LE BILLET D’HUMEUR
L’annonce par TotalEnergies de ses résultats financiers pour 2022 a provoqué un grand émoi médiatico-politique. 19.5 milliards d’euros de profit affichés —en réalité 36.2 milliards avant d’habiles provisions pour risques en Russie — c’est un record, un chiffre jamais atteint par une entreprise française, de même grandeur que celui réalisé par ses congénères pétroliers comme Shell ou Exxon. Et l’on cria au scandale devant tant d’argent accumulé sur le dos des pauvres gens qui peinent à remplir le réservoir de leur voiture ou à se chauffer. Et l’on a reparlé de taxation, de superprofits, de milliardaires indécents en ces temps de guerre et d’inflation.
Qu’une entreprise gagne de l’argent et fasse des profits n’est pas en soi un crime. En revanche qu’une entreprise accumule des milliards du fait d’activités toxiques pose réellement question. TotalEnergies tire l’essentiel de ses profits de ses activités pétrolières et gazières. Des combustibles fossiles dont on sait qu’ils sont la cause principale de la crise climatique et de l’effondrement de la biodiversité, mettant en péril l’habitabilité de notre planète par les espèces vivantes parmi lesquelles compte l’homme. En forant toujours plus de pétrole, en fracturant les sols pour récupérer du gaz, en conduisant de gigantesques pipelines à travers des zones à la biodiversité fragile, en contribuant à toujours plus de consommation d’énergies fossiles au risque de voir notre air définitivement irrespirable, en agissant ainsi, TotalEnergies et ses confrères se rendent potentiellement coupables du crime d’écocide.
Dans une prise de parole inédite, onze scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), reprochent à l’entreprise, dès l’annonce de ses résultats, de ne pas tenir compte de l’accord de Paris sur le climat et du consensus scientifique sur la nécessité de baisser drastiquement notre consommation d’énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz), moteur du réchauffement climatique. « Plus on investira dans les énergies fossiles, plus il sera difficile de décarboner le système énergétique et de limiter les risques pour l’économie, la santé et la biodiversité », écrivent-ils dans une tribune publiée par FranceInfo.
Quand on fait des profits aussi astronomiques, on peut envisager d’en investir une partie plus ou moins grosse, selon l’appétit des actionnaires. Or TotalEnergies prévoit d’investir sur la période 2022-2025 jusqu’à 16 milliards de dollars par an, dont 70% dans les hydrocarbures, et d’y consacrer plus de la moitié à la maintenance des installations pétrolières, visant une intensification de la production de plastiques jusqu’en 2050. Les investissements prévus par TotalEnergies sur la même période dans les énergies renouvelables ne représentent que 25% du total. Circonstance aggravante : l’augmentation de la rémunération des actionnaires est supérieure à l’augmentation des investissements dans les énergies renouvelables Les auteurs de la tribune publiée par FranceInfo regrettent : « Cette stratégie entraînera un verrouillage dans le carbone sur plusieurs décennies du système énergétique ».
Pendant des lustres l’industrie des énergies fossiles a fait feu de tout bois en matière de désinformation, sapant tout ce qui pouvait servir à transmettre l’état des connaissances scientifiques sur les conséquences des émissions de gaz à effet de serre et les risques liés au réchauffement qu’elles provoquent. Les auteurs de la tribune notent que « cette stratégie explique en partie le manque d’ambition des politiques climatiques, la lenteur de la réorientation des financements hors des énergies fossiles, et la gravité de la situation aujourd’hui, avec des impacts du changement climatique qui s’aggravent dans toutes les régions du monde ».
L’économiste Maxime Combes de l’Observatoire des multinationales résume la situation : « tant que ce sera Jackpot pour l’industrie pétro-gazière, la lutte contre le réchauffement climatique sera mise en échec ».
Devant la perspective d’accumulation de tels profits pharamineux, le groupe TotalEnergies n’est pas près de s’arrêter dans la production de bombes climatiques, d’investir dans des énergies qui financent la guerre et piétinent les droits humains. Il le fait avec la bénédiction de l’Etat puisque, au cours de ces dix dernières années, le groupe a reçu plus d’argent de l’Etat que l’entreprise n’a payé d’impôt.