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La ville de demain : rénover au lieu de construire

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Matière, construction, électricité, chauffage, dans le bâtiment le carbone est partout, du dessin à l’usage. Aussi, le meilleur moyen de baisser les émissions de ce secteur, un des plus carboné, c’est d’abord de ne pas démolir pour reconstruire, de conserver pour stocker, d’adapter formes et matières afin de transmettre des bâtiments plus vertueux dans leur fonctionnement et leur urbanité. Le principe de refaire la ville sur elle-même n’est pas nouveau mais le carbone nous fait radicalement changer d’ère. Il oblige et questionne tous les patrimoines et tous les temps du projet. C’est ce que donne à voir et à comprendre l’actuelle exposition du Pavillon de l’Arsenal à Paris, jusqu’au 5 mars 2023, qui nous propose une nouvelle manière de construire pour réduire le bilan carbone.

Comment acclimater et ouvrir un îlot haussmannien en gardant son identité ? Réparer une tour de bureau moderne ou des immeubles de logement pour les rendre moins énergivores ? Que faire d’un ancien central téléphonique, de laboratoires universitaires obsolètes ou d’un transformateur électrique ? Peut-on habiter un parking ? Jardiner dans une maternité ? Convertir un bâtiment monofonctionnel en programme mixte ? … Comment consommer moins et offrir plus ?
Au travers de l’analyse d’une quarantaine de projets de rénovation, réhabilitation, reconversion dont les permis ont été déposés à Paris entre 2020 et 2022, et des lauréats de concours récents, l’exposition et l’ouvrage Conserver Adapter Transmettre souhaitent rendre compte de ces nouveaux modes de fabrication qui conjuguent enjeux climatiques, volontés patrimoniales et programmations adaptées aux attentes contemporaines. 

Les réponses multiples, dévoilées au travers de maquettes et de dessins produits spécialement par les architectes, dressent un panorama des fondamentaux de l’architecture parisienne de demain. En quête de durabilité et de performance énergétique, elles développent des dispositifs simples et passifs plutôt que des systèmes électriques ou numériques.

Cela se traduit par des géométries renouvelées réinterprétant souvent des formes connues : des façades plissées pour se protéger, épaisses pour réguler, des cheminées pour ventiler, des jardins pour tempérer, de grandes hauteurs sous plafond pour rafraîchir, des espaces traversants pour aérer, des casquettes pour abriter, des stores pour ombrager, des réservoirs pour stocker, des patios pour éclairer… tout un vocabulaire bioclimatique oublié par la modernité ici reconstruit dans une pluralité de matériaux privilégiant les filières sèches pour réduire les nuisances, les matériaux bio et géo-sourcés (pierre, chanvre, terre, paille…) pour diminuer l’impact et le recours au réemploi d’éléments directement déconstruits sur site ou déposés à côté pour moins prélever de ressources tout en participant à la renaturation de la ville, en désimperméabilisant ce qui était bitumé et végétalisant ce qui était minéral.

À Paris, 70% des autorisations d’urbanisme déposées concernent des opérations de transformation et cette part ne cesse d’augmenter. Ces transformations ouvrent un champ d’explorations extrêmement stimulant pour les disciplines urbaines et architecturales en conjuguant les principes de résection, de réparation et de rationalisation constructive.

Sous le prisme de l‘économie de moyens, du respect de l’œuvre des générations précédentes et de l’inscription dans la durée des édifices qui contribuent et fondent la ville, s’inventent des objets hybrides, raisonnés dans leur mise en œuvre et frugaux à l’usage. La promesse de constructions capables de faire face au réchauffement climatique et à la raréfaction des ressources qui conjugue simultanément trois engagements : conserver, adapter, transmettre.

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Tout bâtiment est mortel

Le point de vue de Patrick Bloche, Adjoint à la maire de Paris, en charge de l’éducation, de la petite enfance, des familles et des nouveaux apprentissages et du Conseil de Paris – Président du Pavillon de l’Arsenal

Tout bâtiment est mortel. Le temps qui passe affecte l’enveloppe, mais plus encore l’usage. Rien d’extraordinaire pour un immeuble d’avoir 100 ans, mais quel bâtiment peut prétendre n’avoir pas changé d’usage en un siècle, voire plus ? N’est pas l’Académie française ou l’Assemblée nationale qui veut… Dans la ville, une fois passée l’épopée de l’extension sur des terres vierges, vient le temps du périmètre fini, dans lequel, autour de quelques îlots de permanence, il ne s’agit plus que de reconstruire.

