Dans un contexte marqué par des crises économiques et écologiques, le secteur de la construction est confronté à des défis de taille : construire plus rapidement, réduire les coûts et adopter des pratiques respectueuses de l’environnement. Nous prenons pour exemple le Département du Pas-de-Calais, via son bailleur social Pas-de-Calais habitat, qui propose une réponse innovante avec son projet de logements modulaires à Arras et Frévent. Ce programme, qui comprend 99 logements, incarne une transformation majeure dans la conception et la construction de l’habitat.
Selon le dernier bilan de l’Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols), on dénombrait, au premier semestre 2024, 2,7 millions de ménages en attente d’un logement social, soit 100 000 de plus qu’en 2023. Un chiffre en hausse de 7,5 % sur un an et, surtout, de 280 % depuis 1984. « C’est une demande qui augmente partout. C’est le même phénomène que les années précédentes dans toutes les régions et qui montre combien la question de l’accès à un logement abordable demeure très importante », commentait Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH) lors d’une conférence de presse en septembre dernier, parlant d’un « nouveau record ». Plus de 1,8 million de ménages sont en attente d’un premier logement et 870 000 déjà logés dans le parc existant en attendent un nouveau.
Les délais d’attente s’aggravent, eux aussi : il faut désormais attendre 520 jours en moyenne pour voir sa demande acceptée. Alors, comment construire plus rapidement ? Comment réduire les coûts ? Comment adopter une approche plus respectueuse de l’environnement ? Des questions nécessaires dans une société fragilisée, mais auxquelles le bras armé du Département du Pas-de-Calais a su apporter une réponse avec son projet innovant de construction modulaire de 99 logements à Arras et à Frévent.
Pour Pas-de-Calais habitat, il s’agit d’une première expérience dans la construction modulaire, une méthode qui bouleverse les codes traditionnels. Cette approche vise à conjuguer rapidité, performance et qualité d’usage tout en répondant à l’urgence des besoins en logement. Grâce à la préfabrication, les délais de construction sont considérablement réduits, permettant une mise à disposition rapide des logements pour les locataires. Les logements modulaires présentent plusieurs atouts majeurs : rapidité de construction : les modules, fabriqués en usine, sont ensuite assemblés sur site. Cela réduit considérablement les délais de chantier ; réduction des coûts : la préfabrication en série limite les imprévus et optimise les ressources ; et respect de l’environnement : grâce à une meilleure gestion des matériaux et à une diminution des déchets, cette approche s’inscrit dans une démarche durable.
Quand le chantier devient un jeu de construction : un modèle novateur d’industrialisation
Les logements modulaires, appelés aussi construction hors site, sont une méthode novatrice qui consiste à modéliser les éléments de structure et les équipements d’un bâtiment, de les fabriquer en usine, puis de les acheminer sur le chantier pour les assembler. Une fois sur place, la dernière étape consiste à installer soigneusement la couverture et la façade. Séverine Peulmeule, chargée d’opérations chez Pas-de-Calais habitat, précise : « La construction hors site est inédite chez Pas-de-Calais habitat. C’est une nouvelle façon de concevoir les chantiers, qui permet non seulement de réduire notre empreinte carbone, mais également de gagner en productivité. »
En effet, la conception modulaire en bois peut être réplicable sur d’autres sites grâce à une fabrication en série en usine. Elle offre ainsi une économie de matériaux, d’énergie et de ressources tout en garantissant une parfaite maîtrise des finitions. C’est une solution de construction viable pour habiter de façon durable dans des logements confortables, sains et à faible impact environnemental.
Construire plus rapidement, avec moins de nuisance et en optimisant la matière : les avantages sont nombreux.
Construire l’aventure pas à pas
Pour la conception-réalisation de ces deux opérations innovantes et inédites, Pas-de-Calais habitat a lancé, en 2021, un concours d’architecture. Après plusieurs jurys, il désigne le groupement lauréat en mai 2022. Bouygues Bâtiment Nord-Est, en tant que mandataire, coordonne les différentes étapes du projet avec ses co-traitants. « Nous sommes fiers que notre groupement ait été sélectionné pour ce projet, car il illustre notre ambition d’imaginer de nouvelles manières de construire et témoigne de notre volonté à développer des constructions durables et innovantes. »
« Ce projet s’inscrit dans une démarche plus large visant à réfléchir et construire autrement le logement, en répondant aux enjeux de qualité d’usage, d’évolutivité, et d’impact écologique faible » explique Yohan Girard, Directeur Régional Agence Artois, Bouygues Bâtiment Nord-Est, qui a créé un groupement d’expertises et de savoir-faire constitué de l’agence Moon Architectures, de l’entreprise TH et du paysagiste Land. Ce projet répond à trois ambitions fortes du Groupe, avec pour objectif de devenir le leader de la transition environnementale de la construction : décarboner la construction, construire autrement grâce à l’innovation et industrialiser les processus. De son côté, TH a choisi de recruter et former des Compagnons menuisiers spécialisés dans le Saint Quentinois.
Cette année, 40 personnes ont rejoint l’entreprise pour contribuer à la réalisation des 98 logements de Pas-de-Calais habitat après avoir suivi un programme de formation de 1 125 heures, mis en place avec le concours de France Travail et Itinéraire Emploi pour le recrutement, et d’organismes régionaux pour la formation. À l’issue de ce parcours, ils auront obtenu le titre professionnel de menuisier installateur, agréé par l’État.
En 2025, ils seront près de 100 à avoir rejoint la nouvelle fabrique de TH. Pour les ouvriers du bâtiment, le mode de construction hors site offre des conditions de travail améliorées. Un aspect social du projet d’une grande importance.
