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transition numérique

Le numérique à l’école : « Un concept sans stratégie, un déploiement inachevé »

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Faire entrer le numérique à l’école est devenu un axe à part entière de la politique éducative, inscrit dans la loi de refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013. Pour ce faire, un nouveau service public a été créé, le « service public du numérique éducatif », avec pour enjeu pour le système scolaire de former au numérique les citoyens et les professionnels de demain, qui ne pourraient sans cela ni exercer la plupart des métiers, ni même s’insérer dans la société. L’autre objectif était d’utiliser les techniques numériques comme un puissant levier de transformation pédagogique, susceptible de faire évoluer les méthodes d’enseignement, d’améliorer les apprentissages et de permettre l’évaluation en continu des résultats,in fine de favoriser la réussite des élèves. Selon le dernier rapport de la Cour des comptes, le bilan de sa mise en œuvre est décevant.
 
Cinq ans après la loi de 2013 de refondation de l’école de la République, ce « service public du numérique éducatif » n’est pas au rendez-vous des enjeux, quant à la transformation pédagogique qui devait être au cœur de la conduite de la nouvelle politique, l’évaluation des pratiques des enseignants et des effets sur les résultats des élèves qui est jugée restreinte et tardive, dans un contexte de grande disparité du déploiement des moyens et des usages numériques.
L’objectif de cette refondation était d’apprendre aux élèves les techniques numériques en vue de leur insertion citoyenne et professionnelle, d’améliorer la pédagogie par l’usage de services et de ressources numériques en classe, mais aussi de favoriser l’égalité des chances. Il s’agissait également de moderniser la gestion du service éducatif, en facilitant les relations entre enseignants, élèves et parents.
Pour la Cour des comptes, si les investissements publics en faveur du numérique ont beaucoup progressé, les conditions de déploiement de ce service public sont loin d’être réunies : la connexion des écoles et des établissements est encore insuffisante et, dans bien des cas, inexistante ; de fortes inégalités d’équipement des classes et des élèves demeurent entre les territoires ; l’offre de ressources numériques, abondante et souvent innovante, n’est pas organisée ; faute de formation initiale et continue suffisante, seule une minorité d’enseignants est à l’aise avec une pédagogie s’appuyant sur le numérique.
Pour remédier aux inégalités persistantes d’accès au service public numérique, la Cour recommande de doter écoles, collèges et lycées d’un socle numérique de base.
 
Un effort financier significatif depuis le vote de la loi de 2013

Les investissements en faveur du numérique éducatif ont beaucoup progressé entre 2013 et 2017 : ceux des trois niveaux de collectivités ont représenté 2 Md€ et ceux de l’État près de 300 M€ (alors que son engagement initial était annoncé à hauteur d’1 Md€). Cet effort financier est resté inscrit dans un cadre d’interventions publiques classique, fondé sur le financement d’équipements individuels (pour les deux tiers des crédits de l’État), dans une logique d’appels à projet qui s’est traduite par une politique de guichet peu sélective.
Pour être à la hauteur des enjeux, l’État aurait dû élaborer une stratégie fondée sur une logique d’harmonisation des équipements, services et offres numériques pour les élèves selon les strates d’enseignement, et se concentrer sur ses responsabilités : la transformation pédagogique et la formation des enseignants, la sécurisation des données scolaires etl’accès au niveau de débit requis.
 
Un service public sans objectifs clairs
 
Dans le programme d’investissements d’avenir, la priorité a été donnée, contre la vocation et la logique de ce programme, au financement d’équipements mobiles individuels, ce qui a transformé une action qui se voulait innovante en un simple « plan tablettes ». Cette priorité à l’équipement individuel s’est avérée une politique dépassée et inutilement coûteuse.
Absorbant trop de moyens, notamment dans les budgets des collectivités territoriales, elle a compromis la réalisation d’investissements dans les infrastructures et les réseaux.

Aussi le préalable que constitue le meilleur niveau possible d’accès aux réseaux de débit suffisant pour les écoles et les établissements scolaires a été négligé comme l’a été aussi celui de la réflexion sur l’innovation pédagogique, au bénéfice de la distribution d’équipements individuels à l’usage incertain.
Une co-construction inaboutie entre État et collectivités, des disparités territoriales persistantes
 
