Changer les règles de la génétique. Tel est le pouvoir de la technique dite « gene drive » (ou forçage génétique) qui permet de propager un caractère à 100% parmi les descendants (au lieu de 50%). Cette « ingénierie massue » intéresse les responsables de santé publique confrontés aux moustiques vecteurs de maladies ou les gestionnaires de territoires envahis par des prédateurs. Alors que se tient cette semaine à Hawaii, le Congrès mondial sur la conservation, les clans adverses vont s’affronter sur ce sujet. Des opposants au Gene Drive ont publié une lettre ouverte. Le débat sera vif aussi à Cancun en décembre prochain car il est à l’ordre du jour des négociations de la Convention sur la biodiversité des Nations Unies.
Faire mourir en masse des populations envahissantes ou menaçantes. L’idée progresse depuis une dizaine d’année pour lutter notamment contre les rongeurs qui pullulent dans les îles. Karl Campbell, a mené des programmes d’éradication des rats et souris dans une douzaine des îles des Galapagos. Traditionnellement, on recourt aux pesticides pour tuer ces animaux qui menacent les tortues légendaires. Mais les résultats sont souvent insuffisants : une simple femelle porteuse de petits est capable de régénérer très vite la population.
En 2011 le service américain de la vie sauvage et des poissons a amorcé un plan pour exterminer les souris des îles Farallones, situées à une quarantaine de kilomètres au large de la ville de San Francisco. Il a été proposé des aspersions par hélicoptères de produits tueurs de rongeurs. Mais le public n’a pas voulu appuyer cette démarche, au vu des effets collatéraux : empoisonnement des prédateurs, pollution des eaux marines par le produits toxique, perturbation des oiseaux par les hélicoptères…Malgré l’appui des scientifiques, le projet est resté dans les limbes, sans financement et les souris ont continué à proliférer.
John Godwin, neurobiologiste à l’Université de Caroline du Nord a pensé qu’on pouvait imaginer une solution génétique à cette pullulation néfaste pour une île paradisiaque. Avec ses collègues, Fred Gould, entomologiste – qui avait déjà manipulé les moustiques pour les empêcher de transmettre le paludisme et la dengue – et David Threadgill, généticien chez Texas A&M, spécialiste des modèles cancer de souris, il a entrepris de manipuler le génome de la souris Mus musculus.
Celui-ci n’a plus de secret : ce fut le second mammifère après l’homme à voir son patrimoine génétique totalement séquencé en 2002. La démarche poursuivie par les chercheurs a été de manipuler génétiquement les mâles afin qu’ils ne puissent plus produire de descendance. La création d’une distorsion de genres dans les populations est appelée démarche « sans filles ».
Ils ont très vite été confrontés à un problème : comment assurer la propagation rapide du gène « suicidaire » introduit quand celui-ci crée – la plupart du temps – des désavantages.
Habituellement, les processus évolutifs aboutissent à ce que chaque nouveau-né hérite de la moitié des gènes de chacun de ses parents. Et les gènes défavorables percent moins que les autres du fait de la pression de sélection sur le long terme. Mais un généticien américain, Austin Burt a identifié des éléments génétiques dits « égoïstes » et a réussi – – depuis 2003 – à exploiter ces séquences qui se propagent même si elles sont délétères.
La recette est devenue très simple : attacher la séquence qui va stériliser le descendant à un gène égoïste, insérer le tout dans les gamètes (cellules sexuelles) des souris mâles et le tour est joué. Cette technique appelée « gene drive » utilise les outils CRISPR/cas9 et court-circuite les règles de l’évolution. Elle permet une propagation très rapide du gène désiré.
Un programme de biocontrôle génétique des rongeurs invasifs (GBIRd –Genetic Biocontrol of Invasive Rodents) est soutenu par cinq partenaires : US Island Conservation, USDA, Texas A&M, North Carolina State University, CSIRO. L’objectif est d’être prêt pour le moment de l’autorisation prévue en 2020
L’Université de Hawaii envisage de recourir à ce « forçage génétique » pour lutter contre le paludisme aviaire qui affecte certains oiseaux (Honeycreeper). C’est le moustique Culex quinquefasciatus qui est visé. Vecteur de diverses maladies dont le paludisme aviaire dû à Plasmodium relictum, ce moustique peut être éradiqué par trois techniques : les mâles rendus stériles par irradiation, la transgénèse ou l’approche gene drive. L’équipe de Andrea Crisanti à l’Imperial College de Londres, a utilisé cette technique de forçage pour détruire un gène nécessaire à la fertilité féminine.
La puissance de l’outil est telle que certains pensent à l’utiliser pour exterminer des chauve-souris ou des amphibiens par des attaques de champignons rendus virulents.
En avril dernier, s’est tenu à Sausalito (Californie) un séminaire sur ces nouvelles « solutions génomiques » pour les problèmes de conservation. Il a été organisé par Revive and Restore, fondé par Ryan Phelan et son mari Stewart Brand avec l’appui de la Long Now Foundation. Son objectif : ressusciter les espèces disparues ou en voie d’extinction comme le mammouth laineux ou le pigeon voyageur. Parmi les sponsors on trouve Autodesk, Zygote Ventures, USDA, Wyss institute…Se sont donnés rendez-vous à ce meeting George Church (Wyss Institute) le pape de la discipline, Rob Carlson (Biodesic) et des responsables d’Oxitech (la société qui fabrique des moustiques transgéniques expérimentés au Brésil), d’Amyris, de Google…
Faire revivre des espèces en voies d’extinctions comme le mammouth laineux, le pigeon voyageur, le furet aux pattes noires, le Heath hen… requiert des mêmes leviers génétiques. Certains utilisent le terme de « Crispr Zoo », tant l’édition de gènes (par la technologie Crispr/cas9) pour désigner ces êtres qui pourraient sortir de cette des-extinction (Voir les 15 conférences TEDx sur le sujet). Mais les avis sont très contrastés vis-à-vis de ces techniques.
« Devons-nous utiliser le gene drive pour stopper les espèces invasives ? » interroge la journaliste californienne Alison Hawkes.
Les craintes résident dans le manque de connaissances que nous avons pour connaître les effets d’une éradication. Car un écosystème est en équilibre et toute modification peut générer des effets en chaine : repeuplement par une espèces cousines, prolifération des espèces consommées par l’animal éradiqué…
C’est dans cet esprit que les représentants d’associations comme ETC Group, Les Amis de la Terre… et plusieurs leaders environnements comme Jane Goodal, DBE, le généticien David Suzuki, le prospectiviste Fritjof Capra, l’entomologiste et présidente du réseau européen de scientifiques pour la responsabilité sociale et environnementale (ENSSER) Angelika Hilbeck, la physicien et activiste indienne Vandana Shiva et le biologiste Nell Newman, demandent un moratoire de facto sur le recours au gene drive. Ils lancent un « Appel pour une protection des espèces avec conscience ». Le détail des préoccupations a été explicité par un groupe de travail de la société civile consacré au gene drive.
Une des craintes de ces activistes est que le gène égoïste (de stérilité) s’échappe vers des espèces bénéfiques ou qu’il ait des conséquences imprévues. Nous n’avons pas de moyens de réparer de tels dégâts, souligne l’article du New Scientist paru en juin dernier sur ce sujet.
Cet article est publié en partenariat avec Le Festival Vivant
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