Afin de répondre aux besoins de Pas-de-Calais habitat, TH étend son savoir-faire au Saint-Quentinois avec l’ouverture d’une seconde fabrique dès la fin de l’année 2024. Cette nouvelle implantation permettra à l’entreprise de tripler sa capacité de production. Grâce à cette filière professionnelle durable, soutenue par la Ville et sa région, la réindustrialisation de cette friche industrielle de 10 000 m² contribuera pleinement à la dynamisation de l’économie locale.
Des logements acheminés jusqu’à Arras et Frévent depuis Saint-Quentin
Ces deux premiers chantiers vont bien au-delà de simples projets de construction ; ils incarnent une vision d’avenir pour l’habitat. Conçus selon les plus hautes normes thermiques, ces bâtiments répondront aux exigences du label RE2020 pour 2028 et afficheront une étiquette énergétique A. Les modules, réalisés par TH, intègrent 60% de matériaux biosourcés, principalement du bois, avec une empreinte carbone positive : chaque mètre cube de bois utilisé capture une tonne de carbone. Grâce à une isolation avancée et une étanchéité à l’air jusqu’à trois fois supérieure aux standards, ces logements sont hautement économes en énergie, tant pour le chauffage que pour la production d’eau chaude. En outre, leur conception modulaire permet une flexibilité d’usage : un T2 peut évoluer en T3, T4, voire T6, et chaque logement est entièrement démontable en fin de vie.
À Arras, sur le site de l’ancienne cité des Acacias, où 24 logements ont été démolis en 2023, 42 nouveaux modules en bois seront livrés en octobre 2025. Parmi eux, huit logements seront accessibles aux personnes à mobilité réduite (PMR). Situés entre la route de Bapaume et la rue Alexandre Ribot, ces logements prendront place sur une parcelle de 6 252 m². L’installation des modules commencera six mois avant leur mise en location, le temps de finaliser l’étanchéité et les finitions extérieures, pour une durée totale de construction hors site de 18 mois.
L’architecte s’est inspiré de l’architecture traditionnelle des places arrageoises, avec une réinterprétation contemporaine des rythmes des fenêtres, frontons et détails visuels.
À Frévent, 57 logements seront finalisés en janvier 2026, dont 12 adaptés aux PMR. Situés ruelle Marie Deslavier, ces logements occuperont une parcelle d’environ 9 220 m². Le chantier sur site durera 7 mois, pour une durée totale de 23 mois en mode hors site. La préfabrication industrialisée bas-carbone menée par TH permet de produire en seulement 130 jours les 198 modules nécessaires aux 98 logements d’Arras et de Frévent.
Le coût total prévisionnel pour Arras est de 8 932 240 € TTC et pour Frévent de 10 710 129 € TTC.
Un modèle à suivre ?
En initiant ces chantiers à Arras et Frévent, Pas-de-Calais habitat montre que les solutions modulaires peuvent être une réponse pertinente aux attentes d’une société en mutation. En réduisant les délais, en maîtrisant les coûts et en respectant l’environnement, ce modèle pourrait bien devenir une référence pour d’autres acteurs de l’habitat social et même au-delà. Car ce projet ne doit pas se contenter de répondre à la demande croissante de logements sociaux. Il peut s’inscrire dans une réflexion plus large sur la transformation des pratiques de construction face aux défis environnementaux. Les logements modulaires offrent une flexibilité qui pourrait inspirer de futurs projets, tant pour leur adaptabilité que pour leur efficacité.
Car ce type de construction permet une optimisation de l’espace tout en intégrant des éléments esthétiques au gré de nos envies. Contrairement aux idées reçues, ces bâtiments modulaires ne sont pas synonymes de concessions architecturales. De nombreuses possibilités sont offertes aux maîtres d’ouvrages et les architectes disposent d’une grande liberté pour rendre uniques tous les projets de construction : la forme, la couleur ainsi que les dimensions des menuiseries peuvent être choisies sans contraintes et les façades se décliner en bois, en métal, en panneau composite, en verre,… Le climat, les saisons, la géographie changent… Construire des logements plus légers ou protégés du soleil, volontairement ouvertes aux courants d’air, dès les années 1980 on découvrait, à l’écart des diktats de la technologie et de la climatisation modernes, des logements originaux, qui répondent déjà aux contraintes climatiques et environnementales.
En 2002, le géochimiste et prix Nobel Joseph Crutzen a choisi le mot « anthropocène » pour désigner « l’ère géologique actuelle, dominée en bien des façons par l’homme. » Il estime que l’activité humaine influe désormais directement sur l’évolution de la planète. L’onde de choc a gagné tous les cercles de la pensée. Depuis la révolution industrielle du XIXe siècle, le productivisme, qui s’est accéléré depuis 1945, a outrepassé le projet d’une maîtrise rationnelle du monde. Il aura pour conséquence l’épuisement des ressources. L’architecture, art d’habiter la Terre, ne peut ignorer cet enjeu (1).
Ce projet ambitieux ouvre donc la voie à une réflexion plus profonde sur les innovations nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux des populations tout en respectant les impératifs écologiques. Une avancée significative, à suivre de près.
Fabienne Marion, Rédactrice en chef UP’
(1) Source : Exposition AA-Events – Réenchanter le monde – Architecture, ville, transitions – Mai-Octobre 2014
Pour aller plus loin :
- Livre « Vers une architecture pour la santé du vivant » d’Eric Daniel-Lacombe – Editions Les Presses univesitaires de Montréal, 2023
- Article « Le rôle des architectes et des designers dans la construction modulaire » – BCI France
- Article « Quand l’IA permet de créer des logements abordables et durables » – UP’ Magazine, novembre 2023
Photo d’en-tête : Photo © France Bois Modulaire