Dès lors, que faire face à ce qui est devenu obsolète ? Démolir fut longtemps une évidence, jusqu’au jour où elle fut contestée, laissant la place à l’hypothèse de la conservation. À ce sujet, quelque chose s’est noué au cours de la Révolution de 1789 : c’est parce que l’on a beaucoup démoli que l’on s’est mis à vouloir beaucoup conserver.

Ce qui est en jeu dans ce débat, ce n’est ni plus ni moins l’idée que l’on se fait de la modernité. Si celle-ci est pensée comme un nécessaire arrachement au passé, alors il faut d’abord créer un espace vide pour que quelque chose d’autre advienne. Cette conception permet à Haussmann de remodeler Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec une brutalité que l’on aurait tort d’oublier, tout comme elle permet en 1925 à Le Corbusier, alors icône de l’architecture moderne, de rêver d’ériger des tours de quarante étages au cœur de la capitale préalablement débarrassée de ses vieilles pierres, sans intérêt à ses yeux à l’époque, et si précieuses pour nous aujourd’hui.

Or, depuis quelques décennies, cette conception de la modernité s’épuise. L’illusion que seule la nouveauté est séduisante ne fait plus recette. Qu’il s’agisse d’une prise de conscience de la valeur patrimoniale de ce qui a déjà été bâti, ou de la nécessaire sobriété imposée par le nouveau régime climatique, l’air du temps a changé : d’abord réemployer, transformer, avant de démolir.

L’exposition et l’ouvrage Conserver, adapter, transmettre créée par le Pavillon de l’Arsenal permettent de découvrir comment se déploie le projet architectural dans ce contexte inédit. Aucun geste démiurgique ici, mais au contraire une architecture de l’attention. Cette attention est celle due aux futurs usagers des bâtiments, mais aussi, et c’est plus nouveau, aux emprunts – minimisés – faits à la nature pour permettre à ces immeubles de perdurer. Cependant, nul renoncement dans ces interventions en apparence plus humbles, qui, on le voit bien, sont à l’origine de transformations ambitieuses. Et, surtout, ils montrent comment maintenir l’habitabilité de ces bâtiments tout en contribuant à maintenir celle de la Terre.

Cette manifestation pose en creux des questions stimulantes sur les formes que doit prendre désormais la modernité et sur la tension permanente entre tradition et innovation. L’époque est encline à la préservation, que l’on peut penser comme une forme de sédimentation. Au risque de la sclérose ? Le débat reste ouvert, et il est passionnant.

Paris ne peut pas être une ville figée

Le point de vue d’Emmanuel Grégoire, Premier adjoint à la maire de Paris, en charge de l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris, des relations avec les arrondissements et de la transformation des politiques publiques

Le Paris que nous connaîtrons en 2050 est déjà là, et nous en vivons le préambule. Nous avons récemment eu un aperçu de son climat. Trois canicules ont rythmé l’été 2022 et ont fait basculer les villes dans la réalité du changement climatique. Nous devons nous préparer à la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes : nuits tropicales, inondations, avec un risque croissant de crues décennales, tempêtes, sécheresses, etc.
Et nous en connaissons d’ores et déjà les conséquences sociales. La crise du logement est une réalité qui ne cesse de nous concerner : 250 000 demandeurs de logements sociaux à Paris l’année passée, des familles, étudiants et travailleurs à qui il faut permettre de continuer à résider au cœur de la ville, et une augmentation, aux portes de Paris, de l’habitat insalubre. La crise sanitaire a, de plus, souligné la nécessité de repenser l’habitat, pour satisfaire au besoin d’espaces extérieurs, de lieux partagés, de plus de mixité, afin de rendre la vie en zone dense plus agréable.

