éloquente ce qu’il advient des données recueillies : « Nous pouvons obtenir des informations supplémentaires vous concernant auprès de tiers tels que des spécialistes du marketing, des partenaires, des chercheurs et autres. Nous pouvons combiner les informations que nous recueillons auprès de vous avec les informations vous concernant que nous obtenons de ces tiers et les informations dérivées de tout autre abonnement, produit ou service que nous fournissons. […] « Vos informations personnelles peuvent être transférées, traitées et stockées en dehors du pays où elles ont été collectées en utilisant ou en assistant à un Service… »
Le dernier grand rendez-vous de l’électronique grand public qui se tient chaque année à Las Vegas, le Consumer Electronics Show 2021, regorgeait d’innovations par des start-up du monde entier cherchant à limiter la transmission de virus. FaceHeart, basée à Taïwan, a par exemple présenté un logiciel qui peut être installé dans des caméras pour mesurer des signes vitaux et dépister un essoufflement, une fièvre, une déshydratation, une fréquence cardiaque élevée.
Surveillance au télétravail
Doctor, Sneek, VeriClock, ActivTrak ou encore Hubstaff. Ces noms ne sont pas encore connus du grand public, et pourtant, ils sont en train de se répandre dans les entreprises, en particulier dans celles qui ont recours au télétravail. Il s’agit de logiciels qui surveillent, à votre insu, vos activités quand vous travaillez depuis votre domicile. Deux chercheurs se sont penchés sur ce phénomène. Dans un article, ils assurent qu’aux États-Unis, en plein cœur de la crise sanitaire, les intentions d’achats de ces logiciels de surveillance à distance des employés ont été multipliées par cinquante !
Certains logiciels permettent de géolocaliser le salarié pour vérifier qu’il est bien à son poste de travail. Il y a aussi ceux que l’on appelle les « keyloggers » : des outils qui tracent tout ce qu’il tape sur son clavier. Les deux chercheurs, parlent aussi des outils qui permettent de mesurer le temps passé sur les sites dits « productifs » et les autres sites. Il y a aussi les logiciels qui mesurent les temps de connexion sur les serveurs de l’entreprise, le nombre de courriels envoyés et l’identité des destinataires.
Plus fort, certains permettent aussi de faire une capture d’écran de l’ordinateur du salarié toutes les cinq ou dix minutes. Le site américain Quora a même repéré un logiciel qui a particulièrement le vent en poupe : Sneek, qui prend une photo des salariés toutes les cinq minutes. Les photos apparaissent ensuite sur un « mur de visages ». Officiellement, il s’agit de rester plus facilement en contact avec tout le monde, puisqu’il suffit de cliquer sur un visage pour démarrer une conversation vidéo. Le magazine Business Insider affirme que les ventes de Sneek ont été multipliées par dix depuis le début de l’épidémie.
Avec AFP