Des chercheurs ont publié ce 17 février dans la revue One Earth la liste la plus complète à ce jour, selon eux, des réactions en chaîne qui s’auto-alimentent. Et ils tirent la sonnette d’alarme : leur effet sur la planète pourrait être sous-estimé par les modèles climatiques actuels, dont la justesse est pourtant cruciale pour guider les prises de décisions politiques, notamment en matière de réduction de gaz à effet de serre. Les chercheurs appellent ainsi à une « immense mobilisation internationale » de la communauté scientifique pour mieux évaluer l’impact de ces boucles de rétroaction. Ils réclament notamment un rapport supplémentaire du Giec, le groupe d’experts climat de l’ONU, dédié à ce problème.
Dans leur étude publiée dans la revue scientifique One Earth, des chercheurs appellent à une action climatique « immédiate et colossale » pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, face à la « potentielle menace majeure » posée par ces boucles de rétroaction. Certaines d’entre elles sont en effet associées à ce que les scientifiques appellent des « points de basculement » climatiques, tels que l’effondrement de la calotte glaciaire du Groenland ou de l’Antarctique, qui entraînerait une montée des eaux catastrophique.
« Effrayant »
Pour mieux faire comprendre ce qu’est une boucle de rétroaction, Christopher Wolf, co-auteur de l’étude, dresse une comparaison : lors d’une panique bancaire, les clients retirent en masse leur argent, par peur que leur banque ne s’effondre. Mais ce comportement ne fait qu’augmenter le risque de faillite, poussant encore plus de gens à se rendre aux guichets – et ainsi de suite. Au total, les chercheurs ont dénombré 41 boucles de rétroaction climatiques : 27 positives, c’est-à-dire renforçant le réchauffement de la planète, sept négatives, et sept à l’effet encore incertain.
Certaines sont « effrayantes », a confié à l’AFP William Ripple, également co-auteur de l’étude. Comme le dégel du permafrost (ou pergélisol) en Arctique, qui relâche dans l’atmosphère des gaz à effet de serre jusqu’ici pris dans la glace, notamment du méthane. Ces gaz alimentent ainsi un réchauffement accru, et donc la poursuite du dégel. De la même façon, les incendies, qui se multiplient à cause du changement climatique, rejettent du CO2 aggravant la hausse des températures.
Pour établir cette liste, les chercheurs ont passé en revue toute la littérature scientifique sur le sujet. Certaines boucles de rétroaction ont été découvertes récemment, et d’autres pourraient encore l’être dans un futur proche, note l’étude. Leur intensité peut varier dans le temps, et si certaines peuvent agir sur le très long terme, elles peuvent aussi un jour ou l’autre avoir une fin (le permafrost complètement dégelé, la banquise complètement disparue).
« Si nous pouvons avoir une bien meilleure compréhension des boucles de rétroaction et faire les changements nécessaires (…) nous pourrions encore avoir le temps de limiter les dégâts », explique l’étude. « À l’inverse, si les pires risques posés par les boucles de rétroaction et les points de basculement ont été sous-estimés, le futur d’une planète habitable pourrait être en jeu. »
Des boucles de rétroaction aux pôles
Ces phénomènes de boucles de rétroaction, on les voit actuellement en œuvre dans le monde des glaces. Les calottes du Groenland et de l’Antarctique ont perdu plus de 500 milliards de tonnes par an depuis l’an 2000, soit six piscines olympiques toutes les secondes. Mais les modèles climatiques avaient jusqu’à présent sous-estimé leur contribution à la future montée du niveau des océans, en ne prenant en compte que l’effet de la hausse des températures de l’air sur la glace – et en négligeant les interactions complexes entre l’atmosphère, les océans, les calottes et certains glaciers.
Des chercheurs basés en Corée du Sud et aux Etats-Unis ont établi quelle serait l’élévation du niveau des mers d’ici 2050 en fonction des différents scénarios des experts climats de l’ONU – le GIEC. En cas de poursuite des politiques climatiques actuelles – ce qui inclut les engagements pris par les pays dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat de 2015 – la fonte en Antarctique et au Groenland se traduirait par une hausse d’environ un demi-mètre du niveau des eaux. Un chiffre qui grimperait à 1,4 mètre dans un scénario du pire, en cas de hausse importante des émissions de gaz à effet de serre.
L’étude de ces scientifiques, publiée ce 14 février dans la revue Nature Communication, précise également quand l’emballement de la fonte et une désintégration incontrôlable de ces calottes glaciaires pourraient intervenir.
« Notre modèle a des seuils entre 1,5°C et 2°C de réchauffement – 1,8°C étant notre meilleure estimation – pour l’accélération de la perte de la glace et l’augmentation du niveau des mers », a expliqué à l’AFP Fabian Schloesser, de l’université d’Hawaï, co-auteur de l’étude. Les températures se sont déjà élevées de près de 1,2°C dans le monde depuis l’ère pré-industrielle.
Les scientifiques savaient depuis longtemps que les calottes glaciaires de l’Antarctique occidental et du Groenland – qui pourraient élever le niveau des océans de 13 mètres à long-terme – avaient des « points de bascule » au-delà desquels leur désintégration serait inévitable. Mais les températures associées à ce phénomène n’avaient jamais été précisément identifiées.
Une expédition de scientifiques britanniques et américains a foré un trou d’une profondeur équivalente à deux tours Eiffel (600 mètres) au travers de l’épaisse langue de glace poussée par Thwaites dans la mer d’Admundsen. Ils y ont découvert des signes d’érosion accélérée – avec des formations en forme d’escalier inversé – ainsi que des fissures ouvertes par l’eau de mer. « L’eau tiède s’insinue dans les fissures et participe à l’usure du glacier à son point le plus faible », a souligné Britney Schmidt, autrice de l’une des études et professeure à la Cornell University de New York.
Avec AFP