Cosmopolite, d’avant-garde, Paris ne cesse d’être impactée et d’accompagner les mutations urbaines et sociales. Les nouvelles mobilités, l’accueil des plus démunis, les entrepôts de logistique liés aux plateformes numériques, le désir de nature des Parisiens sont autant d’enjeux qui touchent directement la fabrique urbaine. La ville de demain impose un devoir d’exigence sans précédent.
Face à ces impératifs, Paris ne peut pas être une ville figée. Il en va de notre responsabilité collective de contribuer à son adaptation afin d’améliorer la qualité de vie des Parisiennes et des Parisiens, ainsi que de tous ceux qui la parcourent au quotidien.

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Pourtant, le Paris de demain est en grande partie déjà là. Au sein de ce tissu urbain fortement constitué, la plupart des projets d’architecture et d’urbanisme concernent la transformation de bâtiments existants : 70 % des autorisations d’urbanisme en 2019, et ce chiffre est en constante progression. Ainsi, la ville ne cesse de se renouveler sur elle-même, de réinventer son cadre bâti et même son paysage.

Paris est également l’une des villes les plus compactes au monde, du fait notamment de son territoire réduit et de son héritage haussmannien. Enjeu majeur de cohabitation et de qualité de vie, cette particularité reste une incroyable richesse. Il ne faut pas oublier que densité et compacité sont synonymes de sobriété carbone : levier majeur pour lutter contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols, comme le rappelle le dernier rapport du GIEC du 4 avril 2022.

La question n’est donc pas d’arrêter de construire, mais bien de trouver des méthodes pour construire autrement : réemployer le bâti autant que possible, privilégier des matériaux de qualité, géosourcés et biosourcés, produire une architecture soignée, contextuelle et environnementale, concevoir plus flexible avec des bâtiments réversibles, contribuer aux nouvelles techniques de construction. Partir de l’existant est la clé d’un Paris résilient et efficace. Qu’il soit du Moyen Âge, de la Renaissance, haussmannien, faubourien, industriel ou moderne, le bâti parisien constitue l’identité visuelle et le paysage de la capitale. Il est nécessaire, pour conserver la mémoire d’un lieu, de lui redonner une nouvelle vie, de se le réapproprier, d’assurer la transmission d’un héritage et d’agir en sobriété. Plutôt que de démolir pour reconstruire, faire vivre ce patrimoine implique donc de le transformer en conjuguant utilité sociale et soutenabilité environnementale.

Le cadre de travail de l’architecture parisienne n’est malheureusement plus à la hauteur de ces enjeux. Les règles d’urbanisme actuelles sont obsolètes et ne permettent pas encore d’inscrire Paris dans la trajectoire de l’adaptation et de la résilience. C’est en ce sens que la Ville de Paris porte depuis deux ans de grandes études dans la perspective de la révision du Plan local d’urbanisme bioclimatique. Dans l’attente de ce nouveau plan, qui devrait être effectif dès 2024, la Ville mène au quotidien un travail partenarial fin et exigeant avec les professionnels de l’architecture et les habitants pour faire émerger sans attendre des bâtiments vertueux et porteurs d’externalités positives.

L’exposition et l’ouvrage Conserver, adapter, transmettre présentent une quarantaine de projets de transformation du patrimoine parisien développés au cours de ces deux dernières années, qui préfigurent le futur Plan local d’urbanisme bioclimatique. Cette palette de projets porte sur des bâtiments datant du XVIIe au XXe siècle. Ils reflètent la diversité de nos situations urbaines accompagnées de leurs contraintes, et démontrent la souplesse et la capacité d’adaptation du patrimoine parisien, dès lors que l’on s’emploie à tenir compte des particularismes de chaque parcelle.
Ces projets font la démonstration qu’il est possible d’allier défense du patrimoine, qualité de vie et performance environnementale. Ils illustrent des façons de reprogrammer la ville dans une démarche de sobriété et de qualité architecturale, via un travail de couture urbaine. Les réponses demeurent variées, avec des projets singuliers et iconiques, qui participent néanmoins à la cohérence globale du territoire.
Les exemples présentés mettent en valeur une méthode : la co-conception de la ville. Dès la phase amont, chacun de ces projets a été le fruit d’un dialogue rigoureux entre concepteurs, Ville de Paris et riverains.

