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architecture

L’habitat, ce manteau entre Soi et la ville *

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A l’heure de la mobilisation nationale de la profession des architectes contre les dispositions de la loi Elan et ses nombreuses mesures qui bafouent l’intérêt public de l’architecture, certains réseaux professionnels rappellent que le logement joue un rôle essentiel dans la substance de nos vies et que le concours, territoire d’émulation, doit être défendu dans la construction du logement social. L’objectif du gouvernement est de « construire plus, mieux et moins cher ». En se passant des architectes ?
 
Ce 17 mai à 17h, architectes, associations d’usagers, ONG, organisations professionnelles et syndicales, bailleurs sociaux, maîtres d’ouvrage, … appellent le Président de la République et le Gouvernement à fédérer sans tarder citoyens et parties prenantes afin de porter une ambition commune : la construction et l’aménagement des espaces de vie de qualité et durable du XXIème siècle. Pour eux, la loi Elan (Evolution du logement et aménagement numérique) doit répondre aux attentes de chacun, favoriser la mixité sociale et l’accès pour tous à un logement confortable, améliorer la vie quotidienne de chacun, permettre la construction d’une ville douce pour les besoins de la population d’aujourd’hui et pour les générations futures, permettre de rénover le patrimoine bâti, et dynamiser le tissu économique sur tout le territoire. Ce qu’ils redoutent ? Les conséquences en matière de qualité architecturale et sur le cadre de vie. Sous sa forme actuelle, la loi libère le secteur du logement social de l’obligation de concours architectural, dispense les maîtres d’ouvrage de certaines obligations de la loi MOP de 1985 qui régit leurs rapports avec les maîtres d’œuvre, rend consultatif – et non plus contraignant – l’avis des architectes des bâtiments de France (ABF)… Sans parler des risques liés aux excès des promoteurs immobiliers …
 
Dans un monde en mutation, à la fois en pleine dématérialisation et en constante création de nouvelles interfaces, nous aurons toujours besoin d’un toit. Or 4 millions de personnes restent mal logées ou privées de domicile en France, tandis que 12 millions voient leur situation fragilisée par la crise du logement. Ce contexte actuel de précarisation et de mal logement endémique impose une vraie ambition pour une loi sur le logement, portée par des valeurs citoyennes, humanistes, sociales et culturelles, et mises en œuvre dans un cadre qualitatif tant sur le plan architectural qu’environnemental afin de façonner les conditions du bien-vivre de nos concitoyens.
Alors oui, il y a urgence à agir ensemble. Construire, oui. Vite, oui. Mais de manière décente et réfléchie, et tout en questionnant les modes d’habiter de demain.
 
Le projet de loi Elan, porté par Julien Denormandie, secrétaire d’Etat à la Cohésion des territoires, examiné le 15 mai par la commission des affaires économique de l’Assemblée, ne semble pas répondre à ces exigences. Denis Dessus, président du Conseil national de l’ordre des architectes (Cnoa) à l’occasion du lancement du Collectif « Ambition logement » dénonçait le manque d’ambition de la Loi : « Le mal-logement n’est pas une fatalité. La loi Elan est une occasion manquée en matière de logement, une véritable régression. Le gouvernement n’a écouté personne. Nous nous retrouvons tous aujourd’hui pour défendre le droit à un logement de qualité pour tous, et pour ne pas en faire un simple produit financier. »
 
© Cnoa – Affiche de la campagne de communication du Cnoa au sujet du projet de loi pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan)
 
Pour le Réseau Les Maisons de l’architecture (1), le logement social est un laboratoire de recherche sur l’évolution des modes d’habiter. Il peut et doit anticiper nos futurs modes de vie. Défendre le concours d’architecture, c’est défendre les possibles renouvellements d’une réflexion sur des modes d’habiter questionnés par les défis de notre époque : pauvreté, pollution, environnement fragilisé, étalement urbain, mitage des campagnes, migration des populations.
 

Contre le plan unique

Nombreuses sont les mesures de la loi Elan qui bafouent l’intérêt public de l’architecture. La première d’entre elle est la sortie de la loi MOP pour la construction de logements et d’équipements publics par les bailleurs sociaux et les filiales qu’ils vont pouvoir créer, et par les opérateurs des zones d’aménagement concertée.
Or le cadre législatif actuel permet de recourir à des compétences indépendantes reconnues et ciblées. Il permet de garantir que les projets publics, financés par des fonds publics, soient de qualité, au service de la « cité », et non au service d’intérêts privés. La ligne directrice du projet de la loi ELAN instaure le contournement de ce cadre législatif.
 
Il prévoit la suppression de l’obligation de concours pour les bailleurs sociaux, remettant en cause une disposition acquise par la LCAP. Or a-t-on trouvé mieux aujourd’hui et plus adapté au contexte participatif que la procédure de concours pour choisir le projet répondant le mieux à des attentes claires ?
Le concours permet de répondre de manière singulière à chaque situation et à chaque contexte contre la standardisation, contre le plan unique. Quelle que soit sa dimension, chaque projet se construit avec des acteurs nombreux, divers dans leurs compétences comme dans leurs approches culturelles, esthétiques, techniques, normatives, ou économiques. Le concours est un terrain de travail collaboratif entre tous ces acteurs lorsqu’il est possible d’exercer un regard critique sur le programme proposé.
 