Le service public du numérique éducatif, comme l’ensemble du service public de l’éducation, s’inscrit dans la répartition des compétences entre l’État et les collectivités locales, prévue par les lois de décentralisation. Aussi la mise en place de ce nouveau service public aurait dû être une co-construction entre l’État, responsable des enseignements, des programmes scolaires et de la pédagogie, et les collectivités, chargées des bâtiments, des équipements et des services logistiques.
Or, localement, dans bien des cas, et malgré l’engagement incontestable des recteurs et de leurs services chargés du numérique éducatif, on observe, plutôt qu’une co-construction, une fragmentation des politiques publiques des politiques publiques, qui n’a pas remédié aux disparités territoriales antérieures et, dans bien des cas, les a accrues.
Les initiatives des collectivités locales continuent d’inscrire le développement du numérique dans le paysage scolaire sans cadre national d’ensemble : telle ou telle grande région annonce sa décision de doter d’équipements mobiles la totalité de ses lycéens, tels départements font de même pour leurs collégiens, en dépit du taux d’équipement privé des jeunes.
De fait, en l’absence de cadrage clair de la politique du numérique éducatif par l’État, les collectivités territoriales, confrontées aux besoins des établissements et très proactives, prennent la main sur cet aspect du service public et arrêtent les orientations qui leur paraissent les plus opportunes. Or celles-ci ont un impact qui va très au-delà des questions d’équipement et interférent de facto dans la sphère pédagogique. Ainsi plusieurs grandes régions annoncent leur volonté de mettre en place des ressources pédagogiques numériques correspondant aux nouveaux programmes dans le cadre de la réforme du lycée, dès la rentrée 2019, plutôt que de renouveler les manuels papier, sans que le ministère, dont les services accompagnent ces initiatives, se soit prononcé sur le point délicat d’un basculement généralisé vers le manuel numérique. Si les services académiques sont consultés, ils ne disposent pas eux-mêmes d’un cadrage national émanant du ministère.
Des responsabilités propres à l’Éducation nationale à faire prévaloir
 
Plusieurs facteurs structurants à long terme sont prioritaires : la formation des enseignants, en réintroduisant la certification des compétences numériques des enseignants ; la sécurisation des données scolaires, notamment des données personnelles des élèves et des personnels ; la création d’un portail unique des ressources pédagogiques ; l’accès des établissements à des niveaux de débit appropriés, en mobilisant les financements de l’actuel
programme d’investissements d’avenir.
L’appropriation par le monde enseignant de ces nouveaux outils et méthodes est primordiale : six ans après le vote de la loi, ce qui est attendu des enseignants en termes d’usages du numérique reste vague.
Il faut rétablir une certification obligatoire des compétences numériques dans la formation initiale (master de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF)) et certifier les compétences numériques acquises en cours de carrière ; établir un plan de formation continue obligatoire (MEN, ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI)).
Il faut également piloter l’offre de ressources et services pédagogiques numériques ; clarifier le rôle des opérateurs du service public du numérique éducatif, leurs missions de service public et leurs modes d’intervention dans le champ concurrentiel (MEN).
 
Doter la totalité des écoles et établissements scolaires d’un socle numérique de base
Pour que la notion encore floue d’un service public numérique pour l’éducation ait un sens tangible, il faut remédier aux inégalités persistantes d’accès au service public dans les établissements selon un cadre harmonisé au niveau national et conjoint au plan local entre l’État et les collectivités locales dont l’action est cruciale dans ce domaine.
Afin de donner un contenu concret au service public numérique pour l’éducation, et faciliter l’accès des élèves et des enseignants aux ressources et services numériques, la Cour des comptes propose de doter les écoles, collèges et lycées d’un socle numérique de base, combinant des infrastructures et des équipements mis en place par la collectivité responsable, avec un engagement de l’État sur la formation des enseignants et la mise à disposition de ressources
éducatives.
 
Afin de mieux maîtriser les outils opérationnels du service public, la Cour souhaite compléter la cartographie des débits et de la connectivité de l’ensemble des écoles et établissements scolaires publics, par une programmation des raccordements par le réseau fibré et/ou de la possibilité de connexion aux réseaux des opérateurs de téléphonie mobile (MEN).  Elle préconise aussi de réserver le soutien public pour l’acquisition d’équipements individuels aux élèves qui en font la demande, et sur critères sociaux (élèves boursiers par exemple) (MEN, collectivités).
L’objectif est de faire évoluer les dispositifs d’espaces numériques de travail, pour garantir la protection des données à caractère personnel, grâce à l’identifiant unique de chaque usager de l’éducation nationale (MEN), de reprendre la maîtrise des logiciels de gestion de la vie scolaire (MEN) et de faire respecter la doctrine d’emploi du programme d’investissements d’avenir en ne finançant que des investissements ou des expérimentations liés à l’innovation pédagogique.
 
Source : Cour des comptes, juillet 2019
 

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