Projet de rénovation de la maternité Pinard, dans le XIVe arrondissement de Paris. (Maxime Verret/ChartierDalix)

Conserver, adapter, transmettre

Le point de vue d’Alexandre Labasse, Architecte – Directeur général du Pavillon de l’Arsenal

 Si l’intérêt de la préservation-transformation des bâtiments est théorisé depuis le XVe siècle par le théoricien constructeur de la Renaissance, Leon Battista Alberti, dans son traité De re ædificatoria (1), le projet moderne s’est principalement construit sur la nécessité de démolir pour bâtir, de débarrasser pour aménager. La symbolique démolition au XVIe siècle de Saint-Pierre de Rome à la demande des papes Léon X et Jules II en témoigne. Et, comme le souligne l’historienne Françoise Choay dans son manifeste Pour une anthropologie de l’espace, Paris et l’Île-de-France, s’inventent aussi sur les gravats de ces monuments et de ces quartiers. « Ainsi qu’il le note lui-même dans sa relation concernant l’édification de la nouvelle église, c’est en toute conscience que le pieux Suger fit démolir la basilique carolingienne de Saint-Denis et que, quatre siècles plus tard, François Ier n’hésita pas, pour édifier le Louvre, à raser le fabuleux château de ses aïeux (2). » Il s’ensuit la mise à terre de pans entiers du tissu urbain parisien par le préfet Haussmann pour faire de la ville la capitale du XIXe siècle. Puis, au début des années 1920, le plan Voisin de Le Corbusier, proposant de faire place nette de la rive droite de la Seine afin d’y installer une nouvelle urbanité, formalise pour la première fois la doctrine de réparations par la destruction, qui inspirera les politiques de reconstruction des centres-villes anciens dans l’après-guerre.

Ce n’est qu’à partir des années 1960 que la nécessité de sauvegarder le patrimoine s’écrit dans la loi Malraux (3), qui incite à la rénovation se fondant sur le dépassement des principes d’une logique de préservation sélective. La législation pose alors clairement la question de passer de la conservation passive et muséale à une conservation dynamique, « objectif atteignable seulement par la grâce d’une démarche qu’on appellera, à volonté, ‹ mémoriale ›, heuristique ou pédagogique car elle participe de ces trois registres, et qui impliquera, au même titre et à la fois, habitants et hommes de l’art, concepteurs et usagers (4) ». En 1982, lors de la XIIe Biennale de Paris, Jean Nouvel cherche ce dialogue renouvelé entre histoire et modernité, rappelant qu’« être moderne, c’est avoir le sens de l’histoire (5) ».

Quelques années plus tard, le Pavillon de l’Arsenal consacre successivement deux expositions aux réhabilitations et reconversions parisiennes, sous la direction de l’architecte et enseignant Philippe Simon : « Additions d’architecture, 1+1=1 (6) » en 1996 et « Architectures transformées (7)» un an plus tard. La première rend compte de l’un des processus les plus ordinaires de la fabrication de la ville ; la seconde, au travers d’une centaine d’études de cas parisiens, démontre la possibilité d’adapter des édifices créés il y a des années, voire des siècles, parfois pour d’autres usages : un cinéma transformé en supermarché, une gare devenue restaurant ou un hôtel particulier métamorphosé en musée ou en immeuble de logements. « Elle démontre surtout que la reconversion et la réhabilitation sont les outils incontournables dans la gestion de la ville (Paris), un choix et souvent une nécessité (8). »

Vingt-cinq ans plus tard, la prophétie se confirme : plus de 70 % des autorisations d’urbanisme déposées à Paris concernent des opérations de transformation (9), mais pas seulement pour mettre au présent les legs du passé. Aux priorités mémorielles et patrimoniales s’ajoutent désormais les défis environnementaux. La prise en compte des émissions de carbone fait changer d’ère la construction. Implicitement, l’économie de chaque kilo de CO2 doit guider les actes et les chantiers, en particulier pour le secteur du BTP qui représente 40 % de ces émissions. Explicitement, il est impératif de changer de façon d’aborder l’existant, de partir du diagnostic pour envisager l’avenir, du volume pour définir un programme, du stock pour qualifier les travaux, de l’énergie pour projeter le volume. Cela entraîne une remise en cause tant des process de fabrication, des indicateurs de valeurs que des critères de choix. Cette rupture, sans précédent, est aussi une invitation aux concepteurs à mettre en œuvre les augures d’Alberti, premier opposant à la tabula rasa, qu’il attribuait à des confrères ne sachant pas bâtir « si tout ce qui occupait le site n’a pas été éliminé (10) ».