L’innovation naît dans la confrontation des idées et le concours pousse à justifier les choix, à partager les fondements du projet avec les partenaires, les décideurs, les utilisateurs, les habitants ; Il pousse à anticiper et créer une cohésion autour du projet. Le concours est un formidable vecteur de diffusion de la culture architecturale et en ce sens, facteur d’économies durables. Supprimer ce jalon démocratique sous prétexte d’économies, c’est confisquer le débat sur la maitrise du cadre de vie et prendre le risque d’en payer le prix.
Dans le contexte actuel normalisé et sur‑réglementé de la production de logements, les nouvelles formes d’habiter sont susceptibles de créer un urbanisme différent. La ville ne peut se faire sans se requestionner sur les nouveaux modes d’habiter.
 
Dans Libération, l’Ordre des architectes déclare qu’Elan représente « un saut cinquante ans en arrière ». Le renouvellement architectural du logement social avait été porté dans les années 1980 par le logement social et les concours qu’il a conduits ont amené toute une génération d’architectes à la commande, et parfois à la célébrité. Même si, comme on dit dans le milieu, « tous les règlements du monde n’ont jamais empêché de construire des bâtiments moches », l’absence d’obligation sur la qualité architecturale, urbaine ou environnementale peut sérieusement contribuer à en obtenir.
 

Réactions du Gouvernement

Elles se sont fait attendre … Alors que la profession organise ce 17 mai une grande journée de mobilisation pour dénoncer le projet de loi, pour « Faire du logement la grande cause permanente », la ministre de la Culture a réaffirmé, à l’occasion d’une rencontre avec les lauréats de la promotion 2018 des Albums des jeunes architectes et paysagistes (AJAP), son ambition de renforcer « le désir d’architecture chez tous les citoyens », son soutien à la profession d’architecte et son engagement pour la promotion d’une architecture de l’habitat de qualité. Françoise Nyssen a ainsi annoncé le lancement de deux chantiers :
1/ Un travail sur le « désir d’architecture », dont l’objectif est de consolider le rayonnement de la profession et sa reconnaissance comme levier de développement culturel, économique, social et environnemental. Un groupe de travail mis en place rapidement réunira :
– Christine LECONTE, présidente du Conseil Régional de l’Ordre des architectes d’Ile-de-France, lauréate du Palmarès des Jeunes Urbanistes 2010 ;
– Guy TAPIE, professeur et auteur d’un ouvrage récent sur « la culture architecturale des Français » ;
– Simon TEYSSOU, maître de conférences et président du conseil d’administration de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand ;
– Et seront associés, des Grands Prix Nationaux de l’Architecture et des Albums des jeunes architectes et paysagistes de la promotion 2018, ainsi que des représentants du monde de la construction et de l’aménagement et des élus nationaux et territoriaux.
Marie-Christine LABOURDETTE, présidente de la Cité de l’architecture et du patrimoine, sera le rapporteur des travaux de ce cercle de travail auprès du ministère de la Culture, qui en assurera le suivi en lien étroit avec le Conseil National de l’Ordre des Architectes.
 
2/ Un travail sur l’apport des architectes à la qualité de l’habitat. Un groupe de travail composé d’acteurs de la production des logements de demain sera animé par la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques, sous le pilotage de son président M. Roland Peylet avec les services des ministères concernés.
Il sera chargé de formuler des propositions pour valoriser le rôle de l’architecte dans le processus de production de logement de qualité, et pour équilibrer la relation entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre, de l’émergence du projet à la réalisation.
La ministre de la Culture recevra les propositions de ces deux groupes de réflexion à l’occasion de la prochaine édition des Journées nationales de l’architecture les 19, 20 et 21 octobre prochain.
A suivre …
 
 
POUR ALLER PLUS LOIN :
 
– Livre « La ville rebelle » sous la direction de Jana Revedin – Edition Alternatives – Manifestô, 2015
 
(1) Les Maisons de l’architecture ont une mission de sensibilisation et de diffusion de la culture architecturale auprès des citoyens. Les 32 Maisons s’engagent pour une culture de l’architecture et des territoires partagée et contributive. Le Réseau des maisons de l’architecture milite pour la différence, la mise en commun, l’échange et le croisement des regards, dans la fabrique du logement social aussi. Depuis février dernier, le Réseau des maisons de l’architecture est présidé par Anne‑Sophie Kehr, par ailleurs membre du CA de la Maison Européenne d’Architecture du Rhin Supérieur, conseillère nationale de l’Ordre des architectes et maître de conférences à l’ENSAS.

 
Photo d’entête : Vision de l’Habitat des années 70 par la Nasa
 

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