Conserver Adapter Transmettre rassemble quarante-quatre façons de « faire avec » aujourd’hui. La sélection de projets, réalisée à partir de l’analyse des services de la Direction de l’urbanisme de la Ville de Paris de plus de deux cents demandes de transformation déposées depuis 2020, complétée de quelques résultats des consultations récentes, représente un échantillonnage représentatif d’un moment de production. Et l’hypothèse est que ces rénovations, réhabilitations et mutations dressent le portrait des architectures parisiennes de demain, tant dans leurs caractéristiques techniques que dans leur démarche de conception. L’ensemble des projets présentés s’inscrivent en effet dans une volonté de dialogue et de co-construction avec les autorités, les habitants et les usagers – que cela prenne la forme de concours, de consultations ou d’ateliers participatifs. En résultent, d’une part, des morphologies raisonnées et, de l’autre, des programmations adaptées aux attentes de leur époque et à leur contexte.
Ainsi, notamment, un centre d’hébergement s’installe dans une ancienne boulangerie militaire, une résidence étudiante dans des laboratoires, des espaces de coworking dans une centrale électrique, un espace solidaire dans un entrepôt, des colivings dans une tour de bureaux, une crèche dans une caserne… Plus de la moitié des opérations retenues dans cet ouvrage propose de passer d’une monofonctionnalité à un programme mixte associant logements, activités, commerces, établissements recevant du public, espaces sportifs, etc. Et les deux tiers changent intégralement le programme du bâti d’origine.

Le cas de la métamorphose des immeubles pour automobiles, qui concerne presque un quart des opérations présentées ici, est particulièrement emblématique de cette révolution. À leur âge d’or, Paris comptait plus d’une centaine d’immeubles pour automobiles, appelés garages, hôtels pour voitures ou garages-parkings.

Aujourd’hui, alors que moins de 35 % des ménages parisiens possèdent une voiture, ces parkings en élévation se vident. À l’image des constructions de la modernité abandonnées, des usines des faubourgs désertées, des entrepôts désaffectés, c’est désormais la mutation de ce patrimoine automobile qui est d’actualité. Et, comme le font remarquer les architectes Colin Reynier et Léonard Lassagne dans l’étude Immeubles pour automobiles, « la grande qualité de ces immeubles pour automobiles, leur principale vertu d’architectures désormais sans contenu, c’est cette absence de programme, ce caractère neutre et générique qui permet de les appréhender en tant que structures (11) ». Une qualité à mettre au regard des calculs de l’architecte et ingénieur Guillaume Meunier : « la superstructure représente environ 20 % du bilan carbone de la matière (12) ». Aussi, sa préservation ou sa transformation légère est la première pierre de ces architectures d’un nouveau genre.

En quête de durabilité et de performance énergétique, les équipes de conception explorent également des dispositifs simples et passifs, plutôt que des systèmes électriques ou numériques énergivores. Cela se traduit par des géométries renouvelées réinterprétant souvent des formes connues : des façades plissées pour se protéger, épaisses pour réguler, des cheminées pour ventiler, des jardins pour tempérer, de grandes hauteurs sous plafond pour rafraîchir, des espaces traversants pour aérer, des casquettes pour abriter, des stores pour ombrager, des réservoirs pour stocker, des patios pour éclairer… Tout un vocabulaire bioclimatique oublié par la modernité se voit reconstruit dans une diversité de matériaux qui favorise les filières sèches afin de réduire les nuisances, les matériaux bio et géosourcés (pierre, chanvre, terre, paille…) pour diminuer l’impact, et le recours au réemploi de matériaux déconstruits sur site ou déposés ailleurs en vue de prélever moins de ressources. Ainsi, ces architectures cherchent à utiliser chaque matériau pour ce qu’il est et non plus pour ce qu’il représente, privilégiant les plus efficaces et ceux à la plus faible empreinte carbone. Autre conséquence, particulièrement remarquable dans un univers immobilier toujours en quête de mètres carrés, plusieurs projets offrent plus dans moins de volume, préférant l’insertion au contexte, la qualité des espaces à l’étalement ou la volumétrie à l’emprise maximum autorisée.

Ces stratégies à la recherche d’équilibre s’inventent, fait également remarquable, en parallèle des réglementations. Elles ne répondent à nulle injonction nationale – pas même aux objectifs de la récente réglementation énergétique 2020, appliquée à partir de 2022 uniquement aux bâtiments neufs – n’exploitent aucune dérogation réglementaire, mais se construisent sur les bases d’engagements soutenus par les pouvoirs publics parisiens (13) et les porteurs de projets, et attendus par les futurs habitats ou utilisateurs. Afin de rendre compte de ce travail itératif pour passer du présent au futur, outre les certifications visées, la quarantaine d’équipes de maîtres d’œuvre invitées – rassemblant une soixantaine d’agences – ont bien voulu, et nous les en remercions, appliquer sur leurs documents graphiques un système de visualisation commun, présentant en noir l’existant, en rouge les déconstructions, en bleu les éléments nouveaux.
Le résultat donne à lire individuellement le processus complexe de mutation et, collectivement, les objectifs des maîtrises d’ouvrage, tant publiques que privées. Ainsi, des projets rendent accessible ce qui ne l’était pas, libèrent des vues, végétalisent ce qui était bitumé, désimperméabilisent ce qui était bâti. Le système graphique avant/après adopté permet aussi à toutes et tous de quantifier et qualifier l’impact de l’action.
La forme géométrique, mesurable, quantifiable, est témoin, preuve, finalité et synthèse des valeurs collectives. « En additionnant énergie et matière, l’écart des quantités d’émissions de carbone entre une construction neuve et une réhabilitation est d’environ 2 à 3 (14). »

L’adaptation de l’existant est dès lors une nécessité. Elle ouvre par ailleurs un champ d’exploration extrêmement stimulant pour les disciplines urbaines et architecturales, en conjuguant les principes de résection, de réparation, de rationalisation constructive. Sous le prisme de l’économie de moyens, du respect de l’œuvre des générations précédentes et de l’inscription dans la durée des édifices qui contribuent et fondent l’identité et la légitimité de l’urbanité, s’inventent des objets hybrides, raisonnés dans leur mise en œuvre et frugaux à l’usage. La promesse d’une vraie modernité complexe, capable de faire face au réchauffement climatique et à la raréfaction des ressources, qui conjugue simultanément les trois engagements : conserver, adapter, transmettre.

Le premier enjeu de la métamorphose écologique de la ville passe par une reprogrammation concertée

Pavillon de l’Arsenal, 75004
Rénovation – amélioration, thermique et accessibilité
DATA Architectes
Ville de Paris, DCPA, Service de l’architecture et de la maîtrise d’ouvrage

Chaque construction d’un mètre carré neuf émet 1,5 tonne de CO2 pendant cinquante ans (15) une moitié provient de la matière, l’autre de l’énergie. La première moitié se décompose comme suit. La superstructure représente environ 20 %, autant pour les fondations – y compris la voirie – ainsi que pour les lots intérieurs. Les lots techniques équivalent à 30 %, la façade autour de 10 %. Le gain premier d’une réhabilitation est qu’il n’y a pas à refaire la structure primaire, ce qui permet d’économiser 250 kg eqCO2/m². Et, en fonction du type de réhabilitation retenu, il est possible de réduire le bilan carbone d’une partie des lots techniques ou de la façade. C’est notamment le cas des projets présentés dans cette exposition, qui tous préservent l’enveloppe des constructions.

La nécessité d’une intervention bas carbone rejoint l’évidence patrimoniale, ces bâtiments étant soit protégés au titre des Monuments historiques, du Plan de sauvegarde et de mise en valeur du Marais, ou du Plan local d’urbanisme, soit reconnus d’intérêt patrimonial, comme le Pavillon de l’Arsenal. Dès lors, aucun de ces projets ne propose plus de 20 % de démolition, tout en cherchant à augmenter le confort, l’accessibilité et la sobriété à l’usage. Comme le rappelle Guillaume Meunier (16), si un bâtiment récent peut générer jusqu’à 750 kg eqCO2/m² liés aux consommations énergétiques sur cinquante ans, une construction ancienne atteint largement le triple, mais une bonne réhabilitation peut la faire descendre à 200 kg eqCO2e/m².

Réduire l’impact des constructions passe aussi par le renouvellement des matériaux utilisés

Réduire l’impact des constructions passe aussi par le renouvellement des matériaux utilisés pour leur remise en état ou leur rénovation. Deux types de filières se distinguent, celle du réemploi et celle des matières bio et géosourcées, qui se développent simultanément.

La première se fonde sur des diagnostics précis, la déconstruction plutôt que la démolition, le développement de plateformes dédiées, d’ateliers de reconditionnement et de lieux de stockage. Pouvant s’appuyer sur un gisement abondant – 41 millions de tonnes par an de déchets de matériaux de construction –, sa marge de progression est considérable, puisque moins de 1 % de ces déchets sont aujourd’hui réemployés.

La seconde tire parti de gisements vernaculaires et de savoirs séculaires – calcaire, grès, gypse… – et bénéficie de l’expansion des matériaux biosourcés et fibrés – bois, chanvre, paille notamment –, qui stockent le carbone. Tous les projets présentés dans l’exposition mettent en œuvre et mixent ces matières pour ériger, protéger, isoler ou cloisonner. Ainsi, l’enveloppe du projet TLM se construit avec les menuiseries de l’ancienne préfecture Morland, et 49,6 % de la masse de matériaux du super équipement Pinard provient de matériaux réemployés ou recyclés, dont 100 % des tuiles en terre, des briques, de l’huisserie bois et de la menuiserie existante, ce qui réduit de 11,6 % les émissions de carbone du projet.

Construire avec c’est aussi construire ensemble

Construire avec, c’est aussi construire ensemble. La rénovation des logements du début du XXe Siècle consiste à trouver le bon équilibre entre insertion urbaine, qualité domestique et efficacité thermique. Il s’agit, à l’extérieur, de ne pas altérer l’identité des immeubles, mais aussi de ne pas impacter les surfaces intérieures, souvent déjà habitées. Afin de créer les conditions d’amélioration, les équipes de conception s’appuient sur des ateliers collectifs et des entretiens individuels. Ainsi, le traitement de très grands ensembles – par exemple, 283 logements Porte de Montreuil ou 481 rue Alphonse-Karr – se dessine d’abord par la singularité des situations et du mode de vie de chacun de leurs habitants. Les rencontres organisées autour de plans et maquettes permettent de définir les agencements les plus adaptés aux usages et aux enjeux bioclimatiques, afin d’améliorer le confort et de diminuer les charges mensuelles des locataires. À l’échelle du quartier, c’est la reprogrammation des existants et la désimperméabilisation des sols qui génèrent des porosités avec la ville. Ainsi, les projets associent différents types de logements – familiaux, étudiants, pension de famille, centre d’hébergement et de stabilisation – ou proposent d’ajouter des équipements et espaces communs : locaux associatifs, conciergerie, jardin, et même crèche et potager dans le cas de la transformation de la caserne Exelmans.

La réhabilitation commence par l’ablation et la dépose de matériaux corrompus ou inefficaces

Si la métamorphose des parkings occupant l’entièreté des gabarits s’effectue par soustraction dans le volume, l’adaptation des autres patrimoines contemporains s’invente généralement par résection. La réhabilitation commence par l’ablation et la dépose de matériaux corrompus ou inefficaces : amiante, plomb, simple vitrage, installations techniques surdimensionnées, chauffage défectueux, climatisation énergivore…

En quête de durabilité et de performance énergétique, les projets, fatigués des matières chimiques et dispositifs numériques, explorent et réinterprètent des dispositifs passifs : façade épaisse pour réguler, plissée pour se protéger, balcon pour s’abriter et habiter, cheminée pour ventiler, jardin pour tempérer, grande hauteur sous plafond pour rafraîchir, espace traversant pour aérer, casquette pour abriter, store pour ombrager, réservoir pour stocker, patio pour éclairer… tout un vocabulaire bioclimatique délaissé par la modernité.

L’enjeu pour les équipes est désormais de trouver un équilibre entre la matière rapportée, qui alourdit le bilan de l’opération, et la performance énergétique, qui l’améliore. À ce titre, la mutation d’opérations d’envergure, qu’elles soient de logements ou de bureaux, est particulièrement significative. La recherche simultanée de solutions de façade, de nouveaux systèmes distributifs et d’un autre rapport au sol conduit à des choix formels guidés par le plaisir d’habiter, à des formes plus modernes que le modernisme promis.

Tous les projets développent ou participent à une stratégie de végétalisation

100 % des projets présentés dans l’exposition développent au minimum une stratégie de végétalisation. Les dispositifs et échelles sont multiples : débitumisation des sols, création d’un patio en pleine terre, jardin d’hiver, terrasse plantée, cour climatique, toiture végétalisée, agriculture urbaine… Toujours, la réparation du bâti s’accompagne de l’attention au vivant.

Cette mise en œuvre sur les immeubles tertiaires est aussi nouvelle que stimulante. Ainsi, les transformations des immeubles du Front de Seine – pavillon Keller, bâtiment Orion ou tour Cristal – s’organisent depuis le projet paysager qui métamorphose la dalle en prolongeant les dispositifs. La tour Cristal développe un « projet volontariste de végétalisation sur tous les niveaux, depuis le rez-de-chaussée jusqu’en toiture du bâtiment, pour implanter la biodiversité sur un ensemble minéral ». Plus en amont sur la rive droite de la Seine, la métamorphose de la tour située quai de la Rapée rééquilibre les surfaces dans les étages pour libérer de l’espace au sol. Deux jardins prennent la place de l’ancien parvis et de l’ancien socle : sur le quai et dans le cœur d’îlot, ils rentrent en résonance avec les espaces environnants. Le coéfficient de biotope global du site augmente de 16 %, passant de 11 % actuellement à 27 %, car le renforcement végétal s’inscrit comme « la condition indispensable et pérenne pour offrir des espaces extérieurs plus résilients face aux épisodes caniculaires ».

Exposition jusqu’au 5 mars 2023 , au Pavillon de l’Arsenal – Centre d’urbanisme et d’architecture de Paris – 21, boulevard Morland – 75004 Paris (Visites guidées gratuites les samedis et dimanches à 11h et 15h)

www.pavillon-arsenal.com

(1) Leon Battista Alberti, De re ædificatoria [L’Art d’édifier], 1452 (publication en 1485).
(2) Françoise Choay, Pour une anthropologie de l’espace, Paris, Seuil, 2006.
(3) Loi nº 62-903 du 4 août 1962, dite « loi Malraux », qui crée notamment les secteurs urbains sauvegardés.
(4) F. Choay, Pour une anthropologie de l’espace, op. cit.
(5) Jean Nouvel, « La modernité : critères et repères », in François Barré, Patrice Goulet, Damien Hambye et Jean Nouvel, La Modernité ou l’esprit du temps, Paris, éditions l’Équerre/Biennale de Paris, 1982
(6) Philippe Simon (dir.), Additions d’architecture, 1+1=1 (juin–septembre 1996), Paris, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 1996.
(7) Philippe Simon (dir.), Architectures transformées. Réhabilitations et reconversions à Paris (octobre 1997– janvier 1998), Paris, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 1997.
(8) Ibid.
(9) En 2019, 70 % des autorisations d’urbanisme concernent la transformation de bâtiments existants.
(10) L. B. Alberti, De re ædificatoria, op. cit.
(11) Data Architectes, Immeubles pour automobiles. Histoire et transformations, Paris, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 2018.
(12) Voir Guillaume Meunier, « Conserver, adapter et transmettre le carbone », p. 12
(13) Voir Emmanuel Grégoire, « Pacte pour la construction parisienne », Ville de Paris, février 2021.
(14) Voir G. Meunier, « Conserver, adapter et transmettre le carbone », op. cit
(15) Guillaume Meunier, in Conserver Adapter Transmettre, Paris, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 2022.

(16) Ibid.

Pour aller plus loin

Photo d’en-tête : Vue de l’exposition Pavillon de l’Arsenal

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christian.campiche@bluewin.ch
2 années

Vous ne parlez pas du mouvement activiste environnemental Renovate. En Suisse il est très actif. Il se manifeste en bloquant pacifiquement l’accès aux autoroutes.

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